LES AUTEURS DE A à Z

 

pour chaque auteur une ou plusieurs notes de lecture

 

 

A

 

Claude ALBAREDE

Max ALHAU

Marc ALYN

Claude ANTONINI

 

B

 

Michel BAGLIN

Fadila BAHA

Marie-Claire BANCQUART

Jeanine BAUDE

Jean-Louis BERNARD

Eliane BIEDERMAN

Philippe BIGET

Claudine BOHI

Denise BORIAS

Jacqueline BREGEAULT-TARIEL

Serge BRINDEAU

 

C

 

Claude CAILLEAU

Francine CARON

Jean CHATARD

Guy CHATY

Stéphane CHAUMET

Francis CHENOT

Sylvestre CLANCIER

Gérard CLERY

Marie-Lise CORNEILLE

Danièle CORRE

Maurice COUQUIAUD

Françoise COULMIN

Jean-Louis CROUSSE

 

D

 

Didier DAENINCKX

Louis DELORME

Eliane DEMAZET

Jehan DESPERT

Laurent DESVOUX

Serge DINERSTEIN

Jeannine DION-GUERIN

Armand DO

Hélène DORION

Rodica DRAGHINCESCOU

Eric DUBOIS

Thérèse DUFRESNE

 

E

 

Pierre ESPERBE

 

F

 

Paul FARELLIER 

Mireille FARGIER-CARUSO

Bernard FOURNIER

Josette FRIGIOTTI

Roland FUENTES

 

G

 

Béatrice GAUDY

Françoise GEIER

Roger GONNET

Rebecca GRUEL

Hubert GUILLAUD

    GUILLEVIC

 

H

 

Claude HELD

Yves HEURTE

Emmanuel HIRIART

Jean HUGLO

 

J

 

Jean JOUBERT

Charles JOYON

Claire JULIER

 

K

 

Colette KLEIN

Vénus KHOURY-GHATA

 

L

 

André R. LABIDOIRE

Monique W. LABIDOIRE

Hélène LAFORIE

André LAGRANGE

Léo  LAMARCHE

Jean L'ANSELME

Patricia LARANCO

Michel-François LAVAUR

Daniel LEDUC

Suzanne LE MAGNEN

Maurice LESTIEUX

Alain LEVERRIER

Béatrice LIBERT

 

M

 

Andrée MARIK

Rio di MARIA

José MILLAS-MARTIN

André MATHIEU

Pierre MAUBE

Bernard MAZO

Aurélie-Ondine

MENNINGER

Armand MONJO

Martine MORILLON-

     CARREAU

 

N

 

Roland NADAUS

Brigitte NEULAS

 

O

 

Jean ORIZET

 

P

 

Lydia PADELLEC

Michel PASSELERGUE

Jacqueline PERSINI -PANORIAS

Ludmilla PODKOSOVA

 

R

 

Lionel RAY

Alain ROGER

Richard ROGNET

Hélène RIOS

Jean RIVET

Jean ROUSSELOT

 

S

 

Paul-Bernard SABOURIN

Nohad SALAMEH

Jeanine SALESSE

Patricio SANCHEZ

Christian SAPIN

Gilles SIMONNET

Jacques SIMONOMIS

Shumona SINHA

SURREALISME

(La Main à la Plume)

 

T

 

Jean-Claude TARDIF

Jacques TAURAND

 

V

 

Guy VALENSOL

Katty VERNY-DUGELAY

 

W

 

Serge WELLENS

 

 

 

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NOTES DE LECTURE     [ la poésie contemporaine et ses auteurs ]

 

 

 

Des recueils de nouvelles, quelques romans et quelques essais et surtout des livres de poésie : une centaine d'ouvrages recensés, sur une période d'une douzaine d'années, qui témoignent de la variété et de la qualité de la poésie contemporaine, de l'intérêt que l'auteur lui porte ainsi qu'à l'écriture en général. 

                                             Jean-Paul GIRAUX                                    

 

 

 

 

Fulgurante résine de Claude ALBAREDE Editions des Vanneaux.

Comment définir les traces que le poète dispute à la lumière et à l’oubli ? C’est encore l’enfance et ses paysages caillouteux qui ressurgissent dans ses vers où l’aphorisme affleure comme le « secret du silence » longuement interrogé. La source des souvenirs est dans le rocher, se cache sous l’écorce et coule comme une sève après l’excision. Le poète exilé ne saurait déserter sa thématique familière : le caillou, le brin d’herbe, la ronce qui « écrit son ventre », la fourmi, le feu qui embrase les pins et toujours le vent. Pourtant, à ce paysage intériorisé, le poète manque : « Seul / je manque à l’appel /dans cette lande/ où la pierre écoute ». La maison entrevue s’habille de lourdes nostalgies. Le mur de pierres casse le regard, même si le lézard y joue. Le poète le sait : « Nous périrons d’arrachements / comme cette parole qui a du mal ». Il ne peut que dire cette « douceur rageuse » qu’il porte en lui. « Avec méthode / arranger les mots/ bien calculés / pour garder les distances ». Entre pierre et ciel suivre sa trajectoire, et « Accepter l’impossible / comme un brin d’herbe à force / ayant brisé la pierre ». Recueillir avec talent « la fulgurante résine ».  (Poésie/première n° 41, juin 2008)

 

 

La Dépensée de Claude ALBAREDE  Editions L’Arbre à Paroles 12 €

Le Larzac est la patrie du poète. Il lui faut, sur ces hautes terres remonter un à un les mots comme autant de cailloux habités. Saison après saison, il lui faut suivre l’inusable chemin qui le traverse, qui va à la rencontre de cet autre lui-même qui cultive son angoisse secrète (lui dit « fatigue ») comme un champ (comme un chant ?). Partout, la vie aiguise ses couteaux, allonge ses ronciers. Marcher vers l’avenir revient toujours à laisser « des lambeaux à chaque épine ». Monde imprenable et résistance des fourmis. Le rapace au-dessus de nos têtes est l’image de « ce qui tourne dans le soleil/ et fond sur nous / avant le cri ». Bonheur ou malédiction ? « L’espoir ? habitude à garder » répond le poète qui parie sur la lumière, la source « aussi moqueuse que le serpent », le feu qui danse. Sa poésie a l’éclat du silex. (Poésie/première n° 45, oct. 2009)

 

 

 

 

Résurgence de Claude Albarède Editions Folle Avoine  10 euros

Que faire sinon un florilège des souvenirs qui resurgissent et inlassablement parlent d’un pays de ronces et de serpents, un pays de pierres sèches et d’éboulis, un pays d’enfance avec la patte blanche du loup sous les portes, un pays rude et beau où « tout se décloue » désormais ? Pas si simple de renouer avec un passé qui se perd : « Bois tombé branches mortes/un fagot plein de souvenances/mais le feu ne prend pas. » constate le poète qui doit compter avec les silences et l’abandon. A lui de revenir aiguiser sur la pierre l’image qui sculptera l’écorce ou griffera le papier, à lui seul d’ouvrir « une porte sans mur/où le vent frappe/avant d’entrer. », de remonter le torrent jusqu’à la source de toutes les rumeurs passées et de s’inviter dans les interstices du poème. Mais là, au cœur de la page, est-ce bien le vent qui emporte les ombres ? (Poésie/première n° 44, juin 2009)

 

 

Un chaos praticable de Claude Albarède, peintures d'Alain Dulac Editions L'herbe qui tremble 15€

     Le Causse est un pays que le regard seul peut reconstruire. Le bout du monde est là dans un singulier vertige. Les chemins s'y effacent, et l'avenir des mots y est une inconnue à laquelle il faut ajouter quelques "tourments du coeur" ou "quelques pas douloureux" pour espérer rejoindre une piste familière. Le poète doit se confier au hasard, aller au-delà du désordre, à la limite du praticable, pour retrouver les traces d'une "mémoire ensommeillée". Ici, les souvenirs ont le parfum des pierres sèches. Ici, le silence est "contre le vent le bruit de chaîne d'un vieux volet ayant brisé ses gonds". Tout est ruine, tout porte les marques d'un abandon et la nostalgie s'invite nécessairement dans ces lieux désolés. On comprend que si le poème se fait chant de la source, son "guttural" du rocher que l'eau ravine, patience de l'été, c'est pour s'accomplir et donner un sens à toute vie perdue. Car marcheur et poète, Albarède sait que "tout paysage invente son poème" et que le parcourant, il risque de s'y perdre. Ainsi le voit-on qui "attend devant le gouffre, fasciné de silence, et déjà attaqué par les fourmis".

      Et si la mort était un poème inachevé ?

     Telle est finalement la question posée par ce recueil de proses sobres et subtiles qu'accompagnent le contrepoint des acryliques et des encres inspirées d'Alain Dulac. (Poésie/première n° 51 nov. 2011)

 

 

Proximité des lointains de Max ALHAU, L’arbre à paroles.

Le poète est un voyageur qui part à la conquête de soi-même en s’appropriant le monde. Son regard va très loin au-delà de tout horizon, mais sa cible est toute proche, à « quelques encablures de la vie, à un souffle de la mort » (« le mot de la fin », dit le poète), enfermée dans une liberté illusoire (il n’a pas de destination proclamée), sans durée perceptible (il ne vit que l’instant), les poches lestées de « phrases incantatoires afin de libérer [ses] rêves de nuit ». Il porte en lui l’enfance et la mémoire du monde, et sa démarche se situe toujours entre stupeur et espérance. Dans cette traversée des terres paradoxales – déserts ou oasis –, il lui revient de recueillir la perfection du silence, « ...celui qui se projette sur la page [et] habille les mots », qui « n’est pas vacuité mais plénitude ».

Avec ce dernier recueil, Max Alhau nous fait l’offrande d’une prose limpide et justement habitée par cette plénitude qui réconcilie l’épaisseur du monde et la légèreté des mots. (Poésie/première n° 37, mars 2007) 

 

D’ASILE EN EXIL de Max Alhau images de Pascal Hemery  Voix d’Encre.

Les encres de Pascal Hemery accompagnent ce recueil d’espaces flamboyants ou nébuleux qui se lisent comme autant de cartes improbables où le destin s’égare. Celui du voyageur qui passe ici “ sans nécessité ni urgence ” et qui s’interroge sur le sens d’un chemin si sinueux et si trouble : “ Tu as froissé tant de cartes, / biffé tant de chemins, / que tu ne crois plus / au sens de ta marche ” ? Le poète lui-même, en train d’évaluer son existence, depuis toujours à la recherche d’une identité et d’une terre inconnue à inventer pour la célébration ? On le voit ici s’en allant loin des certitudes, mais marchant au flanc des illusions qui portent encore les chances d’un espoir. Max Alhau le dit en vers limpides et qui ignorent l’emphase  : le poète est absent de ce monde ; seuls les mots lui permettent de s’approprier la vie, de donner à l’instant “ son pouvoir d’éternité ”. Bref, il est cet exilé : “ Voyageur anonyme / passeport périmé, / les vents t’ont cloué à ta marche, / les mots ont glissé / sur ta peau, sur ta page ”. On se réjouit que Max Alhau, en mai dernier, se soit vu attribuer le prix Charles Vildrac (SDGL) pour son précédent recueil, Proximité des lointains (L’Arbre à paroles) dont nous avons rendu compte dans notre n° 37. (Poésie/première n° 39 octobre. 2007)  

 

 

L’état de grâce, nouvelles de Max ALHAU  Editions du Petit Pavé. 15

Huit récits aux dimensions variées dont les personnages sont victimes de leur imagination inquiète ou confrontés à des situations insolites dont les données incontrôlables génèrent malaise et angoisse. Les meilleurs se refusent aux facilités du fantastique et évitent d’abandonner le lecteur à la frustration d’une fin ouverte. Délicat dosage ! De ce point de vue, remarquable est la première nouvelle du recueil, celle qui lui donne son titre, un long suspense allégorique par lequel l’auteur démonte, sans aucun didactisme, mais avec une implacable rigueur, les mécanismes arbitraires d’une condition humaine où les conjurations du vécu, ses réussites toujours provisoires, ne sauraient permettre à l’individu d’échapper à un destin qui s’ouvre sur une mort annoncée. On pense à Pascal : « Le dernier acte est sanglant quelque belle que soit la comédie en tout le reste... » (Poésie/première n° 45, oct. 2009)  

 

 

 

Du bleu dans la mémoire de Max Alhau, encres d'Hélène Baumel, Voix d'encre 19€

Ce beau recueil, que les encres d'Hélène Baumel enrichissent de leurs nébuleuses clartés, est un autre carnet de voyage où l'auteur interroge l'espace d'une vie. Le poète sait que le voyage s'arrête quand les mots se sont tus. En attendant, il s'efforce de lire sur les pierres du chemin, dans la succession des "aubes incertaines", les traces d'une présence vouée à l'éphémère, et de donner un sens à son itinéraire. Exode ou exil ? Réalité identifiable ou espace rêvé qui "invente son destin" ? Le poète déboussolé a "perdu [ses] cartes et [ses] pas". Pour lui, comme pour cette voyageuse dont il restitue un moment la parole, l'avenir est une incantation : "un jour fleurira le désert". A l'horizon, il ne voit plus que sa propre absence interpellant ses regrets, en dépit d'un ciel qui "met du bleu dans la mémoire" et qui lui parle de l'enfance. Une révolte discrète refuse d'inscrire le mot fin, s'impose de miser sur l'impossible, s'enorgueillit de "croire / que le temps n'a pas raison / de nos rêves". Mais le poète se sait prisonnier de "cette exigence / d'être au monde" qui nous fait "marcher en aveugle" vers un but "après lequel /rien ne commence, rien ne s'achève". Impossible d'y échapper. On le voit condamné à "...une approche incessante / un espoir dilapidé / et des récoltes à peine mûres" sans même avoir la certitude qu'il restera quelque chose des mots, pourtant si limpides dont il investit la page et qui, peut-être, ne disent " rien de plus que le silence". (Poésie/première n° 50, juillet 2011)

                                                                                  

 

 

Le dieu de sable, poèmes de Marc Alyn Editions Phi en coédition avec Ecrits des Forges du Québec illustrations de Dominique Pinchi

Pour notre plaisir, Marc Alyn revient, avec ce beau petit recueil de poèmes de la collection “ Graphiti ”, à cette stratégie du fragment – lui, préférera sans doute le mot “ éclat ” qui a l’avantage de souligner le caractère miroitant du langage – inaugurée dans son Carnet d’éclairs (Le Scribe errant) et poursuivie avec Le Silentiaire dont nous avons proposé une sorte de radiographie dans le numéro 32 de Poésie/première : Le Silentiaire ou Marc Alyn dans tous ses “ éclats ”.

Marc Alyn connaît les infinies ressources de cette prose “ aphoristique ” (l’expression est, on le sait, de René Char) : “ L’inachevé, l’art du fragment, le décousu (s’il est taillé de main de maître) constituent les plus sûrs révélateurs de la qualité de style d’un écrivain ”. Il en joue lui-même avec brio pour y faire apparaître ses doubles multiples, décrire son combat de toujours avec l’ange de la mort, cette mort qui “ ne cesse de bruire, de chuchoter : haute tension au sommet des pylônes, stridence en l’oreille d’un sourd ” , se projeter de “ l’aile agile de l’étincelle ” jusqu’à ces marges secrètes (“ La marge est l’arme blanche ”) où le poète est ce mauvais garçon qui dénonce et qui prophétise. (Poésie/première n° 36, novembre 2006) 

                                                                                             

 

Lawrence Durrell, Le Grand Suppositoire, entretiens avec Marc ALYN. Editions Gutenberg.

Qu’est-ce qu’un Irlandais ?” demande Marc Alyn à Lawrence Durrell. Le titre provocateur de ces entretiens, d’abord publiés chez Belfond (1972), est dans la réponse : “Un spécialiste de la fabrication et de la pose des suppositoires. Nous plantons des suppositoires dans les fesses des Anglais de Londres. Un dur métier, mais si utile”.

Le grand écrivain britannique, né aux Indes et pour qui “l’Irlande est une région intérieure, un état d’esprit avant d’être un pays réel”, a beaucoup bourlingué quand, la quarantaine passée, à la fin des années cinquante, il se fixe dans le Sud de la France. Son choix se porte sur la petite ville de Sommières que traverse la Vidourle dont Marc Alyn n’est pas loin de penser que les débordements sont à l’image d’une œuvre “[...] convulsive, hantée par le sexe, [et qui] aspire au romanesque sans se résoudre à se dépouiller des fulgurances du poème”. Pas un roman-fleuve, mais un fleuve tumultueux, surabondant, une sorte « d’Opéra cosmique », un labyrinthe prophétique aux tuyauteries d’alambic comme il est normal chez un amateur de gin (Marc Alyn ne craint pas d’évoquer “son côté prophète fortement imbibé de gin”), et la somme des contradictions d’un auteur de première grandeur, la principale étant – notre poète le souligne à juste titre – d’être « un romancier dont la préoccupation majeure est la poésie ».

Ces entretiens, magistralement conduits, sont d’un bout à l’autre passionnants. On saura gré aux éditions Gutenberg d’en sauvegarder la saveur par cette réédition enrichie d’inédits. On tirera, notamment, le plus grand profit de la longue préface ajoutée où Marc Alyn – qui vient de se voir attribuer le Goncourt de la poésie 2007 pour l’ensemble de son œuvre – propose une analyse sur plus d’un point éclairante de l’univers original et quelque peu « halluciné » de Lawrence Durrell.  (Poésie/ première n° 40, mars 2008)  

 

 

 

Marc ALYN par André Ughetto « Présence de la poésie » Editions des Vanneaux 19€

      L’ouvrage, qui rappelle dans sa conception la célèbre collection Seghers, Poètes d’aujourd’hui, se décline selon trois parties : une présentation d’André Ughetto ; un choix de poèmes arrêté par le poète lui-même parmi ses nombreux recueils, depuis Liberté de voir qui lui valut à vingt ans le prix Max Jacob jusqu’aux toutes récentes Proses de l’intérieur du poème (2011) ; pour finir des « repères bio-bibliographiques » auxquels on pourra se reporter. L’iconographie photographique, dont la présence est traditionnelle, est insérée aux premières pages du florilège.

      Un tel ouvrage vaut d’abord ce que vaut le poète. Or nous avons là sans conteste, et André Ughetto a raison de le souligner, une des plus grandes voix poétiques du XXe siècle et du XXIe commençant. Un poète à la fois lucide et inspiré, qui ne se soucie pas des modes, mais qui sait intégrer la modernité en mêlant l’humour et la surréalité dans une « orchestration de l’imaginaire » (Ughetto) où le lyrisme se mêle à l’épopée  et par laquelle le poète se dépasse en se poursuivant.

      La présentation se tient au plus près de l’itinéraire de Marc Alyn , soit un demi-siècle de poésie. Elle offre une pertinente approche d’un auteur qui affirme, recueil après recueil, sa capacité à traduire le monde à travers la célébration du langage. Elle donnera utilement envie d’approfondir l’œuvre considérable – vers et proses – d’un poète dans lequel il n’est pas exagéré de voir avec André Ughetto un « Rimbaud durable ». (Poésie sur Seine n°81/82, mars 2013)

 

 

 

L'Alcool des vents de Michel Baglin Editions Rhubarbe 15€

      Ce recueil a fait l'objet d'une première édition par le Cherche-Midi en 2004. Il se présente divisé en quatre parties intitulées respectivement Des mots qui penchent, D'élans et de lenteurs, Air du temps, Détours par le coeur, et quatre-vingt-quinze séquences poétiques qui se donnent l'apparence d'hésiter entre prose et poème dans la mesure où le découpage en l'alinéas y obéit à des respirations souvent étrangères aux seules règles syntaxiques. Au départ, il y a l'intention clairement énoncée de rendre compte où plutôt de "rendre grâce", expression débarrassée de ses connotations religieuses par un auteur qui est avant tout poète du partage, qu'on voit les poches pleines de cette "menue monnaie d'images qui ne sert qu'à l'échange" et qui s'arrête là où se boit avec d'autres "l'alcool des vents". Tout est alors pris en compte : les chemins impatients de l'enfance, les sacrifices, les rébellions et, notamment tout ce "qui résiste à l'ivrognerie des repus rotant et satisfaits de la tournure des choses", les "ratures d'une vie" comme les déchirements de ceux qui doutent, une façon aussi de "rendre grâce" à ces hommes "éperdus, perdus, submergés dans le maelström, / le trou noir de la présence", qui trouvent malgré tout la force de se maintenir debout et surtout de poursuivre ces "rêveries qui finiront bien par faire un jour le monde meilleur".

      Un recueil humaniste écrit "à cette lumière des mots qui éclaire nos chemins d'encre". (Poésie sur Seine n° 76, printemps 2011)

 

 

ÉCOUTE ENTRE LES LIGNES de Fadila Baha Gros Textes.

Il n’y a pas qu’une stratégie pour survivre. Celle de Fadila Baha qui s’installe dans la cinquantaine avec ses chats – je ne suis pas indiscret, c’est elle qui le dit – consiste entre autres à proposer des textes courts, bien dégagés, des portraits ou des méditation, rien d’attendu, de cousu à la machine, de prêt-à-porter, de prêt à penser. Voici une fille qui a du mal à se « déplier » le matin et même toute la journée (alors là, elle exagère !), une autre qui « s’intéresse aux mouches myopes », un Marcel, dit le grand (cf. Louis XIV), SDF de son état, qui « refusait les pièces données de la main gauche au prétexte que c’était mauvais présage : jamais voulu en démordre », etc. M’en voudrez-vous d’avoir un faible pour Iphigénie avec son air fatal qui la fait prendre pour une pimbêche (« vogue la galère » dit sa mère) ? La vie est une tragédie et nous saurons désormais, grâce à Fadila Baha et son éditeur, que pour tuer le temps, il n’y a peut-être rien d’autre à faire que de s’inscrire en philosophie à Montpellier. (Poésie/première n°35, juillet 2006)

                      

 

 

AVEC LA MORT, QUARTIER D’ORANGE ENTRE LES DENTS de Marie-Claire BANCQUART Ed. Obsidiane.

      Il y a du panache à vivre la tête haute avec sa « mort, quartier d’orange entre les dents » alors que d’autres se satisfont de participer aux histoires louches des hommes.

     Mais l’auteur peut numéroter ses abattis : il y a encore des coups à prendre. Le monde garde en réserve une provision de guerres avec tortures habituelles et tanks derniers modèles, ses marées dévastatrices, ses idéologies corrosives, et son « Dieu qui demande à être lavé des atrocités qu’il tolère » jusqu’à cette conclusion qui s’impose : « Finalement/on lui tourne le dos. //Tout seul, on essaie d’aimer des gens, des choses ».

     L’amour, l’espoir est là – fleuri comme un pélargonium sur un balcon.

     Encore faudrait-il pouvoir dire exactement ce qu’on est, ce qu’on attend : « Je suis quoi ?/Je suis pourquoi ?/Glauque ». Peut-être oublier que la Mort rôde, que déjà elle a placé sur notre corps ses pointillés, allongé « ses doigts sur nos douleurs », qu’elle nourrit nos souvenirs du sang des disparus si bien qu’« en nous/les morts deviennent vieux », que chacun a les siens qui l’ « épient /entre les branches », que « cette fente de jour/ est le dernier de leur regard... ».

     Que reste-t-il aux vivants – et singulièrement à ceux qui ont été privés d’enfance, quand pour eux il n’y a rien « du côté des mûres barbouillant les joues/des rêves de haute mer conquise aux pirates » – en dehors de « la joie louche du rescapé » ?

     Les mots bien sûr, les mots, qui eux-mêmes ont une histoire terrible, tapie dans l’ombre comme un fait divers, avec des paroles perdues avant même d’être prononcées. Le paradoxe – existentiel, vital –  c’est que « la bête écrivante » a hérité de cette écorce à la fois rugueuse et tendre de l’arbre dont les grands bras dessinent les inclinations de nos pensées et de nos sentiments, d’un corps droit qui ressent les humeurs réglées des saisons, « ces riens / qui tournent/ avec la terre et nous : // notre vie ».

     Et de cet arbre, planté dans l’argile originelle, les fruits pleins de saveurs délectables sont – en dépit de « ce corps, que tu portes sans cesse, hésite, s’use » –, autant de battements d’un « cœur bizarre, décentré », autant de vrais poèmes recueillis.

(Poésie/ première n°32, juin 2005)

 

                                                                                    

Verticale du secret de Marie-Claire Bancquart Obsidiane éditions. 14 euros

Marie-Claire Bancquart se tient à « la verticale du secret » où elle « coud les mots comme on assemble les étoffes », à l’écoute d’un destin double-face, « exil et plaisir », nuit et clarté. Ainsi, la voit-on mesurer les pulsations de ces riens qui nous constituent : reflet impalpable, sonorité éphémère, « éclair de vie », et pour le lecteur, autant de vocables sensibles qui portent dans leurs vibrations l’énigme de l’existence, ses mortelles contradictions. Elle se sait condamnée à exhiber « expressément / [son] impermanence / noire ou éblouie, / compagne de l’amour et des massacres », à promener dans les rues d’un Paris qu’elle aime, une apparence irréversible dont les contours enveloppent un quant à soi viscéral qui se révolte ou s’appesantit. Mais quel rôle réserver finalement à l’écriture parmi les bruits et les fureurs du monde ? Interroger les mythes ? Rendre compte d’un mystère ? Célébrer le corps à corps de l’amour ? S’efforcer de corriger l’inconvénient d’avoir été jeté dans un monde absurde et malfaisant ? Tout cela sans doute, et autre chose de plus qui caractérise la femme et le poète : « Je me serais bien / écrasée dans l’œuf / mais puisque me voici / autant que j’habite un rai de soleil / un citron pressé / des mots par qui je puisse / dorer / les cornes de chèvres. ». Pour Marie-Claire Bancquart, on l’aura compris, il s’agit de jouer « l’univers à qui perd gagne » et le poème devient logiquement cette tranche odorante de pain rond détachée de la langue par laquelle s’affirme sa présence au monde et son obstination à vivre. A vivre heureuse.

 (Poésie/première n° 40, février 2008)

 

                                             

Impostures de Marie-Claire BANCQUART, récits L’Amourier éditions  12 euros

Sous ce titre générique et à l’enseigne du célèbre tableau de Georges de La Tour, Le tricheur à l’as de carreau, Marie-Claire Bancquart nous propose trois nouvelles (Sempronia – La déposition – Perpetua) dont le but affiché est de démonter le mécanisme de l’imposture : celle à laquelle se plaît volontiers l’histoire officielle, celle que la violence de la société impose aux faibles et aux dissidents, celle qu’un esprit rêveur et romanesque prend le risque, parfois mortel, d’exercer sur lui-même. Le critique s’interdira celui de déflorer ces récits captivants en se bornant à révéler que dans les trois cas, l’Histoire et l’Italie sont sollicitées pour offrir un cadre à des figures attachantes et à des scénarios que l’auteur[e] impose avec érudition et brio.     (Poésie/première n°40 février 2008)

 

 

Marie-Claire BANCQUART . Violente vie , Le Castor Astral éditeur. 15€

Violente la vie ? Ainsi, un caillou suffit pour dire "tout le rugueux, le dur de ce monde". Sur tel tableau de Manet, les fleurs qui se fanent disent la mort prochaine du peintre. Marie-Claire Bancquart, qui a connu une enfance menacée, sait que vivre est une invention de chaque jour. Un beau combat, mais âpre et souvent tragique. Il faut avancer en traînant des souvenirs ébréchés, s'égarer parfois avant de retrouver ce sentiment d'être encore et toujours "soi", en dépit d'une machinerie dont on éprouve les ratés et à laquelle il faut bien confier son sort : "... on laisse les organes / travailler, suinter, se débrouiller entre eux". Le futur est au bout du mot avec cette lettre qui vibre dans l'air : " Le mot, / Une lettre de plus / c'est la mort". Mais ce mot est la chair du poète, sa trace sur les parois, ses fleurs sur le tableau, sans excès d'illusions ses espérances: "eh, va ! Chante toujours... // Si seulement tu pouvais préserver un oiseau...". Ce mot est cette "matière très obscure" qui lève en elle comme une pâte et sa lucidité. Il est cette étincelle précieuse qui traverse le temps et vient témoigner de ce côté le plus naturel et le plus élémentaire de la vie, là où s'entendent les bruits d'un quotidien qui s'éveille sous l'haleine d'un mystère insaisissable. Il se veut "célébration du temps qui reste". Obstination à ne pas refuser la vie, celle qui voit son avenir dans le brin d'herbe et le chant d'un oiseau, celle qui s'incarne dans le couple – "ni vous sans moi ni moi sans vous" dit Marie de France – comme dans ce lai dont Marie-Claire se souvient pour faire entendre "cette voix d'union parmi la dissonance universelle". On aimera relire ces pages inspirées . (Poésie/première n° 53 juin 2012)

 

 

 

 

 

   Le goût de Buenos Aires. Textes choisis et présentés par Jeanine Baude. Mercure de France.

Comment rendre compte de Buenos Aires, de son âme multiple, mieux qu’en interrogeant les écrits de ceux – écrivains reconnus, poètes exilés, voyageurs – qui, un temps seulement ou pendant de longues années, ont parcouru l’immense puzzle d’une ville où se côtoient toutes les réalités du monde, toutes les civilisations ? Un monde ouvert sur l’océan qui danse comme un air de tango, avec au cœur l’emblématique Plaza de Mayo qui tourne dans nos têtes en racontant l’histoire de toutes les dictatures sanglantes, les épurations ethniques, la barbarie que la civilisation invente pour écraser l’autre, le pauvre, le différent. Ici se rencontre l’ombre de Maradona dont la main [de Dieu] a vengé l’humiliation des Malouines. Ici Pablo Neruda croise Federico Garcia Lorca. Ici Ernesto Guevara est dans tous les cœurs rebelles. Vous lirez Ernesto Sábato, Albert Camus, Pablo Neruda, Manuel Vázquez Montálban, Julio Cortáza, Juan Gelman, d’autres encore qu’accompagnent les commentaires éclairants de Jeanine Baude. Un excellent petit livre. (Poésie/première n° 41, juin 2008)

 

 

 

Battements de mémoire de Jean-Louis BERNARD - La Bartavelle éditions

Un moment ,on s’irrite d’une accumulation d’images - ô Guillevic ! - dont certaines peuvent déranger par leur excessive gratuité. Mais le message résiste à l’avalanche et, dès qu’il s’organise, le charme opère.

C’est donc avec un indiscutable plaisir esthétique dont le sens, nous dit l’auteur, « est la seule légèreté durable qui nous soit aujourd’hui concédée... » qu’on pénètre dans les chemins d’une mémoire qui se libère en fulgurante poésie.

On y fait d’irremplaçables rencontres : elle, qui « accrochera sa vie une fois encore au clou délabré d’une chambre sans étoiles(s) », lui, qui chuchotait, sous l’auvent : « J’ai enfin réussi à peindre la pluie », des visages ou même de simples silhouettes à peine entrevues, et encore, sur cet espace qui va jusqu’où se finissent les terres, des rues « chargées de sens et d’arbres », des forêts « aux mains calleuses », un fleuve « dépositaire ombrageux et infatigable du mystère de la limpidité des sources », le désert « simple ellipse de l’existence », « le rythme ternaire des trains » comme un vers d’Albert Samain...

 Même pour Jean-Louis Bernard qui se dit « tairien » (« ...le taire mouillé par quelques mots en pluie au long de nos joyeuses blessures »), la vie est un grand complot qui « s’ourdit à l’ombre de soi-même ».

 Alors il reste la qualité d’une écriture, le bonheur des mots, des mots qui ne sont, peut-être, que la « seule réalité ». (Saisons du Poème n° 21, 21 juin 1996)

 

 

 

Patients mystères de Jean-Louis BERNARD La Bartavelle éditions.

Voilà une poésie qui délibérément s’installe en dehors du temps, n’habite aucun lieu particulier. Comme nous l’avions pressenti dans un précédent ouvrage de l’auteur, dont nous avons souligné l’excellence de l’écriture (Battements de mémoire), la seule réalité n’est peut-être ici que celle des mots.

On s’en réjouit quand elle aboutit à de fulgurantes réussites. Il suffit de faire “ Halte / au bord d’un secret / vêtu de nuit / et de fatigue ” ou que “ quelques mots harassés / croisent loin des branchages / vers l’effroi blanc des grands sommeils ”.

Certes, jamais l’homme quotidien, ni les circonstances ne sont convoqués dans le poème. Alors, qu’est-ce qui se cache sous la superbe litanie des “ signifiants ” dont la musicalité s’impose aux dépens de “ signifiés ” parfois incertains ? Toujours le grand complot qui “ s’ourdit à l’ombre de soi-même ” ?

 Au lecteur de découvrir, au fil des pages de ce beau recueil, les clefs de ces “ patients mystères ”. (Les Saisons du Poème n°25, mars 1997)

 

 

Calligraphie de l'ombre de Jean-Louis Bernard, dessin de Jean-Gilles Badaire éditions Jacques Brémons (Cet ouvrage a reçu le Prix de la ville de Béziers 2009)

Avec Calligraphie de l'Ombre, édité chez Brémond, Jean-Louis Bernard poursuit ce "voyage au centre du taire" dont nous avons définis les attendus dans Poésie/première (cf. n°45, nov. 2009). Il le fait en archéologue du silence qui demande au poème d'être témoin de l'absence, de se glisser dans "l'échancrure des mystères", d'inscrire "le vide entre les mots", d'entrer en "connivence" avec les temps lointains, de se vouer à "recueillir l'éclat / d'une parole archaïque / de celles qui caressent / la voussure des mots". Il a l'intime conviction que l'existence est d'abord un jeu d'ombres, qu'on peut rester à l'écoute des vents mais qu'il convient de renoncer à toute certitude et que la destinée est "parole suspendue" que le poète parcourt en funambule dans l'espoir incertain d'atteindre l'autre rive du silence. Calligraphie rigoureusement calibrée ! Toujours le poète s'y refuse aux aveux trop faciles, toujours il se tient "prêt pour l'inquiétude". Et inlassablement il refait le chemin vertigineux qui côtoient les abîmes imprononçables. (Poésie/première n°49 mars 2011)  

 

 

 

Entre trace et obscur de Jean-Louis Bernard; éditions Sac à mots

Jean-Louis Bernard hante les lisières et les marges, toujours à l'affût de ce qui se murmure ou se balbutie à l'envers des mots, toujours à la recherche de ce qui se dérobe ou s'égare derrière les apparences. II a fait de l'inaccessible son paysage familier, et il marche en poète sur les traces où le porte la rumeur énigmatique du monde. Cela ne va pas sans encombre ni quelque inquiétude : "derrière les brouillards", il perçoit des "tessons de paroles errantes". C'est que "vigile de l'obscur", il sait qu'il aborde "aux rivages du rien", qu'il touche à "l'irrécusable solitude".

Inquiète de voir l'espace se détisser, se découdre, la parole dissidente du poète s'inscrit dans les blancs de la page en ombre transparente. Elle ne reconnaît aucun lieu précis. Elle se veut avant tout "contre-chant de l'obscur", écho mélodieux d'une voix qui ne répond pas. Elle s'affirme en calligraphie qui recouvre une plainte ou bien "la cicatrice d'un secret". Jean-Louis Bernard a choisi d'être, avec talent, un poète qui s'exile dans son propre langage. (Poésie/première n° 50,  juillet 2011)  

 

 

DANS LA TANIÈRE OBSCURE DU SOLEIL de Jean-Louis BERNARD Encres Vives n° 398  16 pages 6, 10 €

Entre ombres et chuchotements, le poème se tient au centre de l'obscur et regarde, ébloui, s'agiter le monde à contre jour. Aurait-il l'ambition de le déchiffrer, il ne peut que relever des traces fulgurantes, accompagner de son rythme la marche du temps, restituer "l'écume prophétique" des jours. Jean-Louis Bernard excelle à ce travail sur les mots où l'incantation l'emporte sur les certitudes du message. Il calligraphie le silence, l'absence, il confie à la page blanche la "morsure lente / de la beauté".

(Poésie/première n° 53  juin 2112)

 

 

CÔTÉ UBAC de Jean-Louis BERNARD –  Éditions du petit pavé. 10€

La parole se tient ici sur le versant opaque (cf. l’étymologie du mot « ubac ») d’une réalité que le poète traque sans jamais l’atteindre, car sans cesse elle s’échappe, se brouille ou se consume : « côté ubac / se confondent / les savoirs imprononçables ». Là est son rocher ! Alors, quelle ambition pour le poème ? La capture incertaine d’un écho, d’une vibration, d’un reflet, la résonance d’une énigme que la page recueille en poussières d’encre. Le poète en convient : « Il pourrait advenir / que le vide ne soit / que la seule question / qui vaille ». Le poème devient ainsi la signature indéchiffrable du poète et le lecteur, sous le charme de ses incantations mais un peu perplexe, se demande si ce « vide intarissable » ne serait pas une secrète blessure qui se refuse à l’aveu. (Poésie/première n° 54, novembre 2012)  

 

 

ET LA PAROLE S'EST FAITE NUIT de Jean-Louis BERNARD Editions de L'Atlantique 19€

Jean-Louis Bernard vit dans un monde de paroles obscures, balayées par les vents, dont il ne peut témoigner que par la calligraphie incertaine des mots, là où l'oracle cache son mystère. Il sait que le seul moyen d'approcher cette parole qui se dérobe, cette "parole murée", est de se faire le scribe minutieux de sombres hiéroglyphes, le greffier d'un alphabet secret, d'inscrire sur la partition les gammes du silence. Sa vocation assumée est bien de se tenir loin des certitudes passagères que "le temps rature" dans son interminable narration. De s'imposer de hanter les lisières et de parcourir les marches à la recherche toujours renouvelée de ce "lieu nu / où s'ajourne :/ l'opacité des choses". Cette quête est pour le poète à la fois nécessaire et redoutée, peut-être douloureuse, car "si nos secrets se dilacèrent" la question se posera de savoir ce "que [nous] ferons de notre nuit ". Elle vaut au lecteur cette talentueuse "chanson de l'inexistence" dont les volutes revendiquent sur la page la rondeur parfaite du galet mais qui se refusent à l'ultime aveu. Il s'agit toujours d' "écrire / pour mieux disparaître / dans l'effarement obscur / du poème". (Poésie/première n° 55 mars 2013)  

 

 

JEAN-LOUIS BERNARD Savoir le lieu, poèmes Editinter 13€

Pour Jean-Louis Bernard, le poème est un lieu incertain dont l'exploration est la fatalité du poète autant que sa raison de vivre. Un lieu d'attente, de "litanies effarées", sur un fond d'incendie traversé de clartés "pâles" ou "inavouables". Un "pays de dissidence" où se dessinent "les contours du silence", où le temps allonge ses hasards, recueille les épaves naufragées d'une vie, s'inscrit en "éphémérides d'un chaos". Dans ce monde clandestin, insaisissable, fait d'ombres intemporelles, d'apparences indéchiffrables et de "souvenirs exténués", les mots sont, à proprement parler, les signes que le mystère consent. Fidèle à lui-même, le poète se plaît à les recueillir sans se refuser à cette "grammaire barbare" qui veut que le silence soit alors l'unique récompense. Ici, avec la virtuosité qu'on connaît à l'auteur, le paradoxe s'exprime à l'encre noire comme un cri après la blessure et se glisse dans "l'inachevé du quotidien" en conservant la trace des vieux grimoires, riches de vains oracles et de légendes périmées. On peut, certes, y entendre la voix étranglée de l'avenir ("un foulard de brume... / serre à la gorge / notre destin"), mais le territoire du poème n'a pas de références datées et se définit essentiellement à travers "quelques mots cisaillés / par la marge / quelques lettres émaciées / tendues fiévreuses / vers l'inatteignable ". En bref on dira que Savoir le lieu, c'est savoir que le poème est le lieu d'un savoir qui se dérobe. (Poésie/première n° 56 juin 2013)

 

 

La rose est mon amante de Eliane BIEDERMANN préface de Jean Joubert, Caractères éd.

Deux volets contrastés dans ce recueil où la ville est une parenthèse en dépit de ses rues remplies de rires jeunes qui offrent ses spectacles et dressent ses chapiteaux. Eliane Biedermann semble avant tout le poète des larges horizons, des envolées de ciel sur la mer, dans la rumeur des vents et les cris des oiseaux marins. C’est là, sur les chemins qui longent les falaises, quand « les champs limités de nuages/cousent les tentes du vent », loin des regards obliques ou fardés, qu’elle voit circuler les ombres inaudibles de l’absence et qu’elle s’interroge sur le sens de notre destinée : « Celui qui tient le gouvernail/des bateaux esseulés sur une mer houleuse/ dans la course contre les étoiles/ a-t-Il prévu d’autre destin/ que ce festin de la douleur ? ». Rose noire de Rabah Belamri , rose couleur de sang de Federico Garcia Lorca, au bout du compte le même brûlant mystère qui s’éprouve dans le poème avec, parfois, dans une trouée des « ciels obscurs et tourmentés », la certitude apaisante d’un monde fait pour la fraternité et la célébration. (Traversées n°44, automne 2006)

 

 

 

Humeurs et facéties de Philippe BIGET – Gros Textes éditions.

Quand Philippe Biget a fini de se consacrer – important et excellent travail – à la réédition des œuvres d’Alain BORNE (cf. Editinter et Le Cherche Midi éditeurs), il nous propose, pour notre plaisir, ses Humeurs et Facéties, un joyeux kaléidoscope bien dans l’esprit de la revue Gros Textes dont on nous dit – hélas, trois fois ! – qu’elle pourrait s’interrompre.

Kaléidoscope est le mot qui convient, car le lecteur est invité à consommer ici, de façon quasiment rituelle (il est dit, parodiant Rabelais, que “le rite est le propre de l’homme”) pas seulement les oranges nostalgiques dont “...le jus dégoulinait des rires pour encoller nos doigts...”, mais une succession de variations ironiques ou sensibles qui nous maintiennent indiscutablement sur les hauteurs.

C’est que notre auteur est un poète doublé d’un moraliste de la meilleure espèce.

Soucieux d’étudier “la canopée de l’âme”, il ne se contente pas de s’intéresser aux “misères esthétiques” qui contraignent l’écrivain à se relever la nuit pour pisser de la copie, de jeter un œil sur les exubérances infinies des fougères, de se demander tout ce qu’il faudrait couper à Milosevic pour retrouver, à l’état pur, la Beauté de Vénus (de Milo, faut-il le préciser ?), de revisiter les caprices de la mode à travers les pulsions des vieux chênes, ni de rassembler les plus judicieux conseils à l’intention des écrivains anxieux.

 Ce “jongleur de mots“ nous propose beaucoup plus puisqu’il nous invite à suivre le premier mouvement, toujours le plus authentique, celui du Trio N°1 Opus 8 de Brahms par exemple, et à camper sur les sommets, tel celui de la Tour Eiffel qui ressemble, tout le monde le savait au temps où les études littéraires étaient un peu solides, au sexe érigé de Blaise Cendrars.

Ah, j’oubliais : au lecteur de Philippe BIGET, il est aussi recommandé d’aimer les vaches. Chez lui, elles sont fabuleuses !  (Poésie sur Seine n° 47, décembre 2003)  

 

 

VOITURE CINQ QUAI VINGT ET UN Claudine BOHI -  Editions Le bruit des autres 10 €

 « L’amour dure », il faut s’en persuader, surtout quand on doit partir, pas seulement pour quelque part mais pour un ailleurs possible où « l’amour dure ». La voici sur le quai, « le cœur pêle-mêle dans les valises », « avec tout son passé en boule au fon des poches » et les trains du souvenir qui « d’un coup lui roulent sur le cœur ». Elle a composté son billet qui l’autorise à aller vers lui. Mais le bonheur est aussi incontrôlable que les rêves qui le contiennent et qui s’ordonnent ici en longues séquences rythmées comme les trépidations d’un train impatient d’aller là-bas vérifier que « l’amour dure ». – Dois-je dire que j’ai beaucoup aimé ce petit recueil ? (Poésie/première n° 43, février 2009)

 

 

 

Claudine Bohi Avant les mots dessins de Magali Latil Edition érès 10, 50€

Pour le linguiste,la parole est la forme que prend concrètement la langue dans une situation donnée. Elle se réalise à travers les mots en une suite d'unités pertinentes qui véhiculent l'information à transmettre. Il n'y a donc pas vraiment de réponse à la question : "Qu'y a-t-il avant les mots ?" et on se souvient de l'excellent aphorisme de Joseph Joubert : "On ne sait ce qu’on voulait dire que lorsqu’on l’a dit". Cela étant, cette question reste légitime pour le poète et on comprend même qu'elle puisse devenir, pour lui, une obsession. Ainsi le voit-on rêver d'une "effraction / à l'intérieur du noir", s'acharner à explorer cette nébuleuse intérieure où il sent battre une présence dont il ne peut que saisir le souffle dans les mots. Sa tâche paradoxale consiste à enlacer le vide, posséder l'inachevé, récolter ne serait-ce que les traces de ce "quelque chose / d'innommable" et finalement s'inscrire dans un "cérémonial du rien" où le froid et le chaud se mêlent jusqu'à l'éclosion merveilleuse du poème. Une naissance tout simplement? (Poésie sur Seine n°81/82, mars 2013)  

 

 

 

CLAUDINE BOHI, Loin partout Cahiers du Loup bleu, Les lieux-Dits éditions.

Trois séquences haletantes, syncopées, pour dire que "ce qu'elle vit / ne peut pas se vivre" et que pourtant "elle le vit". Trois séquences pour dire que l'amour est "une défaite qui dure / la douleur partout". L'absence de l'autre devient ici l'effacement de soi, l'exil intérieur, l'impossibilité même du cri, la conscience de ne plus être là, en tout cas d'être égaré, perdu, dans un monde sans promesses, sans perspectives. Les mots sont disposés sur la page pour dire "ce lent assassinat [|qui] est / dans vivre / ce qui dure trop". Nous savons qu'en dépit de la noirceur des signes, ces mots qui "crépitent comme des balles" resteront le refuge protecteur et l'avenir de ce moi qui refuse de dire "je" pour prendre ses distances et être loin partout. (Poésie/première n° 56 juin, 2013)

 

 

 

CORPS ÉPHÉMÈRE de Denise BORIAS -  Editions du Petit Pavé 12€

L’auteur[e] est un regard face à un monde d’abord essentiellement liquide qui apprend la grandeur en offrant son infini mystère. Elle en recueille les signes éphémères que l’imagination transforme au gré de son humeur. La vie s’écoule alors en notes lumineuses que le vent éparpille ou que la pluie dissout. L’imagination lève sur la mer de “ fabuleux vaisseaux ” : “ Au large / un songe nous attend ”]. L’enfance renaît sous les doigts : il y suffit d’un galet. Qu’est-ce qui se joue là pour elle et pour nous quand la mer se retire ?

Le rivage est un autre espace où habitent les saisons. Où soudain “ Le pont aux arches multiples / bondit sur le fleuve // réinvente dans la ville / le geste du félin ”. Sachez-le, Denise Borias excelle dans ces menues notations qui saisissent dans l’instant l’harmonie d’une ligne ou d’un mouvement, l’impression fugitive qui nourrit les songes et interroge le passé.

Chaque page est une délicate épure.

     La mémoire est ici “ une vague pensive ”. (Poésie/première n° 42, octobre 2008)

 

 

 

AU JOUR LE JOUR DE  Denise BORIAS -  Editions du Cygne 10€

Denise Borias est une terrienne qui rêve de la mer, économe de paroles et attentive  à l'essentiel. Porter son regard au loin est son souci premier. Aller jusqu' "au point extrême" où l'âme rencontre sa part d'éternité. Sa cible est parfaitement située : "Libre de tes pas / tu avances /vers le noyau intérieur / que rien ne trouble". Ses vers font dans l'eau de la page des ricochets élégants où se lit l'énigme d'une vie. Ils sont la trace du silence sur le sable des berges. "A quoi bon le ciel ?" se demande le poète. " Si tu fermes les yeux / c'est l'infini que tu rejoins". Là est la réponse. (Poésie sur Seine n° 74/75 automne hiver 2010/11)

 

 

 

VERRIERE LE CLAUDICANT de Jacqueline BREGEAULT-TARIEL, Librairie-Galerie-Racine éditeur.

 J B-T aime les portraits. Elle y met toutefois une condition, impérative, toujours renouvelée : la nature double du sujet, ou, si on préfère, sa nature ambiguë et hybride au sens de composite. Un sujet qu’elle sort du chaos et dont les caractéristiques sont d’être ici et ailleurs, ainsi et autrement, diabolique et bienheureux. “Hors du temps” !

Affligé de claudication, il est installé par ses soins attentifs dans un destin nécessairement boiteux dont il est l’écho, dans un “univers triste ou enjoué”, tout à la fois “sombre tripot”, “cabaret enfumé”, forge à “l’haleine brûlante”, verrière lumineuse qui déverse “le jade et l’azur en une éternelle purification”.

 Car les portraits de J B-T sont aussi un moment de la fable qu’elle porte en elle et dont elle se fait le scribe responsable et consciencieux, armé du stylet et des pinceaux d’une poésie exigeante.

 Bref, J B-T nous offre avec cette  « Verrière » une calligraphie du monde, une flamboyante offrande pour la mère et l’enfant et, tout autant, sous l’opacité des nuages, l’annonce de quelque menace apocalyptique dont, seule, peut nous préserver une « illumination ».

 (Poésie sur Seine n° 44, mars 2003)

                                                                                                                     

 

 

L’homme qui marche de Jacqueline Bregeault-Tariel - Editions Librairie-Galerie Racine.

L’homme qui marche est celui du sculpteur Giacometti et celui d’un poète qui invite à voyager parmi les méandres de la création. Baudelaire est en exergue, un stage est programmé en atelier d’artiste, et l’ange Heurtebise étend son aile. Derrière le miroir, c’est l’œil bleu de la mort.

L’homme qui marche est, sur un quai de gare, l’éblouissement d’une rencontre. La matière y est réduite à son minimum vital et jamais pourtant elle n’a paru plus apte à projeter la pensée en avant dans un mouvement à ce point aérien : “ Le corps s’élançait… ” note le poète qui recueille le tangage de ce grand voilier dans le creux de ses mots : prose ou vers magistralement sculptés. Cet homme est pour lui-même sa propre énigme. Où sont les fils de cette marionnette ? De quel miel se nourrit ce marcheur qui ignore d’où il vient et où il va ? De quelle angoisse est-il habité qui noue sa gorge mince ? Est-ce d’un trop plein de matière que s’est libéré ce danseur anorexique ? Est-ce le temps qui se fige comme un bronze dans les veines de ce corps décharné ?

A l’évidence, le poète est un écorché pour qui toute vérité ne peut être que traque obsédante. Son destin est semblable à celui du sculpteur – son double entrevu dans la fumée d’un départ – qui façonne une beauté réputée concrète, mais tout autant évanescente sous les doigts. (Poésie première n° 33, février 2006)

 

 

ENSORCELER UNE LOQUE de Jacqueline Bregeault-Tariel Librairie-Galerie Racine

Que devient le mot abandonné, livré à la déchéance de la gomme ou de la corbeille ? Et si la vérité du poème était justement là, au fond de la corbeille comme elle se tient depuis toujours au fond d’un puits ? Odieux ostracisme qui met un bonnet d’âne au cancre de la classe ! Comme Jacques (Prévert), Jacqueline (Bregeault-Tariel) entreprend de le réhabiliter. Acte de sorcellerie qui sied bien au poète pour qui les mots sont autre chose que des signes purement conventionnels, mais matière vivante et motivée. Qui pourrait l’empêcher de penser, avec Cratyle, que la calligraphie engendre la chose et son histoire ? Claudel voyait dans le mot « Locomotive » l’image même de la machine avec l’abri du conducteur, ses multiples roues et sa cheminée. Qui oserait s’inscrire en faux ? Certainement pas J B-T qui voit, dans les variations de la typographie, dans les combinaisons de l’alphabet, les promesses d’une expression poétique dont elle livre ici quelques échantillons réussis et cette invitation : « A toi, lecteur, de rechercher au fond de la corbeille les mots favoris de ta langue verte ». (Poésie/première n° 41, octobre 2008)

 

 

 

 

UN POÈME VIENT AU MONDE - (Inédits 1947-1997) Serge Brindeau, éditions Librairie-Galerie-Racine.

Serge Brindeau nous a quitté, il y a maintenant dix ans. Ce recueil posthume rassemble des inédits écrits de 1947 à 1997. De quoi se rendre compte, comme le souligne à juste titre José Millas-Martin en quatrième de couverture, à quel point le critique apprécié – trop sollicité sans doute – aura fait parfois oublier les qualités du poète. Elles sont toutes là dans ces pages qui s’ouvrent sur ce constat où tout vrai poète se sentira concerné : “ Nous ne pouvons dire ce qu’est la poésie, / ni ce qu’elle fut, encore bien moins / ce qu’elle sera. / Mais vivre en poésie, nous le pouvons. / je crois. ” Vivre la poésie, tel fut bien le défi réussi de Serge pour qui, reprenant à peu de chose près les mots de son poème, on dira que la poésie était la liberté, la sienne et celle des autres, à chaque instant affirmée en dépit des épreuves. On verra aussi que le philosophe reste présent dans ce recueil où les aphorismes affleurent, pour une sagesse discrète que l’image poétise :

“ Au méandre du temps / S’infléchit la rivière ”. (Poésie/première n°39, novembre 2007)

 

 

 

Claude Cailleau Cocktail de vie (anthologie personnelle) préface de Jean-Marie Alfroy Editinter 16€

Claude Cailleau dit de son livre qu'il est "une promenade dans [ses] jours et dans [ses] livres". Présent et passé s'y répondent en se mêlant, et on comprend, à travers les éléments de ce cocktail, qu'il s'agit surtout de retenir le temps. Car telle est bien la clef de cet ouvrage dont le poète occupe logiquement le centre et qui se nourrit de textes anciens, parfois inédits, vers ou proses que les commentaires de l'auteur actualisent. Les éléments strictement autobiographiques sont rares, mais suffisants pour baliser l'itinéraire d'une vie : 1945, le retour d'Allemagne du père prisonnier ; années 50, l'Ecole Normale d'Instituteurs du Mans et les premiers poèmes ; 1971, un roman, Stef et les goélands, publié chez Julliard, qui reçoit un prix de l'Académie Française (Prix Paul Flat) ; 1999, après 25 ans de silence, un bilan ainsi résumé: "quatre enfants, deux maisons, un livre", puis, depuis cette date, une floraison de recueils et un essai important, Dans les pas de Reverdy, aux éditions du Petit Pavé (2006). Ni journal ni mémoires, l'anthologie personnelle de Claude Cailleau raconte et illustre, de façon volontairement composite, la belle histoire d'une rencontre avec les mots et quelques-uns de ceux qui les font chanter, Pierre Reverdy, René Guy Cadou, Marcel Arland, Roger Martin du Gard, bien d'autres encore. (Poésie sur Seine n° 81/82, mars 2013)

 

 

 

 

EN SUIVANT LE “Petit Guide du square des Batignolles”  de Francile CARON - Ed. AB (Collection Raffia)

Un tour de square, ça ne se refuse pas !

Et on s’invite par effraction douce dans un monde de choses vues, un univers d’humour rose, un univers d’humour en prose, avec un petit coup de chapeau en passant au vieil Alexandre[1]  assoupi sur un banc.

Celui-là, regardons-le dormir !

Retenez bien la chose : le « squar’ des Batt’ » est une volière Volée de moines / (mais) Escadrille de sans(s) sonnets ”– ou une grande cour de récré pleine d’enfants et de mères-policières contraintes( ?)) à de violentes descentes de pelouse. L’ordre y règne en dépit des enfants hurleurs et des drames de la rupture chez les fillettes précoces et hispanisantes (Manuel, ya no te quiero...).

Et ça tourne ! ça tourne !

comme un manège.

L’Histoire y a donc un sens, celui des aiguilles d’une montre avec ses saisons qui se détraquent et ses accidents de parcours climatiques dûment enregistrés. Mais qu’on se rassure : en décembre de cette année-là, grâce aux bonnes dispositions des immeubles environnants (importance de l’entourage !), le square évita le fait d’hiver dans les journaux avec le pire de la tempête, les tuiles, la panique, les jambes dans le plâtre, la GDB ou gueule du bois, les assurances, etc. Il n’en fut pas moins chaviré dans ses habitudes en dépit de la présence impassible un Parnassien de marbre, cela va de soi ! du poète Léon dierx qui pouvait s’imaginer à nouveau sous les alizés en se cramponnant fermement à son socle de pierre.

Un piédestal pour un poète, dans ce square-là, on sait vivre !

Ainsi, au square des Batignolles, pour un prix modique 4 francs le tour, 30 francs les dix[2] le monde tourne et on peut en profiter pour finement observer son « manège », un avatar du « ménage », spécialité peu enviable des hyperménagères et un peu des autres aussi, dont il est, on le constate, fort aisé de se prémunir par une simple inversion de voyelles [a/é], un chiasme magique dont le charme opère en vers comme en prose : ... et la corvée du ménage devenait... la joie du Manège.

Les animaux de base, les habituels moyens de transport et les adultes de demain sont au départ : aussi bien l’âne, la moto et l’avion, que le champion de Formule 1 ou le présentateur de TV. Les destinées s’annoncent sous la lumière des lampions, à grands coups de klaxon et d’adieux déchirants.

Les parents, crispés, scrutent l’avenir.

De temps à autre, il pleut dans ce théâtre de quartier, et la pluie provoque la « fuite » des habituels figurants. Car l’humain, vous l’aurez remarqué, craint l’eau. C’est alors dans les arbres du square l’occasion d’un triomphal concert branché.

 L’identification des maîtres chanteurs se fait sur le mode de la paronomase avec les perruches de Coluche ou le Caruso des oiseaux, dit au féminin Carrousel des oiselles. On ne pourra pas contester le caractère aérien, voire céleste, de ces chants harmonieux.

Ce qu’en perçoit Apollon, c’est une autre affaire !

En revanche, ce qui est établi, et parfaitement vérifiable par le visiteur le moins clairvoyant, c’est que ce monde-là est hanté par toutes sortes de zoo/ziau (cf. R. Queneau), à commencer par le moinillon en robe de bure, dit encore « moineau » (à prononcer [mwano] : la phonétique internationale, ce n’est quand même pas si compliqué !) vivante métaphore ...pensant / ces 20 grammes de plumes / ce poids de carte postale, car tout le monde sait que penser c’est peser (ou alors il devient urgent de se payer un bon dictionnaire étymologique).

on peut encore ajouter un Zorro dont il est en effet question à une certaine page, évoquer la variante animale du « pierrot » de Watteau, citer Baudelaire, Isidore, Marguerite Grépon et Béalu, des boulistes flambeurs (parieurs), un poète attardé [...], une économiquement faible (la vieille aux bisets) et surtout des pigeons, beaucoup de pigeons (Ils sont d’ailleurs de la famille de celle-à dans un monde qui mesure tout à l’aune du marché !).

Car il est inutile de consulter ce petit guide charmant, drôle, aérien, pour ne pas dire planant (vocabulaire branché), à l’usage des Enfants ... et des Oiseaux, pour peu que vous n’aimiez pas d’amour tendre les indécrottables pigeons, grands spécialistes de l’amour (la paix, c’est pour les colombes), et que vous refusiez au poète le droit d’aimer tendrement les mots au point d’en jouer de toutes les façons possibles, y compris en trempant sa plume dans un peu de cette délectable « fiente de l’esprit qui vole» dont parle Victor Hugo (cf. Les Misérables).  

(Nard, décembre 2003)

 

[1] Allusion à La Vieillesse d’Alexandre, incontournable étude de Jacques roubaud sur la nostalgie de l’alexandrin.

[2] Qu’on ne demande pas la traduction en heureux, à ce prix-là, le lecteur est prié de calculer son bonheur lui-même.

 

 

 

FEMME A L’OISEAU & AUTRES ENQUÊTES BRÊVES en Poésie de Francine CARON

Les Dossiers d’Aquitaine, collection « Destin du Monde » (35 pages, 7,32 euros)

 Le Poète fait dire à tel linguiste que la “Langue est une construction absurde”. A l’image de la vie. S’en méfier, peut-être, mais s’en servir certainement. Pas seulement pour communiquer. Egalement pour déchiffrer la réalité, tenter de lui donner une traduction valable à travers les indices que le poème sait recueillir. Car il ne faudrait pas se tromper de genre : ce sont bien dix-sept « enquêtes » qui nous sont ici proposées avec le dessein évident de rappeler que le poète est indiscutablement ce « déchiffreur d’énigme » dont parle Roland Barthes dans son célèbre article sur La structure du fait divers[1].

Alors, des faits divers, les proses de Francine Caron ?

En effet ! Et comme il se doit, dénués de toute nécessité apparente, toujours liés à la sphère privée, clos sur eux-mêmes, armés de coïncidences, de contradictions, DRÔLES, ABSURDES, AMBIGUS, ET DONC POÉTIQUES.

Bref, nous sommes en présence d’une réalité mince – quelques menus faits de la vie quotidienne – que l’auteur s’emploie à rendre spectaculaire, c’est-à-dire théâtrale.

Qu’on y réfléchisse !

 Un rideau se lève, un rideau se baisse (La Main). La ville – son métro, ses bus, ses échafaudages etc. – n’est rien d’autre qu’un praticable où tout se joue, avec son décor de toile peinte, l’illusion des maquillages (“votre rouge vous donne les véritables couleurs de la vie”(Vanessa) et des éclairages(Fantasmag(or)ie). Les personnages sont typés, comme ceux de la comédie : femmes-automates, femme-fée, veuve joyeuse, voyeur, ado amateur d’opéra, vieux garçon “poussiéreux”, un “castrateur de taureaux andins” en proie au TOC[2] (Mister Clean) et même un chien lécheur voué aux calmants, et « cabot » désigné. On a des dialogues insignifiants à la Ionesco, on a un quiproquo garanti grand teint (Seul(e) à Paris) et voilà que la scène est traversée soudain par de la vaisselle qui vole ou encore par un cortège de jeunes mariés. Comme dans les vaudevilles.

 Et la clef de tout cela est peut-être donnée en aparté.

 On dit peut-être, car rien n’est simple. On voit bien comment le fait divers littéraire ramène à la réalité des choses – là où le fait divers journalistique cherche le plus souvent une évasion – mais le message reste ambigu. Il s’apparente à la fumée de cette cigarette qui apparaît à travers la fenêtre au bout d’une main inconnue. On ne peut que rêver de la femme invisible (inaccessible ?).

 Certes, on dira que, dans ces textes, l’intention féministe est évidente. Tout le monde verra que dans ce décor urbain, “tout était dur, pointu, aigu”, phallique[3], donc ! Que le tête à tête masculin/féminin aboutit, comme en grammaire française, à la neutralisation du féminin, que lui, il veut “qu’elle soit toujours sa « chose », qu’elle soit toujours tendre, toujours gaie, obéissante, comme une caresse infinie qui ne sait plus qu’elle aussi va mourir” et qu’il suffit de demander à Olympe ce qu’elle en pense pour savoir que c’est absurde.

Mais le plus important n’est pas là. l est dans le plaisir, à chaque lecture renouvelé, que nous offre ce recueil de proses où s’exprime si bien l’humour que porte le talent d’écrivain de Francine Caron.   11 août 2002


[1] Structure du fait divers, dans Essais critiques – Seuil éditeur.

[2] Tic Obsessionnel Compulsif selon la terminologie en vigueur.

[3] Ce qui participe également d’une vision anticapitaliste d’un environnement urbain où l’érection monumentale a marqué le triomphe de la bourgeoisie marchande avec les cathédrales et celui de la bourgeoisie industrielle avec les tours (Tour Eiffel et gratte-ciel).

 

 

 

PARCS et LUNAPARKS de PARIS de Francine Caron, préface de Georges Friedenkraft, postface de Jean-Pierre Desthuiliers, collage de Anja Hagemann - La Jointée éditeur.

Ce que j’aime, d’emblée, dans les haïkus de Francine Caron (on en annonce 150), ce n’est pas qu’ils soient haïkus – dont on n’est pas sûr que quelqu’un de nos contrées sache exactement  ce qu’est cet objet aussi évanescent qu’une geisha – ce que j’aime, donc, c’est qu’ils soient “ écolo-ludico-bucoliques ” et qu’on puisse les considérer globalement comme une expansion du “ Petit guide du Square des Batignoles ” que j’eus l’honneur de “ chroniquer chouettement ” m’affirme l’auteur[e] dans sa dédicace.

 Nous sommes en effet toujours à Paris, cette fois du Palais Royal de Buren à la Fontaine Médicis du Luxembourg. Attention, pas dans le 9/3, mais dans le 5/7/5 ! Un problème de syllabes qu’il faut compter sans s’emmêler les pinceaux – naguère on disait les pieds – d’où cette “ petite didascalie ” par laquelle Francine Caron théâtralise ses emplois des liaisons et surtout du “ e ” qui, comme la fille de Géronte, est capable de rester muet si ça lui chante ou si l’auteur[e] l’exige… Un exemple :

 

Un oiseau découpe

Ses/z/ailErons de plein sud

Sur SeinE… cendrée

 

     Humour soft garanti  !

                                                             (Poésie/première n°39, novembre 2007)

 

 

 

Goya ! Goya ! La Maison du sourd de Francine Caron et Eva Largo. Les éditions Transsignum.

De ces sombres sérigraphies inspirées de Goya, surgit l'image obsédante et pourtant séductrice de la mort. Elle est dans les regards vides, l'abandon des chairs. Elle cerne les visages  dont l'éclat maladif est un rire grinçant. Elle est tache diffuse où le poète lit toutes les peurs. Elle est le doigt de suie qui écrit le destin de la veuve au visage blafard.

Les vers de Francine Caron – en français et en espagnol – assument le terrifiant mystère. Ils accompagnent l'invisible dans des "catacombes verdâtres", "près des Parques livides", s'emparent des moires sanglantes que jette sur cette noirceur, le "pèlerinage de la mort". Ce texte talentueux, en hommage au grand peintre, bénéficie encore d'une traduction anglaise due à la plume de Basia Miller. (Poésie/première n° 46 , mars 2010)

 

 

 

 

Grand Louvre de Francine Caron Editions en Forêt Traduction allemande de RüdigerFischer  préface de Monique W. Laidoire 9€

Une fois passé le calligramme en forme de pyramide de l'entrée, la visite se déroule au gré du poète qui substitue aux lignes et aux couleurs des tableaux, aux formes des sculptures, la pâte de ses mots. Il ne s'agit pas surtout de rendre compte, mais d'affirmer une fraternité en donnant du sens à ce qui est vu, tout en permettant à l'émotion poétique d'affleurer. Ces transpositions sont célébrations, rêveries, anecdotes, impressions. C'est selon. Derrière le tain de ces miroirs, toujours on verra la figure du poète au féminin qui dialogue avec ses ombres familières, s'inquiète d'une "espérance qui mendie", revendique une Liberté "armée de seins de baïonnette et de drapeau". (Poésie sur Seine n° 74/75 automne hiver 2010/11)

 

 

Francine CARON. Riches heures du sexe amoureux  Illustrations de Marie-Thérèse Mékahli. Voix Tissées, coll. Coup de coeur, Montrouge 12

  D’entrée, Francine Caron donne la clef de son dernier ouvrage : « Le plus doux de mon passé me remonte aux lèvres. ». Par antiphrase ? Toujours est-il que l’ouvrage s’ouvre sur une rupture et une tentative de suicide. Mais on voit que l’amour est un vivant paradoxe et qu’il a ses stations et ses actions de grâce : cuisine (« la table solide pour... »), grenier, escalier, cave... Amour total que la mort brutale interrompt (« apprendre mort / un soir / au téléphone »). Douleur foudroyante qui survit dans les souvenirs et l’obligation qu’on se donne de tout dire ! L’obligation d’élever à cet amour une cathédrale intemporelle sans rien cacher des petitesses du monde : « ... 40 ans. Oui, voilà quarante ans que je t’aime. Que tu gisEs / sous terre /, qu’importe. Assez endolorie, assez éperdue pour oser le dire ...  (Poésie sur Seine 81/82 mars 2013)

 

Francine CARON, Âmes Animales, illustrations d'Anne Gary - préface de Silvaine Arabo, postface de Guy Chaty. Editions Voix Tissées 13€

L'homme vit aux dépens de la nature. C'est son destin et parfois sa triste fatalité. Pourtant, et c'est le combat de Francine Caron, là où il a vaincu la précarité, il pourrait comprendre que rien ne l'oblige à être un prédateur cruel, un tortionnaire. Aux animaux familiers, à ceux que la vie maltraitent comme à ceux dont on soigne les apparences pour mieux les assujettir, à ceux que l'industrie alimentaire traite comme des choses ("l'Ogriculture" dit-elle quelque part), Francine Caron dédie ces Ames Animales en faveur desquelles elle mobilise humour et poésie. Cela, sans illusions et sans s'accorder un satisfecit qui serait, elle le sait, déplacé. D'ailleurs, elle l'écrit : "Et moi, je mange aussi... votre agonie. De vos malheurs, je fais pâte de mots. Des mots qui gênent et qu'on digère encore... (Poésie sur Seine n°85 avril 2014)

 

 

Pour le plaisir des hirondelles, textes de Jean Chatard d’après les desins de Claudine Goux. Editions Soc et Foc.

Dans cette superbe plaquette, dont la réalisation a valu aux éditions Soc et Foc le Prix de la Meilleure Création au festival de Soultz en 2004, le poète Jean Chatard écrit sur les vignettes du peintre Claudine Goux, où le motif reçoit les déformations poétiques, colorées et chaleureuses du cubisme ou de l’art brut. On pense à Picasso, à Klee et à Gaston Chaissac qui a naturellement sa place dans le panthéon vendéen.

Remarquable duo. Textes et dessins entrent dans un jeu de captivants miroirs, comme “ Violon et flûte ”, titre d’un des seize poèmes ainsi illustrés, où “ Le poumon s’organise et la main/caresse en soupirant/l’échine des rivières ”. Nulle soumission, cependant. A chacun sa rhapsodie. Celle de Jean Chatard, talentueuse, inspirée, a la couleur de l’ancolie ou du jasmin, elle suit la folie du “ temps qui court ”, elle est attentive aux doux murmures des nuits ordinaires, elle se pare d’exil et de frisson, elle ne déteste pas d’avancer masquée d’un loup dans l’attente de l’aube. Elle sait que toute calligraphie joue sur une poétique des signes et des marges, enfin qu’il faut à chacun sa part de tendresse humaine pour oublier “ que tout est provisoire et qu’il faudra se séparer, la fête terminée”. (Poésie/première n°36 octobre 2006)

 

 

LES ARCHIVES DE LA NUIT de Jean Chatard,préface et choix de Francis Chenot - éditions L’Arbre à paroles anthologie 25 euros

Pour cette anthologie dont le titre, Les archives de la nuit, est celui d’un recueil inédit et récent de Jean Chatard, Francis Chenot a exercé son choix – forcément partiel et partial, il en convient – parmi un nombre impressionnant d’ouvrages publiés depuis 1967. En tout cas de quoi se faire une idée suffisamment pertinente d’un poète talentueux dont on apprécie également les chroniques. Jean Chatard est indiscutablement un lyrique en ce sens que sa poésie exprime avant tout une forte sensualité, celle qui s’attache aux mots étant probablement de la même nature que celle qui s’attache au corps. Pourtant, Jean Chatard ne se raconte pas. Avec lui, le message a plutôt tendance à se dissoudre dans la sensation et la trame harmonieuse des mots. Dira-t-on que le poème ne parle que de lui-même ? Evidemment non, car est révélateur l’emploi récurrent de certaines séries lexicales : vocabulaire qui touche à la mer et à la navigation – vocabulaire du corps et de la sensualité. Nous devinons qu’une souffrance est tapie derrière les mots, que cette profusion est aussi pour le poète une façon – consciente ou inconsciente – de mettre une distance entre elle et lui, de la même façon que “ il ” se substitue à “ je ” pour des confidences trop directes comme celle-ci qui n’est pas loin de clore cette anthologie : “ Secrètement blessé il range le silence / dans les archives de la nuit ”. Poésie/première n°39, novembre 2007)

 

 

 

Les marins, Chants des équipages de Jean CHATARD préface de Yves la Prairie éd. La Découvrance

     Qui mieux que Jean Chatard – marin et poète – pouvait accompagner, d'un commentaire à la fois chaleureux et compétent, ces chants qui depuis toujours ont rythmé la vie des gens de mer, qu'ils soient matelots ou maîtres d'équipage, jeunes mousses ou vieux loups burinés par les embruns? On pense bien évidemment aux vers des Fleurs du Mal : "Homme libre, toujours tu chériras la mer ! / La mer est ton miroir ; tu contemples ton âme / Dans le déroulement infini de sa lame..." Car ces chants, qui accompagnaient les voyages au long cours, savent tout restituer d'une vie rude mais exaltante, sans craindre ni l'humour ni le pathétique ni le langage cru des hommes privés de tendresse et condamnés pour de longues semaines au lieu clos d'un navire.

     Ainsi ne s'étonnera-t-on pas de rencontrer, dans ce livre document patiemment établi, la nostalgie d'un autre temps, d'un autre monde, celui des grands voiliers et des horizons à découvrir et, finalement, l'hommage fraternel rendu à tous ceux qui, soit nécessité, soit vocation, n'ont pas craint de marcher sur le toit pas si tranquille des grands océans. (Poésie sur Seine n° 79, hiver/printemps 2012)  

 

 

Jean CHATARD – Et toute la plage s’effondre, tu le sais bien Editions Sac à mots.

      Jean Chatard fait à nouveau escale sur la page blanche pour établir en vers somptueux le compte de ses jours et de ses nuits. Que devient l’avenir quand l’équipage a vieilli et que le naufrage attend au bout de la jetée ? Il revient au poète de voyager dans sa mémoire – faire « son nid dans les forêts / de la mémoire ou les haubans du désespoir » – et de lancer sa « caravelle de papier » sur les fonds sombres ou bleutés des souvenirs. Ainsi accoste-t-il à tous les rivages, ceux des amitiés perdues et ceux des « amours folles », remonte les chemins de pluie, danse au sommet des houles, revisite les îles – « les îles les îles ah les îles souviens-toi » – s’aventure jusqu’aux portes du désert et jusqu’aux portes des regrets. Ainsi se dessine la ligne d’un destin, voué aux rencontres et au partage, qu’il faudra suivre  « jusqu’au bout du couloir / qui mène à nulle part ». (Poésie sur Seine n° 81/82, mars 2013)

 

 

 

Les espaces perdus d’Antoine, récit de Guy Chaty, 100 pages.  Editinter éd.

Les écrivains ont toujours des problèmes à régler avec leur double.

Antoine est celui de Guy Chaty qu’il nous invite à regarder vivre dans ses souvenirs les plus lointains. Il a quel âge, Antoine, pendant l’exode avec sa famille, dans ce village inconnu du Loir et Cher ? Alors, il a peur de tout. De M. Lanin, le fermier, du chien, des cochons et des Allemands avec leurs gâteaux empoisonnés. Est-il héroïque ou gourmand, allez savoir ? Il se risque... D’ailleurs, les Allemands ne sont pas si méchants : la preuve, ils chantent tout le temps. Il faudra attendre quatre ans pour qu’ils déchantent. En attendant, c’est le retour en région parisienne, l’école, les restrictions, les bombardements. L’arrivée des Américains. Enfin !

Tout ce temps pour que la vie se découvre dans le triangle que dessinent pour Antoine l’église, l’école, la maison : on apprend à se servir des patins de la salle à manger, qu’à l’école il faut lever le doigt pour avoir le droit de parler, que les enfants naissent dans le ventre de leur mère, qu’il y a des choses qui font bien plaisir mais qui sont de graves péchés, que dans la hiérarchie des choses désagréables, les piqûres (celles qu’on vous inflige pour votre bien) précèdent la piscine et la gymnastique, que l’autobus est toujours complet qui doit vous amener à l’heure au collège. Bien d’autres choses encore.

Et puis voilà qu’Antoine a grandi. Ce double sympathique que l’auteur a observé avec une indulgence amusée et quelque distance – il dit « il » en parlant de lui – va s’effacer, sans jamais tout à fait disparaître, au profit d’un jeune homme de seize ans dont le « je » affirmé est mûr pour affronter les aléas d’une vie d’adulte : l’amour, la mort, le métier. La chrysalide et le papillon !

Aujourd’hui, Antoine ressurgit dans ce court récit, drôle et nostalgique, où l’Histoire s’inscrit en filigrane, un témoignage en quelque sorte, à travers ce qui demeure, dans la réalité et dans les souvenirs, d’une enfance partagée entre trois espaces – les espaces perdus d’Antoine : village des origines familiales, village de l’exode, ville ouvrière de la région parisienne – dont les années ont nécessairement ébréché les contours. (Brèves n°79 troisième trimestre 2006)

 

 

PHONÈMES EN FOLIE de Guy CHATY Editions Interventions à Haute voix 10 

Habitués que nous sommes à le voir sagement rangé dans les dictionnaires, nous pensions le mot à l’abri des aventures inavouables et des dérapages coquins ou scandaleux. Erreur ! L’auteur de Phonèmes en folie  – le mot phonème, tous les linguistes vous le diront, se décline en « faux nez / faux néné – faune aime – faux nem » – après Des mots pour le rire (Editinter 2000), dangereux récidiviste donc, administre la preuve du contraire en dévoilant sa nature si insaisissable et déconcertante avec ses sonorités ambiguës, ses limites incertaines, ses connotations incontrôlables. Qu’il traite du quotidien, des bruits intimes, de l’œil qui quitte son orbite comme un satellite fatigué etc., ce spécialiste de l’à-peu-près réjouissant comme de la syllepse1 oratoire de premier choix n’abandonne jamais tout à fait le philosophe qui sommeille en lui et qui nous découvre une réalité que nous aimerions tellement oublier : l’absurdité d’un monde pour lequel nous avons souscrit malgré nous un ALLER-RETOUR que Guy Chaty décrit en des termes incontestables. « Vivre : sortir du néant sans le savoir / pour y retourner en le sachant ». (Traversées automne 2008)

___________

1 On se souvient que la syllepse dite « oratoire » est une figure de style où le même mot intervient dans le message sous deux sens différents. Exemple emprunté à G C  : « Drogue / Il se piquait de littérature ».

 

 

 

Amour de Jardin de Guy CHATY dessins de Chantal Robillard. Collection Raphia Alain-Lucien Benoît éditeur

Voici la chronique d’une double rencontre : un homme et une femme, un couple et une maison avec jardin : « Tout commence par un pique nique dans le jardin sous le prunus japonais... » C’est vrai pour l’histoire d’amour avec le jardin, mais pour l’autre, c’est plus compliqué : il y a avant et il y a après. Et le livre, vous en faites quoi ? Un Modiano, ce n’est pas du jardinage ! Oui mais, de la littérature à l’amour et de l’amour au jardin, il n’y a qu’un pas – pas forcément japonais au demeurant – que vous franchirez en herborisant avec ce n° 2 de la nouvelle collection Raphia qu’accompagne joliment les dessins du peintre Chantal Robillard. (Traversées)  

 

 

 

Coups d’œil en coulisse de Guy CHATY. Editions D’Ici et D’AilleurS (29, rue Louis Bougard 77100 Meaux) 10 €

Rien de plus banal, dans une rue, qu’un chien au bout d’une laisse que sa maîtresse caresse : « Il remue la queue et halète, la langue sortie ». Mais que devient la scène si, par quelques transformations imprévues, le chien devient – toujours au bout de la laisse –  « un homme sur le dos, nu et heureux de l’être » ? Il serait de bonne guerre d’interroger les passants. Mais on peut aussi lire Guy Chaty qui, depuis les coulisses de son théâtre personnel, s’efforce de s’interroger sur les troubles de la causalité qui affectent notre quotidien. Ainsi le rêve d’Icare se trouve par lui revisité, on comprend enfin l’intérêt qu’il y a à voler les stimulateurs cardiaques sur les cadavres des cimetières, comment le théâtre du vide (ne pas confondre avec le théâtre de l’absurde) a l’angoisse de la salle comble, on a accès aux dessous cachés d’une naissance divine etc. Bref, Guy Chaty confie au « sphinx noir » de l’humour le soin de dévoiler l’homme (ou la femme) dans ses postures les plus inattendues. Poser les bonnes questions, tout est là. « Dieu, et si c’était... une femme ? Et si c’était un noir ?  Et si c’était le vide sidéral... ? Et si c’était l’amour ?». Dis donc, Guy, j’ai peur de dire une bêtise, car je suis loin d’être un spécialiste, mais si c’était... l’humour ?  (Traversées n°56)  

 

 

 

Mes navires  de Guy CHATY Anthologie de poèmes courts 1979-2010 Editions de L'Atlantique 17€

Cette belle anthologie, rassemble des croquis qui sont autant de notations sensuelles, d'images capturées pour peindre, au plus court du poème, l'instant fulgurant où s'inscrit la beauté des choses, leur mystère ou leur fragilité : "balbutiement" d'une feuille qui dégringole, goutte d'eau "sur la joue brune des arbres", "galets roulés / dans la soie / du bruit", massacre stupéfiant des roses un jour de pluie. Ici, le peintre paraît s'effacer au profit du motif. En fait, il reste tout entier présent dans le regard et dans les mots. Le voici même parfois tutoyant le réel : "Tes yeux... Tes seins... Ton ventre...", d'où surgit une réalité érotique dans laquelle il s'implique avec élégance. Quand il se pense en tant qu'individu, il sait que la nuit peut être une prison, que si le corps s'échappe, il lui faut trouver la bonne posture pour danser avec les mots. Surtout, rien ne permet d'apprivoiser les contradictions du monde, on ne peut que les énoncer dans un ricanement tragique : déchets qui flottent sur la mer, semence noire et mortelle des "missionnaires" armés. Au bout du compte, on découvre que l'existence s'accroche au reflet d'une vague qui "s'essouffle sur la plage" ou bien qu'elle est cette péniche que "chacun hale... / corde tendue/ trébuchant". Le poète ne peut qu'enregistrer l'absurdité du monde : "Mon arbuste est mort / Je l'ai enterré / debout / comme un arbre". Là est sa révolte. (Traversées n°62,  mai 2011)

 

 

Guy CHATY A cheval sur la lune Illustrations de Raphaël Lerays Editions Soc & Foc 12€

On verra qu'ici, bien servis par une mise en scène colorée de Raphaël Lerays, les mots de Guy Chaty se mettent en quatre, se plient en deux, se regardent dans le blanc de la rime, se télescopent joyeusement, jamais à court d'étincelles poétiques qui feront briller les yeux des jeunes lecteurs. Tous – et les grands ne seront pas en reste – aimeront découvrir, à travers ces délicieuses comptines, la fantaisie des saisons, celle tout aussi imprévisible des êtres et des choses quand la poésie, en danseuse sur son vélo magique, en met "un rayon /pour filer/ Comme une étoile". Une indiscutable réussite. (Poésie sur Seine n°81/82, mars 2013).

 

 

"Guy Chaty fait son cinéma", DVD réalisé par Philippe Masson 15 € (extraits sur You tube - disponible chez l'auteur, 16, rue Taylor 75010 Paris - ajouter 4€ pour le port).

On l'aura compris, c'est Guy Chaty lui-même, auteur et acteur, que Philippe Masson a choisi de mettre en scène dans un spectacle inventif dont plusieurs des meilleurs textes du poète ont fourni le scénario. Rues, squares, places et jardins publics (qu'on s'amusera à identifier), différentes pièces d'un appartement (que ses familiers reconnaîtront), et même une salle de cinéma (n'est-ce pas logique ?) fournissent le cadre naturel et les accessoires indispensables (miroir, pommes de douche, statues etc.) à cette réalisation en trois parties : La vie en raccourcis, L'âme des pierres, Contes pétris. On ne s'étonnera pas que la dimension humoristique ou simplement narquoise ait été justement privilégiée, mais on verra qu'elle va souvent très au delà d'une transgression gratuite comme on peut l'éprouver aussi bien avec des textes relativement longs qui débouchent sur une réelle émotion (Excusez-moi d'être vieux, par exemple) qu'avec des brèves dans lesquelles à-peu-près, calembours, contrepèteries soulignent l'absurdité et les dérèglements du monde. Une autre façon de découvrir ou de retrouver avec plaisir l'oeuvre de Guy Chaty.(Poésie sur Seine n° 83, juillet 2013)  

 

 

 

GUY CHATY, Dans le jeu la vie, nouvelles Editinter édition  15€.

Dans ce dernier recueil, Guy Chaty nous offre à déguster 22 courtes nouvelles, la plus longue n'ayant que huit pages. C'est dire que, selon l'excellente formule de Jean Cocteau, il lui revient à chaque fois de viser vite et juste. Pas question pour lui de traîner en route et de laisser le lecteur se reprendre pour échapper à l'engrenage implacable de la fable ou du conte qu'il conduit, avec l'humour qu'on lui connaît, dans ses ultimes conséquences. Ainsi sommes-nous constamment confrontés à cette réalité biaisée à quoi se reconnaît la difficulté de vivre. Ici, le lion est végétarien ou l'âne est amoureux de la charmante écuyère. Là, les personnages s'entêtent à porter des prénoms dont le genre est aussi indéterminé que le sexe des anges. Voici à présent un pianiste dont le talent est d'abord d'obéir à la nature féminine et exigeante de sa partition. Bref, dans ces nouvelles comme dans la vie, le drame est à fleur d'histoire, même si l'auteur répugne aux fins tragiques. Mais comment empêcher les avions d'exploser en plein vol ? (Poésie sur Seine n°89, août 2015)

 

 

Guy CHATY, J’avais quelque chose d’urgent à me dire, La main aux poètes Editions Henry 8€

Comment échapper à l’absurdité du monde, son étrange capacité à contrarier nos désirs les plus légitimes ou, tout au contraire, à susciter les envies les plus irrecevables ou les plus dangereuses ? Le personnage central  de ce recueil –  un « je » multiple – s’efforce de tout concilier, mais la vie est ainsi faite qu’il ne saurait vraiment y parvenir. Des exemples simples : « Je suis monté chez moi. J’ai sonné. Personne. J’étais sorti ». Que faire ? Vous avez la solution, vous ?  Voici un trou, certes  ordinaire, mais comment éviter la peur d’y être aspiré, englouti ?  Une échelle tombe du ciel : d’accord, il s’agit manifestement d’une provocation, mais comment résister à la tentation d’escalader les nuages et d’aller voir là-haut ce qui s’y cache ? Un petit dernier pour la route : votre double vous visite, de nuit de préférence, car ces gens-là sont volontiers noctambules, vous faites quoi, vous ? On peut prévoir que le lecteur avisé s’empressera d’aller chercher les réponses dans cet excellent recueil de notre ami Guy Chaty. (Poésie sur Seine n°90,décembre 2015)

 

 

Dans la nudité du temps de Stéphane Chaumet éd. L’Oreille du Loup  7 euros.

Le recueil de Stéphane Chaumet est le premier d’une série que la jeune maison d’éditions, L’Oreille du Loup, consacre à la poésie. Il rassemble des poèmes courts, précis (il s’agit de “ ralentir l’invasion des malentendus ”), construits autour des sensations dont on accueille les émois. Ici, le corps s’éprouve, “ présence vulnérable ”, un corps qui s’interroge, frémit comme un “pouls [qui] bat dans les tempes de la nuit ”. Une ambition littéraire s’exprime : “ … parfois extraire un éclair / qui danse au creux de la paume ”. Une réussite. (Poésie/première n° 42 oct. 2008)

 

 

De deux choses lunes de Francis Chenot et Rio di Maria - L'Arbre à paroles éditions 10€.

La lune est là, accrochée aux nuages, et deux poètes, l'un romain, l'autre italique – c'est façon commode de dire ce qui les distingue – tels deux loups fraternels, offrent à l'astre blême le partage des mots. Ainsi, paroles détournées, agencement de syllabes nocturnes, gravitations imprévues des mots se déclinent, la page de l'un regardant celle de l'autre, en sombres lupercales et s'orchestrent pour un brillant concert de sizains avec "nuits de brouillards et bruit de peurs anciennes". Il convient d'aller voir dans ce brillant recueil ce que les enfants loups, complices, amicaux et parfois facétieux, font de leur nostalgie. (Poésie sur Seine n° 74/75 automne hiver 2010/11)  

 

 

 

Bûcheronner le silence de Francis Chenot L'arbre à paroles 12€

     Ce recueil est né, en résidence d'auteur, au coeur de l'hiver québécois, version lointaine et radicale de l'Ardenne forestière où bûcheronner le silence est déjà de rigueur. Ici l'horizon est une page blanche. A la surface, les mots ont l'apparence immobile et glacée des bois flottants. En profondeur, le poème y distille ses "élixirs", ses "alcools interdits", toutes les promesses du printemps à venir. Dans ce cadre, c'est à la solitude du poète qu'il revient de fendre la bûche du silence pour atteindre, au coeur des mots, l'ébauche du poème qui n'est encore que traces silencieuses sur des marges de neige, calligraphies hasardeuses, battements ralentis du temps.

     Couleurs inépuisables du silence !

     L'enfermer dans une définition est une impossible gageure. Le poète préfère l'illustrer par une parcimonie de la parole qui parvient à mesurer ses mots pour le donner en partage, le "faire entendre à qui sait écouter", lui reconnaître cette longue patience qui nourrit les souvenirs et les fait soudain ressurgir. C'est ainsi que les rives de la Meuse et celles du Saint-Laurent confondent leur histoire, témoignent d'autres Chenot et d'un autre temps où le silence était la marque première et indélébile d'une liberté. Là est indiscutablement son triomphe, même si le contre-chant qui clôt ce beau recueil amplifie la voix du poète pour concéder que "l'écriture ... née du silence (et s'il vit c'est dans un tremblement de lèvres) ...  ne parvient qu'à l'effleurer". (Poésie sur Seine n° 76, printemps 2011)

 

 

 

Généalogie du paysage, Quatrains limousins, de Sylvestre Clancier. L’Harmattan.

Sylvestre Clancier inaugure ici une nouvelle collection de poésie que dirige le poète Nicole Barrière : Accent tonique dont l’ambition est de retenir les poètes qui inscrivent leurs œuvres dans l’histoire des hommes et dans les paysages où elle déroule ses méandres. C’est par une suite de quatrains rimés et le recours à la langue d’oc que Sylvestre Clancier réalise l’essentiel de son projet, mais l’ensemble du recueil est un hymne nostalgique à ce pays rude et beau de l’enfance, depuis toujours terre de résistance et que l’on sent encore habité par les dieux qui aidaient à conjurer le mauvais sort sans toutefois délivrer les hommes du pain noir.(Poésie/première n° 44, juin 2009)

 

 

 

 

L’OS CHANTE un hueso canta Gérard Cléry  L’arbre à paroles

Il s’agit d’une édition bilingue à plus d’un titre puisque les poèmes de Gérard Cléry sont traduits en espagnol d’abord avec les mots du poète chilien Osvaldo Rodriguez et en images ensuite par le peintre Guillermo Nuñez, directeur de l’Ecole des Beaux Arts de Santiago du Chili au moment où éclate le putsch des généraux.

Cette précision est essentielle, car ce que dit le poème dans ces pages minces et énigmatiques, est sous nos yeux – mots ou illustrations – comme un univers décharné, tranchant et nu comme un caillou ou comme une dent, un os aussi, et s’il chante, c’est d’une voix blanche qui dit la déchirure, la blessure, le vertige, un monde extrême, douloureux où les assassins rôdent.

Cette poésie n’est pas engagée, elle n’est pas prophétique, elle est un constat tragique ou un questionnement auxquels on ne saurait échapper :« quelle fenêtre sait/quelle fenêtre voit/quelle fenêtre enseigne/derrière laquelle de ses sœurs/on se consume ». (Poésie/première n°32, juillet 2005) 

 

 

 

LANTERNE D’AUBE de Marie-Lise Corneille

 C’est à l’aube que l’on meurt ou que s’enfuient les fantômes huppés – « rap aux dents / hanches rockeuses, / guiboles jazzistiques » – sous « le haut-de-forme chic/ de la gracieuse nuit ». Le poète recueille, dans cette mince plaquette, les accents d’une vie frénétique où les mots s’entrechoquent dans des allitérations de sons, de couleurs et de lumières : « L’argent crée l’éternité/ Ne plus être !/Paraître ! Paraître ! », abandonnant à un âne rustique le soin d’assumer la morne tradition dans des « litanies rauques de chapelet ». Vision pessimiste du monde ? Peut-être. Chaque homme porte en soi son double criminel. L’actualité est là pour en témoigner. Mais pas seulement. Il y a le pas aimé que l’on guette, la « jubilation » de deux corps qui s’étreignent... Le « crépitement migraineux de la pluie » ne peut à tous coups effacer la « rumeur caressante du vent ».  Poésie/première n°37, mars 2007)

 

 

Au crible de l’exil de Marie-Lise Corneille 5€

Poésie lapidaire. Fulgurance du trait. L’auteur[e] est à l’affût des images et des sons de la vie quotidienne. Voici midi qui plante son « Couteau de feu / dans la figue du jour », la Seine « Qui dandine sous les arches /ses hanches de grisailles », la « lutherie des vents »... Tantôt, Marie-Lise Corneille nous propose des croquis de voyage, tantôt elle retient l’aphorisme qui scelle la pensée. L’ensemble pourra paraître décousu, mais à chaque page le lecteur aura l’occasion de rencontrer « sa » perfection. Pour moi, ce fut ce poème intitulé « Un banc » :

 

Un banc cloué au béton

rêvait

 

Face à la mer

  (Poésie sur Seine n° 68, printemps 2009)

 

 

DE CLAIRIÈRE EN CLAIRIÈRE de Danièle CORRE - Prix de l’édition Poésie sur Seine 2002  10 €

Pour Danielle Corre, la poésie n’est pas seulement un livre d’images. Elle est approche successive et finalement conquête : “hisser / de mot en mot / le balbutiement du sens ”. Avec cet excellent poète, on va De clairière en clairière vers quelque chose qui lui appartient en propre et qui, à chaque pas pourtant, nous parle un langage que nous reconnaissons.

Car tel est bien le bonheur du partage quand il a la saveur des mots savamment assortis et qu’il occupe tout l’espace du poème pour se déplier comme un éventail finement décoré et toujours musical : ici “un grillage d’ombre”, là “un jour désassemblé”, partout “un chant [qui] vibre / dans l’épaisseur du temps” et, dans un sentier de grande randonnée, les traces nostalgiques de l’enfance.

  On verra que cette poésie est aussi simplicité dans le choix des mots, l’ordonnance du vers et de la phrase : “Se souvenir de la rosée / très douce / fixant la beauté / dans le matin”. Mais pas une poésie naïvement émerveillée devant les seules beautés du monde. Dans le jeu de la vie – “La vie chétive / qui crie” – il y a aussi, nous dit-on, des cases noires, et la question mérite d’être posée pour savoir : “Qui joue et gagne...” sur cette surface singulière. D’ailleurs, dans ce monde énigmatique, parmi les “lieux pillés” et les “haines rampantes”, sait-on assez que la mort peut apparaître comme une ultime tentation : “quelle est cette main / qui au bord du vide / me retient ?”

Danielle Corre a conscience qu’il est des “rêves carnassiers” dont rien ne protège l’enfance : “Blanche la houppelande / qu’ensanglante le loup / dans le silence des fleurs”, et qu’en dépit de l’immense consolation du poème – “Le poème venu / pansera les plaies…” – rien ne peut empêcher que “Dans la nuit / le train traîne avec lui / une plainte inguérissable”, que la vie s’inscrive sur les murs et sur les pages en sombres graffitis.

Un beau recueil à découvrir. (Poésie sur Seine n° 45, juin 2003)

 

 

 

COMME SI JAMAIS PERSONNE de Danièle CORRE - Editions Aspect 14 euros

La poésie de Danièle Corre se nourrit de l’espace, d’un espace concret, vivant, où s’entendent des « bruits de graviers », un air de flûte qui monte des roseaux, le sanglot qui soudain s’envole des eaux tranquilles, un espace « d’histoire ancienne » où, en dépit du loup qui rôde, l’enfance organise ses goûters de fruits murs. Double face des souvenirs ! Ils servent autant à « retrouver la piste des cailloux blancs », « l’autrefois des rires », qu’à « vérifier / que les monstres / restent enfermés dans / un cauchemar d’enfant ». L’écriture est la meilleure réponse. Elle n’est jamais « parole pétrifiée » comme on en lit sur le marbre des tombes. Elle est parade musicale et fulgurante des images. Elle permet de marcher avec l’apparence conquise d’avoir enfin « enterré nos larmes ». (Traversées n°54, printemps 2009)

 

 

 

 

L’éveil des eaux dormantes de Maurice Couquiaud Le Nouvel Athanor 14 €

Les eaux dormantes sont celles de l’espace où s’infusent les étoiles. Il fut un temps où on entendait chanter les sphères armillaires. Pour notre poète, la « mystérieuse chorale » est toujours là comme un « météore tombé d’un lointain mystère ». Lui font écho les mots sous la plume, la corde sous l’archet ou encore le pinceau.

Faudra-t-il abandonner au Hasard « la mise en scène de l’inconnu » ? Se livrer à « l’idéologie de la pesanteur » ? Il y a pour ce poète un « lyrisme de l’infini ». On est avec lui assez loin pourtant du pari pascalien. Il s’agit toujours « d’apprivoiser ses peurs », mais il met son salut dans le poème – le cœur peut « s’embellir de ce qui le ronge »  – qui devient une autre forme de la prière. Poésie/première n°37, mars 2007) 

 

 

Maurice Couquiaud - A la recherche des pas perdus L'Harmattan 13€

     On parlera d'anthologie personnelle puisque ce recueil rassemble des textes rédigés sur une période d'une vingtaine d'années, certains ayant déjà fait l'objet d'une publication en revue. Poèmes ou proses ? L'auteur laisse au lecteur le soin d'en décider. A celui-ci de voir au delà de la forme quand celui-là a su capter la rayonnante lumière de la poésie.

     Cette poésie devra frayer sa voix à travers les aléas d'un univers confus, trouver son assise pour un instant d'arrêt, compter avec la douleur modernisée, s'accorder à l'emphase d'une rêverie chargée d'embruns, accepter de rouler avec la vague vers le dernier écueil.

     Maurice Couquiaud fait confiance aux mots et aux images qui disent le passé et portent le présent en dimensions multiples. Par eux, il a conscience de devenir "sans cesse le moi d'une mémoire plus longue", que chaque instant qui meurt survit dans le suivant, que toute présence est "embellie / de tout ce qui n'est pas elle...", tandis que la vie s'inscrit dans la lutte harmonieuse des contraires. Il est le poète d'un monde relatif qui fait de la lumière "la source du destin". Surtout, il se méfie des certitudes, des pièges de la dérision, du "bruit d'enfer" que font les hommes, et sa poésie hésite entre prière et équation. Il a la légitime ambition de "pavoiser les mots et leurs frissons", d'installer le poème sur la branche comme un fruit d'amour et d'étonnement, un soupçon de mystère et de science au bord du vide. Pour lui, "le poème est le Bien des mots". ( Poésie sur Seine n° 8081, mars 2013)

 

 

 

FRANÇOISE COULMIN . Quelques méchancetés moins une. Préface de Jean-Luc Depax. Editions l’Harmattan 8€

      Le milieu de la poésie est-il très différent des autres : milieux de l’entreprise, de l’éducation, de la santé, etc. ? Il me semble bien que Françoise Coulmin s’emploie malicieusement à démontrer le contraire à travers une galerie de portraits où se retrouvent – ici comme partout – le généreux, le frustré, le besogneux, l’ambitieux, l’inspiré, l’hyperactif, le « démolichieur », le « théorichien » (elle aime beaucoup les mots valises).

      On fera confiance au lecteur/poète pour refuser d’y reconnaître son double familier, le premier de la liste faisant toutefois exception.

      Par pure modestie, évidemment.

      Qualité essentielle des poètes, comme chacun sait. (Poésie sur Seine n° 81/82, mars 2013)

 

 

 

FRANÇOISE COULMIN . Guérir d’enfance. Préface de Werner Lambersy. Editions l’Harmattan 10, 50€

Que sait-on de son enfance ? Ce qu’en disent nos souvenirs ? Voilà matière plutôt mince et souvent trompeuse. Il reste des questions : Est-ce que... ? Pourquoi ? Et plus que tout le sentiment d’avoir vécu cette enfance autant dans l’urgence du quotidien que dans le rêve ou le jeu. Bref, la réalité du monde fait entendre ici ses rires, ses solitudes ou ses échos cruels. Cités ou jardins, le cadre importe peu. Il y a toujours des mots à trouver pour mettre sur les joies comme sur les peurs. Des mots déchiquetés ou des mots fiers, habités par le chant des oiseaux. Françoise Coulmin a trouvé les mots simples qui conviennent à cette enfance fragile et précieuse dont on ne guérit pas. (Poésie sur Seine n° 81/82, mars 2013)

 

 

 

La nuit diamantine de Jean-Louis CROUSSE éditions du Gril 

Il vient un temps où on prend racine au milieu du chemin, au coin d’une rue. On devient arbre : hêtre ou ne pas hêtre ? L’auteur ne récuserait sans doute pas ce vilain jeu de mots car les mots, il les aime et il en joue en virtuose. Ecoutez-le !

Il nous met sous un flux presque ininterrompu de paroles, il nous fait subir une avalanche de signes où se reconnaît la vie. Son grand théâtre. Et sur le praticable, l’humanité entière est convoquée, y compris ses représentants les moins reluisants. N’insistez pas, je ne donnerai pas de noms. Allez-y voir !

 L’auteur aime aussi beaucoup les citations (Il a, précise-t-il, « tout un sac plastique de citations » qui vont de Shakespeare à Tintin en passant par Musset, Rimbaud etc.) et plus encore les questions dérangeantes, celles que certains disent idiotes comme, par exemple, « à quoi ça sert les prisons ? sont-ce bien ceux qui y sont qui doivent y être ? à quoi ça sert...les lois du marché ? Dieu ? le mariage ? ». Voilà une bien dangereuse « maïeutique » car, si on insiste, on se fait traiter de fou par une dame dans le métro ou bien on doit boire la ciguë.

 Puis la nuit – La nuit diamantine – laisse tomber son rideau de rêves. Au revoir Hamlet, Horatio ... Une grande voix se tait. Mais je l’entends encore demander : Faut-il se vouloir poète ou tout simplement « essayer d’être un homme » ? (Les Saisons du Poème n° 27/28, déc. 1997)

 

 

 

Missak, roman de Didier Daeninckx Editions Perrin

Missak Manouchian a été fusillé avec ses camarades de L'Affiche rouge le 21 février 1944. Nous avons en tête Les Strophes pour se souvenir, inspirées à Aragon par la dernière lettre de ce martyr de la Résistance à Mélinée, sa femme et sa compagne de lutte. Peut-être sait-on moins que ce poème, que Léo Ferré mettra magistralement en musique, est aussi l'hommage d'un poète à un autre poète. Oui, Missak écrivait des poèmes en français, pratiquait l'arménien littéraire, traduisait Baudelaire, Verlaine et Rimbaud pour des revues arméniennes et aimait citer l'Enfant grec de Hugo à son ami, le peintre Krikor Bedikian : De la poudre et des balles ! Le voici désormais, par le biais d'une enquête journalistique aux révélations douloureuses et certainement dérangeantes pour certains, le personnage central d'une trame romanesque dont les bases sont solidement étayées par l'histoire d'un demi-siècle épouvantable qui, pour cet immigré héroïque, va du génocide en Arménie aux fossés du Mont-Valérien. Un beau livre qu'accompagne, sous la même signature, mais aux Editions Rue du Monde (dont le catalogue offre de nombreuses références à la poésie), Missak, l'enfant de l'Affiche rouge, album destiné à la jeunesse et superbement illustré par Laurent Corvaisier dans une conception graphique d'Alain Serres où les polychromes d'une existence qui se construit dans l'amour et l'amitié s'opposent aux noir et blanc de la terreur bottée et casquée. (Poésie/première n° 46, mars 2010)

 

 

Le livre d'heures tome 1 de Louis DELORME éditions du Brontosaure

L’auteur nous propose, dans une belle édition par lui-même illustrée et polychrome, un retour au sens, une autre « renaissance », en réaction à une libération certes salutaire, mais qui a fini, nous dit-il, par entraîner la poésie vers l’abstraction et l’ésotérisme. Telle est la raison d’être de ce « Livre d’heures », ici plutôt « un livre des jours puisque à chaque feuille de l’éphéméride [correspond] un texte ».

Ainsi, du 1er janvier au 31 mars, chaque jour est accompagné d’un rondel, souvent accommodé aux nécessités de l’auteur, mais dans une langue toujours limpide et parfaite. Personnellement, j’admire le savoir-faire poétique et charmant de Louis Delorme et j’adhère à sa philosophie du bon sens et du quotidien.

L’auteur sait que d’aucuns riront de cette folle « croisade ». Qu’importe, qu’on le lise ! Il ne craint que l’indifférence.  (Les Saisons du Poème n°25, mars 1997)

 

 

SI LENT SILENCE d’Eliane Demazet. Librairie-Galerie-Racine 12€

Un beau titre est un heureux présage pour le lecteur. Ici, il a suffi d’un mot échangé (long/lent) et le silence a cessé d’allonger son cou de sphinx pour épancher ses respirations salutaires sur la trame des jours. Eliane Demazet le dit à sa façon, il faut pouvoir [re]poser quelque part ses chagrins et ses deuils. Se protéger de la flamme qui brûle, du cri qui interpelle, de la souffrance des hommes qui est l’éternel spectacle des dieux.

Il y a “La nuit où je suis morte...” confie Eliane Demazet à son poème.

Le silence habite alors “le froid de la pierre / et la croix blanche dans le vent”, mais le sourire de l’enfant, ses paroles claires, ses pleurs, l’accompagnent et se refusent à l’oubli. A l’oubli, mais pas à l’apaisement qui revendique ses eaux lentes comme une Loire familière.

J’aime cette poésie sans esbroufe, aux effusions retenues, à la ligne épurée, qui offre sa partition aux âmes fraternelles. (Poésie/première n°31, février 2005)

 

 

Si lente fut la Loire d’Eliane Demazet, préface de Monique W Labidoire Editions Nouvelles Pléiade  10 euros

Tout fleuve – Loire, Seine ou Danube – est une horloge qui va à rebours du temps. Vivant contraste qui projette le passé lointain dans la proximité des souvenirs. C’était hier nous dit Eliane Demazet, car tout est passé si vite ! Souvenirs douloureux et tendres qui font les yeux humides de nostalgie et “ l’âme grise ”. On y entend “ l’automne de Boris / et les nuages de Django ”, les accents d’un accordéon au détour d’un couloir du métro, on y rencontre les fantômes bien vivants de nos amours et de nos imparables blessures. Verlaine et Chopin conjuguent ici semblable partition. Dans ce recueil, étang, jardin, fleurs fanées, lune glacée, pérennité lumineuse de l’automne tissent la trame mélodieuse de délicats poèmes, et dans la solitude des nuits s’entend l’appel silencieux d’un enfant perdu. (Poésie/première n° 42 oct. 2008)

 

 

Mythe et oblation de Marge, poèmes de Jehan Despert Editions Gerbert

Être composite ou rêve incarné, sainte ou/et putain, Marge nous regarde de ses « beaux yeux violets d’aster », tourne vers le ciel l’offrande de son ventre « où fleurit le bouquet des moissons ». Le paradis, peut-être ? Ici, l’eau de la fontaine a « un goût de péché », la vérité est nue et roule ses élans et ses repentirs au rythme incandescent du grand alexandrin amputé de ses rimes. Le jeu est ambigu sous le regard des dieux, à la fois bonheur et transgression. Blasphème ! « Tragique et douloureux mystère » dit le poète qui parle de « sexes miraculeux oints d’huileuses semences ». Il lui revenait de faire taire en soi les mots d’une « bible fardée », de réhabiliter la ferveur et l’extase, de faire de « l’instant charnel » un moment d’éternité. Car « ...nul ne sait le lieu d’attente accumulé / D’espace et de silence / Où la mort fait la roue ».   (Poésie/première n° 37, mars 2007)

 

 

Sonnets de lieux mêlés, poèmes 2005-2007 de Laurent Desvoux, préface de Fabienne Mounier Prix d’édition poétique de la Ville de Dijon 2008 10 euros.

Le fait est là, les endroits publics – parc, café, métro, bus, bibliothèque ou salon de thé – inspirent Laurent Desvoux. Inspiration aux intérêts variés : le profil de la Joconde, le Bossu de la rue Quincampoix, l’Histoire avec sa grande H, Dieu ou un rêve qui passe. Nulle exclusive : tout est prétexte à rythme, assonance, allitération, et donc à poésie bien calibrée. Car Laurent Desvoux pratique la versification classique avec les mots d’aujourd’hui. Il a un verbe pour dire ça, “ poaimer ”, qu’il conjugue “ à tous les temps et mode ”. De quoi réjouir ceux qui chérissent encore le vieil Alexandre, pacifiquement armé de ses douze pieds avec la rime accrochée en sonnante médaille au bout de ses conquêtes. (Poésie/première n° 42, octobre 2008 )

 

 

Passage ensemble et autres nouvelles de Serge Dinerstein Collection Sajat 

La première nouvelle donne son titre, pas nécessairement sa tonalité, à un ensemble que l’auteur qualifie lui même d’hétéroclite puisqu’il y pratique volontiers le mélange des genres. Nouvelles certes, courtes ou longues, car toujours une action raccourcie qui ruse avec le temps, décors simplifiés et protagonistes rares, mais un matériau narratif qui relève aussi bien du fait réaliste, du conte parodique (la belle au bois dormant a ici de drôles de manières), de la chose vue, de l’allégorie, du fantastique, que de l’anticipation. S’il faut trouver un air de famille à ces nouvelles, on le verra dans l’ironie tragique des situations, cet attachement sensuel de l’auteur à un passé qui se survit dans un parfum nostalgique comme celui qu’on respire dans la rue des Immeubles Industriels où nous pénétrons derrière lui. Il faut y aller voir. (Poésie sur Seine n° 63, déc. 2007)

 

 

 

SABLIER DES MÉTAMORPHOSES de Jeannine Dion-Guérin Illustrations de Wilfrid Ménard. Préface de Jean Joubert 15€ 60. 

Ça commence par une aube qui se lève. Il faut franchir le cap, l’angoisse diffuse du petit matin. Car vivre, simplement vivre, en regardant en face l’énigme du soleil, exige disponibilité et énergie « alors que tant d’ombres fantoches étouffent le monde » et qu’on porte en soi cette certitude aveuglante que « tout doit s’éteindre de ce qui porte vie ».

Tout se transforme sous nos yeux et, de cette réalité mouvante, naît le poème qui est ici une sorte de chronique où le poète dialogue avec les saisons en s’efforçant de traduire l’éloquence des arbres, des oiseaux, celle des fleurs et de leurs parfums sous un ciel mouillé de pluie ou sillonné d’étoiles : Un constat beau et tragique : « L’écrit n’est rien d’autre que cette troublante douleur qui s’exaspère de l’habitude à vivre... ».

Le poète est au cœur des métamorphoses : il en est le sablier qui évalue le cours du temps, la chenille qui déroule sa soie, les cercles de l’aubier ; il creuse, il traque, il est le support organique où il s’inscrit, où il s’épanouit dans un orgasme de mots qui le délivre d’un désir toujours renaissant.

A tous, comme le souligne Jean Joubert, le préfacier également sensible à la “densité” d’un message “à la fois inspiré et dominé”, il parle le langage de l’amour et de la volupté. Et on verra que cette célébration, sans jamais se refuser aux raffinements de l’image, n’oublie pas que la barbarie reste à nos portes. (Poésie/première n°32 (juin/juillet 2005)

 

 

Des copains et des rues de Armand DO collection Florilège

Dans ce recueil qui aurait pu tout aussi bien s’intituler Chansons des rues et des « poteaux » - me pardonne le père Hugo -, avec l’amitié circulent les parfums des rues du vieux Paris et des airs d’accordéon. On y entend tinter les pièces de monnaie sur le zinc où dès le matin, sans modération parfois je le crains, on boit le petit blanc avec les copains - « Car le bistrot est une église », il a ses fanatiques - à moins qu’à la terrasse on ne se pose pour regarder passer les filles : « Dans sa robe printanière / La belle allait ondulant... ».

Qui n’a pas connu le quartier de la Mouffe, « Entre la Contrescarpe et Monge »,- rue Blainville, rue du Pot-de-fer, rue Tournefort -  ne peut pas comprendre ! Et je parle d’un temps...

Ce recueil, outre un beau savoir faire - le calligramme de la Tour Eiffel en est un exemple - met en œuvre une évidente bonne santé et une gouaille appréciable en ces temps calamiteux.

Mais derrière la fantaisie se dissimule toujours au moins une légère nostalgie, parfois un vrai désespoir : « Pourquoi toi seul remontes l’eau, / O souvenir, je me demande ? / Toi seul reflues lorsque tout part / Rue Mouffetard. ».  (Les Saisons du Poème n°26,juin  1997)


 

 

 

 

La Caverne de l'Histoire de Hélène DORION Editions En Forêt/Verlag im Wald Traduction anglaise d'andrea Moothead - Traduction allemande de Rüdiger Fischer.

Fascination des commencements. La caverne est un espace privilégié qui nous renvoie aux origines et à l'enfance : il y suffit, sur les murs, de quelques traits ayant les formes de la vie.

  Mais est-ce le même homme qui marche sur les rives et dans les sentiers, pénètre dans l'obscurité des grottes, y rencontre ou croit y rencontrer un enfant et des étoiles ?

  Tout change et tout est identique. Ce sont toujours les mêmes éléments - terre, eau, air, feu - mais à chaque instant ils produisent un peu de vie nouvelle.

  Alors on se dit que le temps est notre "unique certitude" : "La marée le répète : /:chaque chose est du temps / - arbres, ciels, silences - / qui pousse sur le temps" et si "le temps ne s'écoule pas", c'est qu'il "...brûle à nos côtés, silencieux / et bordé de pierres qu'il fissure / lentement, dans le désert intérieur".

  Et quel est le sens de ce voyage auquel nous sommes conviés ? Pour nous, aujourd'hui comme au commencement, "le monde [ne tient] qu'à un fil". Admettons-le : "Nul n'est chez soi. Ne possède rien / Nul n'avance, / Ne va / plus loin qu'en lui-même".

  Les traductions, proposées en regard du texte original, semblent vouloir suivre de près le beau texte français d'Hélène Dorion. (Les Saisons du Poème n°23/24, décembre 1996)

 

 

 

ENTRETIENS avec Rodica DRAGHINCESCU. Editions Autres Temps Poésie /première.

On félicitera les éditions Autres Temps Poésie/première pour cette réalisation dont l’intérêt doit autant à l’importance des poètes inter-viewés qu’à la pertinence des questions de Rodica Draghincescu1 dont le moindre mérite n’est pas d’avoir su éviter le piège de la ritualisation dans l’approche de ses cibles singulières : Gérard Blua – Yves Bonnefoy – Michel Butor – Yves Di Manno – Kurt Drawert – Guy Goffette – Jean Orizet – Serge Pey – Eginald Schlattner – Dieter Schlesak.

Sans doute pouvait-on craindre d’aboutir à une juxtaposition de propos sans portée générale avec l’émergence d’un « véritable patchwork » comme l’excellent préfacier de ce recueil, Jacques Lovichi, en évoque la possibilité.

 Il n’en est rien et, tout au contraire, on voit surgir de cet ensemble à priori décousu une réflexion cohérente, structurée autour de quelques lignes de force parfaitement identifiables et dont le lecteur fera son profit.

 Lesquelles ?

 D’abord on constate que ces dix écrivains sont pareillement préoccupés par la situation stratégique du poète voué, comme on le sait, à voir (le voyant) ou à être vu (image du phare) et pourtant réduit à produire et proposer une marchandise réputée invendable. De quoi naturellement se reconnaître dans la définition de Carl Sandburg proposée par Guy Goffette : “La poésie est le journal intime d’un animal marin qui vit sur terre et qui voudrait voler”.

 Tous témoignent ensuite d’une relation sacralisée avec l’écriture poétique même quand tel d’entre eux (Kurt Drawert) utilise le vocabulaire de l’économie pour la définir, le poème devenant le lieu d’une “plus-value linguistique maximum”, et même quand tel autre (Yves Bonnefoy) voit dans la transcendance quelque chose de différent du religieux, une surprésence, une surréalité, où la nature entière s’éprouve – grâce au langage – dans un seul de ses objets. “Un poète est un mystique athée“ dit Serge Pey pour son compte à quoi correspond sans véritable contradiction la parole du croyant : la littérature est “une des formes multiples par lesquelles s’exprime l’amour de Dieu dans le monde” (Eginald Schlattner).

Tous s’accordent aussi pour présenter l’écriture comme une quête, un itinéraire vers l’inconnu, et tous se veulent des voyageurs, réels et/ou théoriques, chacun avec le but affiché d’atteindre “l’autre côté de son horizon” ( Michel Butor). Tous pour qui “la poésie n’est qu’un pays natal préservé” (Yves Bonnefoy), et pas seulement ces écrivains de l’Est qui ont fait de l’exil une seconde vie éternellement marquée par l’aspiration au retour sur les lieux de l’enfance.

Finalement, rien d’étonnant à cet accord au départ improbable. Car tous sont tributaires des mêmes « archives » (Kurt Drawert) – mémoire individuelle et collective – qui font de ces poètes, si différents en apparence, de semblables « archéologues » (Serge Pey) dont la mission assumée est de fouiller le silence – cet « entretemps » de Jean Orizet – pour mettre à jour l’avenir. (Poésie sur Seine n°49, juin 2004)

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1[1] Rodica Draghincescu, chargée de cours de français à l’université de Timisoara (Roumanie), est poète, romancière, essayiste, traductrice. Ses entretiens ont fait l’objet d’une première publication dans la revue Poésie/première.

 

 

 

Poussières de plaintes suivi de Poèmes d’automne de Eric Dubois, Encres vives éditions.

Une voix parle dans ces poèmes avec la hantise de dire, une voix qui se perd dans les sables du temps à la poursuite d’échos insaisissables autrement que par mots répétés. Le poète va, conscient et malheureux de vivre « une époque truffée de micros et de caméras ». Comment donner un sens à l’existence sinon en s’efforçant de croire à la beauté du monde ? Amertume proclamée, goût affirmé du paradoxe, le poète part sans se soucier des avaries pour une traversée périlleuse, mais consentie, avec des mots, encore des mots, pour « combler des silences interdits »Poésie/première n°40, mars 2008)

 

 

 

Les mains de la lune et Le projet de Eric Dubois collection Encres blanches Ed. Encres vives éditions.

Eric Dubois poursuit inlassablement son "projet". Il aime lui donner forme à travers les minces plaquettes d'Encre vive. Il ne s'agit pas seulement de multiplier les tentatives, d'éprouver jusqu'à l'obsession la matière première des mots, mais aussi de dessiner sur la page la calligraphie d'un itinéraire poétique. Avec lui, les blancs parlent comme des murs aux graffitis mystérieux et il puise dans son quotidien la force de briser le silence et l'oubli par l'offrande des mots. "Nous sommes les bras du soleil et les mains de la lune" dit-il et il se propose de faire "l'éloge de l'impossible".  (Poésie/première n° 46, mars 2010)  

 

 

 

Entre gouffre et lumière, d'Eric Dubois, préface de Charles Dobzynski L'Harmattan éditions.

 On peut écrire comme on se noie pour conjurer l'absence, la solitude, contourner ce "je" qui importune le poème. On peut écrire pour se découvrir derrière les mots : "Qui se cache derrière mes lunette noires ?" se demande Eric Dubois. La réponse se lit dans les distiques de ce recueil auquel Charles Dobzynski a donné une préface éclairante. Le poète, quoi qu'il fasse, est toujours un inconnu, un incompris, et le poème est toujours une façon de dire qu'on a raté sa vie. Le poète, c'est lui que vous voyez tendre au passant son poème comme le mendiant fait de sa sébile. Il attend l'aumône d'un regard et son ombre fragile se tient près de lui comme un chien fidèle. Il est là "la bouche sèche de tant de mots", à regarder passer les saisons, à compter chaque heure de ses jours et de ses amours, à contempler le trou béant de la sébile désespérément vide. Quelle échappée ? "Dire jeu / plutôt que je" ? Être un arrangeur de syllabes, ranger les vers deux par deux, boire l'encre du stylo et se réfugier dans l'espace virtuel ? "Entre gouffre et lumière", être www.ericdubois.fr qui propose une enseigne invitant au partage. (Poésie/première n° 49 mars 2011)  

 

 

Ce que dit un naufrage d'Eric DUBOIS Encres vives éditions - 6, 10 €

A chaque instant, "trouver le temps de ranger" le monde, s'y retrouver dans un ordre au moins apparent où circulent les ombres du passé. Effacer les ratures, les froissements, retenir les reflets qui s'évanouissent, ne rien donner à la mort, au silence. Tel est le défi du poète avec pour seule nécessité d'offrir encore et toujours des mots à qui ne veut pas lire, à qui ne veut rien connaître de "l'émiettement du monde", et sans cesse attendre un écho qui ne viendra peut-être pas. A chaque instant, quoi qu'il en coûte, tourner le dos aux précipices, se refuser au naufrage, pour inscrire sa destinée dans un autre poème. (Poésie/première n° 53, juin 2012)

 

 

POÈMES À VARIATIONS (1999-2004) de Thérèse Dufresne Editinter éditions  .

Thérèse Dufresne est inspirée par le modèle musical dont elle utilise volontiers le vocabulaire spécialisé. Ici, elle propose des variations sur un thème donné qui rencontre ses développements successifs à travers d’infimes modifications où les sensations, par effets cumulatifs, s’enrichissent d’éclats de lumière, de soyeuses sonorités ou de caressants contacts. L’auteur joue sa partition sans autre ambition, semble-t-il, que de nous livrer cette trame répétitive, de nous y enfermer. On devine une vie frémissante, un “ silence habité ”, une “ musique intérieure ” derrière le jeu du virtuose. Mais si parfois un “ je ” strident s’annonce et trouble cette polyphonie de palais, d’îles, d’étoiles et de chants d’oiseaux, si le monde réel est là dont on effleure la barbarie habituelle, chaque mot est, comme “sur cette plage/blancheur d’un sein/qui se soulève avec la mer”, une aspiration à la beauté formelle. (Poésie/première n°33, nov. 2006)

 

 

Être par delà les mots Essai de Thérèse Dufresne Editinter éditions.

Cet ouvrage rassemble une douzaine d'études présentées en divers lieux dont le Mercredi du Poète (Brasserie du François Coppée Paris VIe ) que Monique Acquaviva, auteur d'un avant-propos éclairant, a longtemps animé. La poésie en est la pierre de touche, même si ces études s'intéressent également à la forme romanesque à travers James Joyce (Gens de Dublin), Georges Emmanuel Clancier (Le Pain noir et La Fabrique du roi) ou P. J. Jouve (avec son roman Paulina). La poésie féminine est bien présente avec Jeanine Baude, Eliane Demazet, Ariane Dreyfus, Josette Frigiotti, Monique Labidoire . Cet essai est une précieuse contribution à la connaissance de la poésie contemporaine. (Poésie/première n°49 mars 2011)

 

 

 

 

Au pied de l’échafaud de Pierre Esperbé Editions Pétra

On connaissait le poète et le parolier, l’animateur de Radio Aligre (93.1), on découvre aujourd’hui que Pierre Esperbé est aussi romancier avec ce récit dont l’intrigue évoque le Paris de la Terreur, dans les semaines qui ont précédé Thermidor. Le titre est la reprise d’un vers célèbre d’André Chénier, “Au pied de l’échafaud j’essaye encor ma lyre. On ne s’étonnera donc pas d’être introduit dans les sombres couloirs de la prison Saint-Lazare, d’y rencontrer l’auteur de la Jeune Captive – “La grâce décorait son front et ses discours” – et même d’entrevoir la belle Aimée de Coigny qui fut l’inspiratrice de ces vers immortels. On se souvient de la loi du 22 prairial an II, qui enclenche le mécanisme de la Grande Terreur. La fiction imaginée par Pierre Esperbé en restitue les effets pathétiques et pervers en même temps qu’elle montre, avec un respect indiscutable des données historiques, comment les victoires aux frontières, l’activisme des Conventionnels les plus sanglants et les plus corrompus, une politique économique et financière qui prive le Gouvernement Révolutionnaire de sa base populaire, entraînent la chute de Robespierre et de ses amis dont la sincérité et la probité ne peuvent être contestées.  (Poésie/première n° 40, mars 2008)

 

 

Vintages, rétrospective 1968-2007 de Paul FARELLIER -  Librairie-Galerie-Racine.

Ce recueil rassemble quarante poèmes millésimés – d’où le titre, vintages – à raison d’un poème par année avec, en fin d’ouvrage, une notice qui fournit, pour chacun d’eux, de précieux renseignements sur l’étiquetage d’origine, c’est-à-dire le titre, l’ensemble plus vaste auquel il appartenait, le lieu de la publication. L’auteur indique un seul critère de sélection : proposer « une coupe longitudinale dans le tissu de quarante années d’une tentative poétique ».

Ainsi se succèdent, de 1968 à 2007, autant d’années que de poèmes dont le point commun est l’auteur qu’il revient au lecteur de regarder « fidèlement vieillir » à travers la geste d’une poésie grave qui porte en soi une blessure. Mais des vers ou des proses qui savent se confronter à ce qui est – aussi bien un jeu de lumière prisonnier de la laque d’un piano que « ce tit-tit d’insistance/douce d’un oiseau qui ne dit pas son nom » – en décrypter l’offrande plutôt que le message. Une poésie qui connaît l’importance des heures et qui réussit à capter ceux « des mots qui n’en finir[ont] pas/de taire et mériter leur sens ».

(Poésie/première n° 44, juin 2009)  

 

 

 

Une odeur d'avant la neige de Paul Farellier - L'Arbre à paroles éditions 12 €

Regarder les photos d'un album, c'est "feuilleter les années" dit le poète. Ceux qui ne sont plus le regardent vieillir en le tenant pas la main. Étrange paradoxe ! Voilà des années qu'il porte, inscrite au plus profond de lui, cette évidence que tout enfant il refusait déjà: "qu'il est ce qui meurt aussi, // que les yeux se ferment à jamais, / qu'un jour la chair s'en va, // qu'il reste l'os et la nuit". La source de la tragédie est là : "Mais // toute une vie passée / à se construire // à s'augmenter de son soi,/ à n'en rien distraire, // et ne finir que geôle à soi-même..." avec cette conviction sournoisement plantée dans le coeur que l'existence est une guerre qu'il faudra perdre un jour ou l'autre. Pas d'autre issue, et l'échéance à chaque instant s'annonce : "Tous les jours vers plus de nuit" dit le poète. Il reste à prolonger dans la parole du poème les ombres familières, s'abandonner au sombre plaisir du temps qui coule sur la peau, chercher à débusquer "Quel autre est seul encore // à parler dans ta voix". Nous aimons nous souvenir que ce beau recueil a reçu, sur manuscrit, l'un des prix 2008 du Concours international de poésie de langue française  de "Poésie sur Seine". (Poésie sur Seine n° 74/75 automne hiver 2010/11)

 

 

Un peu de jour aux lèvres de Mireille Fargier-Caruso éditions Paupière de terre.

Disparition de l'être cher que la mort " rend à la nuit au silence". Si on n'y prend garde, le premier jour sera déjà un premier jour d'oubli. D'où ces séquences amples et denses qui sont une façon d' "être encore un peu avec lui / [de] garder avec précaution un peu de jour aux lèvres", [|de]"le garder vivant en mémoire". Ce sont alors les images de toute une vie traversée, l'album de photos dont on tourne une à une les pages ensoleillées ou sombres, images animées, voire musicales que l'amour colore et qui surgissent dans "l'aujourd'hui blessé". "Écrire c'est s'accompagner" : le poème se nourrit de souvenirs que l'instant fait naître dans son cortège de parfums, de paysages familiers et de chansons, celles qui peignent la vie en rose et les autres qui parlent des peurs et des douleurs des hommes. Il n'y a pas d'autre réponse que le poème à la question de savoir "Qui décide que le souffle le geste un jour s'arrêtent / se perd la voix". Il est "swing lointain d'un piano qui remonte le temps", il est tango rythmé, rumeur de marée, chant de coquillage. Il est cette respiration qui s'offusque et s'éteint. Il est ce feu qui s'allume, ce "feu de vivre" que porte si bien le recueil de Mireille Fargier-Caruso. (Poésie/première n°49 mars 2011)

 

 

 

 

Le cri du chat-huant, le lyrisme chez GUILLEVIC de Bernard FOURNIER, essai L’Harmattan éditeur.

A la suite de Jean-Michel Maulpoix, Bernard Fournier montre que la nécessité pour Guillevic, comme pour d’autres poètes à leurs débuts, s’est inscrite dans un cri. Mais un grand poète n’échappe pas aux exigences de la modernité. D’entrée, pour Guillevic, ce cri aura à « forcer l’issue » (Vivre en poésie) en se refusant aux facilités de l’épanchement geignard ou de l’ornementation plaquée. Ce sera la révolution copernicienne de Terraqué dont Bernard Fournier cite les vers éclairants : « Le cri du chat-huant, / Que l’horreur exigeait, // Est un cri difficile / A former dans la gorge... ».

Cet essai de quatre cents pages est le fruit de vingt années passées en compagnie de l’œuvre de Guillevic à laquelle Bernard Fournier a déjà consacré une thèse en 1995.

Ce livre est une somme où, au-delà de la pertinente et passionnante analyse d’une des voix les plus fortes et les plus singulières de la poésie contemporaine, les lecteurs trouveront un tableau exhaustif de l’œuvre et de toutes les publications qu’elle a suscitées (article critiques, entretiens, etc.).

Il s’agit donc aussi d’un indispensable outil de référence pour tous ceux qui veulent approfondir cette œuvre capitale.

(Poésie sur Seine n°46, septembre 2003)

 

 

L’IMAGINAIRE DANS LA POESIE DE Marc ALYN  de Bernard FOURNIER L’Harmattan

On ne résume pas une étude de l’importance de celle que Bernard Fournier, à la suite de son essai remarqué sur le lyrisme de Guillevic, Le cri du chat-huant, vient à présent de consacrer au poète Marc Alyn qu’il a suivi, avec la patience et la minutie du paléographe, à travers un demi siècle d’écritures, depuis les poèmes de Liberté de voir (1954-1956) jusqu’aux aphorismes de Le Silentiaire (juin 2004).

En revanche, au terme d’une lecture passionnante, on peut affirmer que cet ouvrage – pour qui n’en serait pas déjà convaincu – marque de façon indiscutable la place originale de Marc Alyn dans le paysage poétique français : son étonnante précocité (Prix Max Jacob à vingt ans), mais aussi la capacité du poète à construire une œuvre dans la durée avec la volonté de trouver son propre langage, sans souci des modes et donc en perpétuel exil, scribe errant à l’aise dans la célébration comme dans la révolte, dans la blasphème comme dans la prophétie, poète des éclats et des jeux de miroir où se lisent les vertiges du langage et des espaces infinis de l’imaginaire dans lequel il creuse pour atteindre l’essentiel de l’être.

Ce qui est peut-être le plus frappant dans cet itinéraire foisonnant, c’est que le poète Marc Alyn, avant même la maladie mortelle qui l’a contraint physiquement au silence pendant quatre années, a toujours été à la recherche d’un autre souffle, d’une autre voix, et cela non seulement pour affirmer la primauté du langage (“Je murmure : palombe et le ciel est plein d’ailes”), mais encore pour établir l’identité de cet “… inconnu qui [l’]habite / et se repaît de [ses] craintes”, porté par cette intuition forte, bien mise en lumière par l’analyse, que le monde et la société sont si malades que le poète – par terrifiant transfert – court immanquablement le risque d’en rester sans voix.

Un ouvrage indispensable qui aura logiquement sa place dans les bibliothèques à côté des œuvres du poète. (Poésie sur Seine n°50, septembre 2006)

 

 

 

Marches de Bernard Fournier Editions Librairie-Galerie- Racine.

On connaissait le critique littéraire dont les essais sur Guillevic et Marc Alyn sont aujourd’hui des références obligées. Nous avons désormais le discret et délicat poète de Marches qui, mezza-voce, interroge le monde. Comment est-il ? Comment se supporte-t-il ? Un monde qui n’en finit pas d’être vieux où toutes les heures pèsent comme un complot et qu’on découvre en fuyant quelque Troie dévastée dont les rivières humbles, les champs méticuleux, les châtaigniers sont les témoins du travail accablant des hommes et la source d’une douloureuse nostalgie. Comment échapper à la peur d’un lendemain muré – “ Je suis d’un lieu d’où ne part aucune route ” – sinon en se ramassant sur ses rêves ? On peut marcher, mais “ Il y a toujours une pierre/Sur laquelle buter ”. On est ici confronté à une poétique des lieux où passent quelques fantômes édentés et les traces ineffaçables d’une blessure ancienne qui “ noircit les visages et les mots ”.  Poésie/première n°33, novembre 2006)

 

 

 

MARCHES II suivi d’une lecture de Pierre Oster, Bernard Fournier Editions Le Manuscrit  14, 90 €

Marches II renoue avec Anchise et les Troyens, les Causses et « l’Olt léger », le « cotre » qui fait signe de son mât unique en bas de la falaise, les vaches que rien ne peut distraire de leur fière rumination. Se dégager de son enfance n’est jamais simple. Grand est pourtant le risque de s’y empêtrer comme « l’homme de marbre » du recueil de Bernard Fournier dans le roc de sa montagne. La nouveauté réside dans la manière qui abandonne les formes minimales de Marche I pour gagner de l’ampleur en s’appuyant sur la trame fortement grammaticalisée du poème qui devient récit ou description. Nous sommes alors confrontés à l’histoire d’un inconnu qui a lu les poètes et qui cherche en lui le chant pour dire l’histoire qui vient « de l’eau noire qui descend des volcans », l’histoire des hommes partis, la pauvreté en poche, échanger l’aridité de « la haute terre » contre un horizon de béton et d’usines. Qu’ont-ils bien pu lire sur les « palissades où pendaient des affiches usées de pluies » ? Le passé contamine tous les horizons du poète dont il reconstitue ici le puzzle : voyager c’est retrouver dans tel paysan d’Asie mineure celui des Causses dont il est le fils ; nul besoin pour lui de se retourner pour voir des ombres et pas de livres, un cimetière qui attend. (Poésie/première n° 43, février 2009) 

 

 

 

PROMESSES de Bernard Fournier Editions encres vives. mai 2010  6, 10 €

Cette plaquette de douze pages est dédiée à l'épouse trop tôt disparue. Le recueil s'ouvre sur une évocation de ce lieu où commence et finit toute vie, lieu curieusement pluriel ici parce que – chambres – il parle aussi de tous les espaces clos où se lovent les rêves, où s'exilent les solitudes, où chavirent les douleurs et les plaintes. Il est gouffre, frondaison ou canopée, navire ou île perdue. Il est naufrage ou envolée. Le poète y revêt les habits fatigués de celui qui a durement lutté et qui ne peut plus transmettre que le tremblement de ses heures, une lumière incertaine sur son visage, mais aussi la certitude d'avoir accompli le chemin grâce à l'autre, de s'être découvert en lui et dans les mots inconnus dont le papier retient la trace. Inutile de consulter l'oracle ! La fin s'inscrit avec "la mort qui s'acharne et qui pèse". On sera nécessairement touché par les vers amples du poète auquel il revient sinon de trouver l'oubli, au moins d'apprivoiser l'absence  (Traversées n° 60 automne 2010).  

 

 

MAISON DES OMBRES de Bernard FOURNIER préface de Marie-Louise Audiberti. L'Harmattan 11, 50 €

     Comme le précédent recueil, publié à Encres vives, celui-là  – douloureux, sensible – est dédié à l'épouse disparue. Dira-t-on que c'est l'histoire d'un deuil qui s'écrit ? Les pires événements ne sont annoncés nulle part : "Aucun signe dans le ciel", et le monde n'en reçoit aucune secousse. Ni pluie acide ni silence généralisé ni pleureuses en foule pour s'associer à la douleur et à la révolte du poète. Alors, comment se reconstruire dans ce monde indifférent ?

     "Les matins sont difficiles / quand il faut soulever le soleil // Retrouver les raisons de son ellipse"  constate le poète. Pourtant, il lui faut échapper à la tentation du suicide : une rivière ou "une branche à hauteur de cou" ; s'interdire de quitter la barque même si elle devient "lourde / De silence et d'absence", même si la vie est à réinventer parmi les traces indélébiles de son contraire. Pour conjurer les ombres, au poète blessé il reste les mots qu'il cloue sur la feuille blanche avec l'espoir incertain de fatiguer sa peine même si toujours une écharpe rouge est là, qui serre.

     Ne pas céder à l'entraînement du désespoir.

     Même si !

 

 

Marches III de Bernard FOURNIER éditions Aspect  14€

Bernard Fournier revient avec Marches III à cette poétique des lieux qui caractérisait ses deux précédents opus. Cette fois encore, il se déplace dans l'espace – eaux, terres, forêts – et recueille les traces, écoute les voix, entre brume et lumière, entre jours trop longs et nuits "misérables". Il interroge l'avenir : "Peut-être, si l'on réussit un vers, / Le ciel se lèvera-t-il pour de simples aurores ?", mais il sait que l'écriture seule peut accorder longue vie aux rêves. Ainsi, va-t-il à la rencontre des paysages – "arpentage du monde" – dont les éléments sont autant de pensées, parcourt toutes les routes, ne peut renoncer à affronter les terres d'enfance avec ses villages aux fronts bas, aux regards hostiles qui épient celui qui – en dépit de toute nostalgie – est devenu un étranger. (Poésie sur Seine 77-78 été/automne 2011)

 

 

 

Le temps de tous les temps suivi de Sur elle de Josette FRIGIOTTI, préface de Serge Brindeau éditions Arcam.

  Sur le fil du temps, comme des notes, les événements s’accrochent et jouent leur petite musique particulière. Toutes sortes d’hommes y participent en conjuguant un seul impératif catégorique : durer (« aller debout, courbés, mais avancer longtemps »). Tous les temps sont représentés : le temps de la bêtise, de la férocité, de l’horreur..., de la grandeur ou de l’amour. Et c’est à sa façon, dans la liberté du poème, que le poète, avec sa lyre et son nez rouge de clown musicien, contribue à cette partition. Son chant est alors le véritable chant du monde : « sous le masque une vérité » conclut Josette Frigiotti.

Du bateau « qui tangue / sans jamais s’amarrer à l’aplomb d’un rocher » - Mais où se cache le nautonier ? - , on passe à une méditation sur la mer où tout fleuve aboutit, poussant un bateau ivre. La mer féminine, offerte, « Jupe à volants, dentelle à son corsage, / vivante en son désir de caresser la plage ». (Saisons du Poème n°27/28, déc. 1997)

 

 

HORIZONS de Josette Frigiotti (poèmes) Librairie-Galerie Racine 

  Il n’est pas indifférent que s’inscrive en épigraphe à cet ouvrage une citation de Paul Eluard : “ De l’horizon d’un seul à l’horizon de tous ”. Faire sentinelle. Sentir battre le cœur des hommes, plier sous le faix du travail humain, de ses peines. Forger pour lui un rêve. Être l’oiseau dont l’envol est un poème. Être le doigt qui trace sur la vitre les mots, les mots de la révolte et ceux de l’espérance. Telle est la mission du poète pour Josette Frigiotti. Nous lui donnons acte de ses indignations, de ses peines, de son lyrisme chaleureux. D’aucuns verront trop de simplicité dans cet engagement sincère et généreux. Ils auront tort : sa poésie est le chant du monde. (Poésie/première n° 37, mars 2007)

 

 

DOUZE METRES CUBES DE LITTERATURE de Roland Fuentès, Prix Prométhée de la Nouvelle Editions du Rocher.

Les brefs récits de Roland Fuentès – la plupart se situent entre trois et cinq pages – ont avec le réel des rapports ambigus, toujours troublés par quelques incidents insolites qui remettent en cause les certitudes, réveille les étonnements oubliés de l’en-fance.

Il faut alors composer avec un univers pourtant familier – ses feux rouges, son Hôtel du chemin, sa salle de projection, son musée, sa bibliothèque, sa tour, son bureau des réclamations, ses taupes, etc. – qui prend soudain des airs d’étrangeté incom-préhensible.

Car telle est la volonté concertée de l’auteur.

Il le fait avec beaucoup d’efficacité à partir d’une écriture soi-gnée et, à bien y réfléchir, à travers un thème unique[1] qu’il conjugue de multiples façons, un thème qui parle de cette maladie exclusivement transmissible par les mots (cf. La maladie) qui touche à la mémoire et dont les symptômes s’appellent nostalgie, obsession, remords, angoisse, reviviscence, etc.

Le passé appartient à ceux qui n’ont plus rien à vivre” affirme la clausule de La plaine, et le lecteur rencontrera cet énoncé tout autant révélateur : « Il rêva qu’un œuf gigantesque aspirait la mémoire de l’univers, laissant à sa place un cosmos en apesan-teur, vide de toute histoire ».

Constatation douloureuse ! En dépit de quelques douceurs nostalgiques (Plavnik, Le nourrisson), de l’humour qui accom-pagne les silences poussiéreux de l’Histoire (un sanctuaire plein de toiles d’araignées – Il ), du désir de tout effacer pour avoir à recommencer, se souvenir, c’est d’abord savoir qu’on est mortel, que toute réclamation est inutile (Vous, un autre) et qu’il ne reste plus, comme pour ce docker de la Joliette (Boudu...), qu’à partir à la recherche de “La belle dame tombée du ciel” dont on ne sait pas très bien – il en est toujours ainsi avec les apparitions – si c’est une sainte ou si c’est une pute. (Poésie/première n°28, mars 2004)

 

[1] De ce point de vue, l’auteur admettra certainement que les deux nouvelles, Avec les chiens et Avec les singes n’avaient par leur place dans cet excellent recueil.

 

A la frontière du monde, nouvelles de Béatrice Gaudy Editions de l’Agly

Des textes courts : une ou deux pages, une douzaine pour le plus long. Plusieurs ont été publiés en revue. Ils sont ici accompagnés de dessins originaux de l’auteur qui est également peintre. Ces formes brèves, “à la frontière” du fantastique, participent de la nouvelle et du conte autant que du poème en prose. L’attention portée à l’écriture suffirait à donner son unité au recueil qui les rassemble, mais on verra surtout que l’auteur construit là, en termes poétiques, un espace de subversion où s’écrit, d’une “encre vive” et par “quelques notes claires comme un souffle de vent”, une “partition de vie” à l’encontre d’un univers qui “dissone”.

C’est que Béatrice Gaudy connaît “la férocité de notre temps”, l’oppression d’un monde où la mort vaut peut-être mieux que le “non vivre de la privation” (matérielle et spirituelle), où la peur et l’égoïsme ne savent qu’ériger des barrières (“En ces temps immémoriaux avait été édifiée une muraille si haute qu’elle déchirait le ventre des nuages”) et refuser le partage, où la liberté se joue à qui perd gagne sous la menace des fusils (cf. Le meilleur joueur du monde), où le bonheur a pour certains les dimensions d’un carton sur une bouche de chaleur.

Mais paradoxe de l’écriture ! En nous proposant ce double fantastique de la réalité, au cœur même de sa dénonciation, l’auteur porte le regard bleu (cf. Au printemps de l’être) d’une générosité contagieuse, d’une espérance jamais démentie. (Poésie/première n° 29, juin 2004

 

 

 

LA DRAGÉE HAUTE de Françoise GEIER Le Temps des Cerises éditions

Dans un petit format de 100 pages, ce recueil rassemble, avec quelques photos de l’auteur, 37 textes courts dont certains ont déjà été publiés en revues : Le Jardin d’essai, Friches etc. On passera sur quelques petites imperfections matérielles comme cette apparition, nullement volontaire semble-t-il, du même poème dédié à Cocteau dans deux versions à peine différentes. On retiendra que ces textes inclassables – “La poésie a-t-elle une odeur ?” se demande Françoise Geier – ont un ton, un humour décalé, qui n’est pas sans rappeler Queneau ou Michaux et dont l’auteur(e) joue avec efficacité pour exécuter quelques absurdités plus ou moins tragiques de notre temps.

Un enfant qui s’interroge sur le monde des adultes ?

Pas seulement. Il y a de la révolte derrière la dérision. Et un appel. (Poésie sur Seine n°50, septembre 2004)

 

 

 

Un si fugitif éclat de Roger GONNET  L'Arbre à paroles éditions

Chaque page, ici, est une grande plaine blanche, et dans ce désert lumineux chaque mot est un silence qui s'insinue. On sent que la vie est là, tapie dans les interstices ou à l'envers des choses, mais la lumière n'éclaire que le vide et ce qu'on arrive à saisir n'est que le "battement d'aile / d'un temps glacé / sans mot / pour nommer". Dans ce pâle décor qui refuse de témoigner, l'écrivain se voudrait pourtant "comptable de la mémoire", scribe de quelques utiles souvenirs. Il souhaiterait ouvrir des portes dans ces murs blancs qui arrêtent le regard. Derrière les signes qu'il perçoit, les empreintes qu'il relève, il aimerait bien trouver autre chose qu'une solitude, autre chose que la certitude de "vivre ... sans issue". Il sait qu'on ne peut pas changer le monde. Le voilà "penché sur une énigme" à enregistrer en poète les "frottement[s] du temps". (Poésie sur Seine n° 79, hiver/printemps 2012)

 

 

ANNA MAGDELENA X de Rébecca GRUEL L’Harmattan

Les mots et leurs empilements en longues litanies verticales sont la matière sensible du poème. A proprement parler pas d’énoncé (« éventration d’une syntaxe » dit Rébecca Gruel), mais un jaillissement syncopé qui reproduit les attendus d’une existence perdue. Un long labyrinthe où le lecteur rencontre un poète égaré dans ses solitudes et ses souffrances et qui n’en finit pas de vomir de douloureuses imprécations (« L’acte de respirer est un acte de révolte »). Ça et là, les signes concrets d’une fin : « Lambeaux d’une robe baignée de sang », cristallisations de la mémoire, momification du temps. Une morgue, blanche et froide, est au bout du chemin.

Le poète avance sous nos yeux une épine dans l’âme, les nerfs à vif : mort brutale d’une sœur, monde chaotique et écrasant. Se souvient (les étangs d’Hossegor) et oublie. Ouvre et verrouille son être, « habille son corps de prière » et s’insurge en cultivant l’insolence de l’écriture où le mot se fait cri, la phrase joue à la roulette russe avec Anna Magdalena X, titre de ce recueil que L’Hamattan retient logiquement dans son espace expérimental. (Poésie/première n°34, mars 2006) 

 

 

L’œuf de sang de Rébecca GRUEL - Editions L’Harmattan 1

“ Paysage délavé de mémoire ”, paysage des origines – un œuf – avec la géométrie élémentaire de ses champs, sa “ rivière absente ”, ses “ blés jaune sang ” : promesse de vie et prophétie sanglante. Comment arrêter les fissures d’une existence incertaine qui vous échappe ? “ Ouvrir les entrailles du verbe [ou] le broyer ” ? Le poète est confronté à cette alternative et cependant il sait que la parole – “ syntaxe implorante ” – ne saurait empêcher le meurtre de s’accomplir. Il est inscrit dans chaque manifestation de l’être où il réalise sa soif d’interdit.

Alors, “ écrire, écrire ”, mais pour dire quoi ? Que le monde est absurde ? L’humaine condition : “ Incarcérés en leur bocal/Les poissons rouges tournent/ tournent ” ?

Alors, aimer, marcher, aller à la rencontre d’un vertige, d’un vide. Traîner un corps qui s’incruste, fatigué, importun, “ tel un parchemin inachevé ”. Observer l’œuf qui cherche à crever sa prison.

De quelle planète vient le poète, de quelle cité interdite ? L’avenir n’est un inconnu pour personne et nulle danse sacrée ne peut détourner la fatalité de ses obsessions : “ C’est toujours comme ça dit la dame ”. Rébecca Gruel vit dans un labyrinthe : il faut suivre le fil. Il est coupant comme un rasoir. (Poésie/première n° 36, oct. 2006)

 

 

De Rouen à Paris écriture faciale poèmes de Rébecca GRUEL, préface de Jean-Claude Rossignol éditions unicité13€

 Que devient l’histoire singulière de l’auteur à travers le savant tissage de l’écriture qui ne dit finalement rien d’autre que le silence, en dépit de ces « éclats de lance » que sont les mots ? On entrevoit des lieux, on entend des pas dans la nuit, des portes s’ouvrent et se referment, la pluie bat l’asphalte d’une route meurtrière, des protagonistes se déchirent. Des deux côtés de l’expression – page et toile – l’auteur, peintre et poète, restitue une parole fulgurante et fragmentaire, une « parole mutilée », où sa présence s’inscrit dans l’économie des signes. Le poème porte le masque des vies naufragées qui regardent l’avenir dans un douloureux rictus.  (Poésie/première n° 51 novembre 2011)

 

 

Confidence d'un cap résistant de Hubert Guillaud, Les Cahiers de l'arme de l'écriture Grenoble.

Il s’agit d’un recueil à l’impression soignée, et illustré de cinq dessins de Jean Benoît ou « Janet », récemment disparu.

Le peintre est d’ailleurs au centre de ces confidences qui évoquent une amitié singulière dans le cadre sauvage et beau de la presqu’île de Crozon, au Cap de la Chèvre, autour du petit village de Rostudel, « un bouquet de maisons / petites et tapies / sous le ciel gris. ».

Au large, la mer d’Iroise, entre Sein et Ouessant, nourrit les rêves de partance sans cesser de faire entendre ses sombres imprécations. Là où la terre se finit, les vents sont anxieux car il y a toujours quelque chose à appréhender si bien que « Les fougères et l’ajonc doré, / flagellés par les vents orageux / sont [toujours] agenouillés ».

Mais là se trouve aussi la maison de l’ami qui va disparaître, celle de « Janet » avec sa table accueillante et la radio F.M. qui, en sourdine, fait une « ambiance paisible ou rythmée ».

Les mots du poète, pour dire la mort du peintre, ont alors l’éclat du granit sous le ciel gris.

« La vie est un bonheur / qui n’est limité / que par le malheur / de ne plus pouvoir parler / à ceux qui demeurent / dans nos coeurs aimés... ».  (Les Saisons du Poème n°26, juin 1997)

 

 

 

Lieux d’Orne et d’ailleurs de Claude Held Propos/2 éditions

Claude Held est un poète pour qui le monde extérieur existe, y compris dans les manifestations les plus ordinaires de la vie quotidienne. Son actualité est aussi celle des autres et il l’enregistre en photographe sensible et malicieux, armé d’une lucidité redoutable dont se nourrit un humour décapant. Ainsi, cette mince plaquette – on admirera en passant la belle couverture de Geneviève Besse – rend compte, d’un séjour de quelques semaines dans le cadre d’une résidence organisée par le Conseil général et la médiathèque départementale de l’Orne. La région, qui offre ses paysages et la toponymie singulière de ses lieux-dits, ainsi que la radio et la presse locale qui se font l’écho des aléas de l’environnement vont être la matière première d’une vingtaine de textes où, toujours de façon inattendue, inédite, « un pan de réalité/dépasse ». Textes courts, textes décalés, pour lecteurs attentifs qui sauront apprécier le traitement discret et pourtant si pertinent que le poète inflige au langage de tous les jours comme on le verra ici, à titre d’exemple jubilatoire, à partir d’un fait divers livré par l’incontournable Ouest-France : " Un coup de couteau à Caen / c’était une erreur  / l’auteur est traduit / la justice suit son cours / les jours /ne sont pas en danger ".  (Poésie/première n°37, mars 2007)

 

 

Claude HELD   64 petites proses pour accompagner Magritte Propos2 éditions 15€

Pour Magritte, on le sait, tout tableau est autre chose que ce qu'il représente. Mais quoi ? Toute la question est là ! C'est en tout cas à cette question légitime mais risquée qu'entendent répondre à leur façon les 64 petites proses pour accompagner Magritte que Claude Held soumet au lecteur. La règle du jeu est apparemment simple : l'auteur sélectionne des tableaux (64) dont il propose, pour chacun, un compte rendu "pseudo réaliste" qu'il fait suivre d'une prose dans laquelle se retrouveront les données succinctes évoquées d'entrée, sans être pour autant une interprétation du tableau ni même une révélation sur sa vraie nature, mais quelque chose comme une transposition linguistique et un double fantasque (le mot est de l'auteur lui-même).

Il fait alors servir à son projet tous les registres de la langue en y appliquant cette idée parfaitement valide que les mots nous utilisent autant que nous les utilisons :"On ne mâche pas ses mots. Ce sont eux qui nous mâchent". Et tel est le langage que les mots ne peuvent que soulever un coin de l'énigme dont ils sont les reflets si incertains qu'on ne saura sans doute jamais ce qu'est l'homme dans son isoloir de nuages, le dos tourné aux regards indiscrets, le chapeau melon plein de pensées impénétrables. Indéniable constat : les objets se dérobent (le destin de la quille est de perdre la boule, dit Claude Held), les idées se déforment (l'idée de pomme devient "l'attraction universelle"), et la réalité montre son postérieur. En d'autres termes, tout devient fumée dont la transparence et l'aptitude à l'élévation nous fascinent. Une fumée qui pourrait même se décider – dans le cas problématique où la pipe serait vraiment une pipe – à s'échapper du fourneau pour illustrer la seul question sérieuse qui agite toutes les philosophies : "La pipe peut-elle rester de bois quand s'effondre l'idée de pipe et que la non-pipe apparaît ?"

Une chose est certaine : l'impertinence et l'inquiétude de Magritte face à un monde incohérent passent avec bonheur dans ces 64 proses ensoleillées d'humour et d'ironie premier cru. (Poésie/première n° 53 juin 2012)

 

 

 

 

Dans la gueule d’ombres de Yves Heurté. Prix de l’Edition du Val de Seine 2004. Editinter éditions 1.

Yves Heurté est l’auteur d’une quarantaine de titres : romans (Seuil, Gallimard), textes de théâtre (Magnard - L’Avant-scène) poésie (notamment chez Rougerie). Dans celui-ci, qui a reçu le Prix de l’Edition du Val de Seine 2004, il se risque au delà de la question rituelle, “Quelle poésie après Auschwitz ?”, posant de façon pertinente le problème toujours d’actualité de l’engagement du poète.

Ainsi, c’est pour un combat qu’il s’installe Dans la gueule d’om-bres en invoquant pour guide “le sillage d’un Primo Levi” et en proclamant en exergue de son livre : “Ton honneur sera de refuser ce : « pense, mais tais-toi » !”

Les mots seront les armes du poète.

Mais qu’on ne s’y trompe pas. Il ne s’agit pas d’idéologie dans ce recueil où vers et proses alternent, soutenus par quelques photos de Jean Belontrade : ni slogan ni catéchisme. Mais le constat volontairement candide ou ironique de ce qui se passe quand, au ciel, il y a “plus de balles / que d’oiseaux”, quand le cortège des bonheurs affichés – une noce, par exemple – s’ac-compagne, presque à bout touchant, des souffrances de “l’innom-mable”, que le même homme peut “Jouer Mozart, caresser [sa] femme / et [s’il le veut] son chat” et être ce chien enragé qui déporte et qui tue, quand la bonne âme des militaires pleure sur les massacres qu’ils ont commandés pour la simple raison que “Trop de progrès / Nuit à nos guerres”, hélas etc.

Avec Yves Heurté, “sous le feu du poème”, nous entrons dans une nuit dont on ne guérit pas. Eh bien justement, l’espoir est là, accroché à notre mémoire : à Hiroshima, deux enfants de la bombe, s’embrassent en négatif sur un mur, pour l’éternité.  (Poésie/première n°31, mars 2005)  

 

 

 

JE VOULAIS GRANDIR DAVANTAGE d’Emmanuel Hiriart Poèmes accompagnés par des encres de Robert Brandy Editinter éditeur

Dans le fond, tout texte de poésie – prose ou vers – est un art poétique, une proclamation. En son centre, un problème avec son inconnue, un œil qui vous regarde comme un miroir, « Un cercle C/ Fixe et meurtrier comme l’œil / D’un épervier au repos », une idée d’enfance qu’on poursuit à travers les conquêtes du langage.

Le dernier recueil d’Emmanuel Hiriart, Je voulais grandir davantage, n’échappe pas à cet axiome. Qu’il soit l’humour qui tend à « redessiner l’univers », rêve qui se déploie au-dessus de la piste d’un cirque sous la fusée des applaudissements, ou bien encore ménagerie de « poète interloqué » (albatros etc.), « épopée noueuse » de l’arbre, biographie imaginaire (les seules vraiment impartiales) – voyez celle, tout à fait réussie, de Passepartout, ce double de Phileas Fogg – le poème est un récit de pirates (Méditer l’équation : Lettre à un jeune pirate/Lettre à un jeune poète) qui, portant sur ses épaules aventureuses l’étrange ambition de se vouloir adulte, est à la fois un savoir et une voix (une voie ?) singulière.

Emmanuel Hiriart sait que « les mots sont toujours ceux des autres, que l’on fait siens... », que le poème est un ready-made, toujours quelque peu parodique (« Comme un vol de pinsons/Hors du hallier natal/ Ivres... »). Mais il sait qu’avec un galet bien choisi, l’enfant – je veux dire le poète – « fait ricocher les dieux ». (Poésie sur Seine n°55, déc. 2005)

 

 

LES PRAIRIES D'ALTAMIRA d’Emmanuel Hiriart éditions Editinter 12 euros

Le poème, à ne s’y point tromper, est un Théâtre en liberté1 où Elle et Lui, toujours face à face ou côte à côte, dialoguent à l’infini. La Cassandre de Ronsard y vit éternellement. Dans cette liberté conquise, « le poème se disloque et s’organise », et c’est toujours une histoire d’amour ou d’espérance à laquelle le poète prête un décor (la grotte primitive, par exemple), une mise en scène (les didascalies sont la voix du poète, pas du poème), un jeu d’images. Le poème est une offrande où se peint « la couleur aimée [d’un] prénom », le chant mémorable où s’inscrivent blessures et cicatrices dans « la beauté carnassière du monde ».

Avec ces « Prairies d’Altamira », Emmanuel Hiriart nous offre un très beau recueil par lequel le poète n’en finit pas de s’inventer dans les métamorphoses du poème, de partir à la recherche d’une « parole claire » et d’une « forme / Pour vivre » (on admirera la variété de ses propositions) dormant cachées sous le masque des mots (« dans l’ombre de ma phrase », dit le poète). (Poésie sur Seine n° 67, Hiver  2009)

 

1 Titre repris d’un recueil peu connu et pourtant excellent de Victor Hugo.

 

 

 

CLAIRE DANS LE MIROIR et autres nouvelles  de Jean Joubert Melis éditions

L’être humain n’est jamais exactement ce qu’il voudrait être et ce qui l’entoure a des attendus qui lui échappent. Il peut se définir peintre, écrivain, poète, voyageur ou vagabond, mais il s’agit d’un jeu d’apparences dont il est l’instrument ou la victime. Tel est bien, en profondeur, le sens de ces récits elliptiques et rigoureux dont la dimension poétique n’est jamais absente comme c’est toujours le cas dans les proses de l’auteur de L’homme de sable1.

Claire se veut laide et son reflet dans le miroir, d’une insai-sissable beauté, conduit à la folie l’homme qui l’a entrevu. Vitruve se veut poète et enseignant et il ne sera ni l’un ni l’autre en dépit de ses tentatives. La fenêtre, au loin, allumée sur la nuit, avec cette silhouette, penchée sur l’écritoire, identique à celle d’un écrivain dont le récit s’enlise, révèle la duplicité de l’existence, duplicité qu’incarne si bien la mystérieuse Bénédicte dont la figure ambiguë hante la plus longue nouvelle du recueil.

La vie ne serait-elle pas autre chose qu’une promesse non tenue, une passante énigmatique qui découvre soudain un sein menu derrière les vitres d’un train aussitôt évanoui ? Quelle était donc la couleur des yeux de celle qui avait annoncé sa venue et pour laquelle celui-là trompe en vain son attente dans les gestes minutieux du quotidien ? Et puis, comment s’arrange-t-on avec la peur dans la tentation permanente de la transgression ?

Le plus fantastique dans tout ça et le plus réel aussi, voyez-vous, c’est que les personnages de Jean Joubert sont aussi le reflet, à la fois romanesque et poétique, de nos propres lâchetés, témoignent d’une étonnante capacité à tout accepter sans révolte excessive : même la plante irascible qui envahit la villa et chasse les occupants et, à deux reprises, l’arbitraire d’une prison fina-lement assez douce puisqu’on peut y écrire ce qu’on veut, même si ça n’intéresse personne, et où le seul inconvénient notable est une nourriture, peut-être un peu trop riche en pommes de terre. (Poésie/première n° 30, novembre 2004)

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1 - L’homme de sable, Prix Renaudot 1975 Babel, Actes Sud.

 

 

CHEMIN DE NEIGE de Jean Joubert. Illustrations d’Elsa Huet. Lo Païs d’Enfance Ed. du Rocher

Jean Joubert, on le sait, a également beaucoup écrit pour la jeunesse. Toujours avec bonheur. Ici, avec ce Chemin de neige, il présente – soutenue par les illustrations fraîches et inspirées d’Elsa Huet – une série d’haïkus qui s’accorderont parfaitement au regard neuf des enfants (à partir de 10 ans), à leur si étonnante capacité à se laisser surprendre et à s’émerveiller : Lorsque j’ai dit le mot : arête, / il s’est planté / dans ma gorge.

De son côté, le lecteur averti ira visiter ces délicates calligraphies en se réjouissant d’y découvrir, cachés à son intention sous l’empreinte légère du pinceau, ici ou là, telle discrète pointe d’érotisme :  Sur la plage nue, / béant, / un coquillage rose et même quelques-uns de ces « songes noirs » que le poète cultive au versant d’une rose :

De notre cœur à la terre, / il n’y a que sept pas / et le temps court sur ses semelles noires.

(Poésie/première n°35, juillet 2006)

 

 

REFLET DU CIEL AU FOND D’UN PUITS Jean Joubert – 314ème Encres Vives

Jean Joubert campe ici longuement sur sa pente la plus sombre (cf. mon article, Jean Joubert ou Les deux versants du poète, Le Jardin d’Essai n° 29/30) : “Il nous faut vivre dans le deuil...”. En dépit du “regard furtif/ d’une rose”, tout n’est que “ténèbres”, en proie au monstre souverain issu d’une vieille lignée qui assassine l’espérance : “Le bonheur est-il possible ?

La rumeur du monde est une longue plainte qui habite le sommeil des malheureux dormeurs et se prolonge dans leurs songes. Avant l’aube, le coq sera habilité à lancer sa funèbre prophétie : “Et si... l’aube n’allait pas se lever... ? “

A cet “Homme sombre, / semeur de suie, / complice des brouillards”, il reste à regarder par-dessus son épaule pour apercevoir la belle jeunesse d’un avenir en marche, “chevelure dénouée,/ un livre entre les mains” qui a la douceur d’une “ pluie d’avril”, “les douces lèvres du silence”.

Cette jeune fille – pour laquelle il se voit transparent – est une renaissance qui l’invite à rejoindre l’élan sauvage des forêts où les anciens dieux gîtent sous l’écorce, à se défendre de des angoisses en demeurant en deçà de la frontière sournoise – “entre rêve et réalité”, dit le poète – “où des tueurs dépenaillés tiraillent”.

Mais l’autre versant soudain s’éclaire : il est temps de célébrer les miracles du printemps où le poète chante “l’arbre et l’enfant” et pas seulement le “reflet lointain/du ciel au fond d’un puits”.

Est-il nécessaire de dire le plaisir de lire et à d’avoir à rendre compte de poèmes de cette qualité où s’inscrit le destin périlleux des hommes ? (Poésie/première n° 31, mars 2005)

 

 

UN JOUR ENCORE de Jean Joubert, collection « vent de terre »

Il s’agit d’une mince plaquette publiée par l’association Humanisme & culture, une vingtaine de pages qui illustrent de façon magistrale l’esprit à la fois si généreux et si tourmenté d’un de nos meilleurs poètes. La problématique est simple comme la poésie qu’on aime : « Un jour encore nous est donné /un jour et sa parole d’aube,/ses lèvres d’or sur les collines// Un jour encore... »

Que pouvons-nous en faire ? La condition humaine est là tout entière dans ce miroir magnifiquement tendu – richesse des images, juste tempo de la partition – pour célébrer un monde qui chaque jour nous offre sa promesse de bonheur, en dépit d’un ciel vide et de notre mortelle propension à courtiser « les tourbes de la nuit », en dépit aussi de tous les disparus que la terre étreint de son « étau » et sur lesquels nous marchons. L’engagement du poète a ici la forme d’un saisissant appel : « Asseyez-vous, peuples de loups, sur les frontières/et négociez la paix des roses, des ruisseaux,/l’aurore partagée ». Et le fait est, nous montre le poète, qu’il suffit d’ouvrir la fenêtre pour s’emparer de la beauté du monde, éprouver ses singuliers et douloureux mystères, se baigner dans les ombres plaintives de la nuit, accueillir la clameur de l’aube et la renaissance d’un jour qui se déploie comme une chevelure. S’offrir au partage pour effacer la mort qui guette, car – nous dit-il avec force – « Ce sont l’écoute,/la ferveur/et la louange/qui nous sauvent ».  (Poésie/première n°37, mars 2007)

 

MINI-CONTES POUR ENFANT POINTUS de Jean Joubert, Pluie d’étoiles éditions  illustrations de Christian Pieroni

Jean Joubert, le poète et le romancier réputés, est aussi un maître dans le domaine du conte pour enfants. Ses Mini-contes pour enfants pointus que Pluie d’étoiles édition publie aujourd’hui méritent de devenir des classiques du genre, au même titre que Hibou blanc et souris bleue ou Le chien qui savait lire (Ecole des loisirs). Le poète et le romancier s’y expriment avec la même élégance, la même fraîcheur, et en utilisant les mêmes ingrédients – images et musicalité, humour noir ou rose, merveilleux et fantastique – que dans ses textes pour adultes. Est-on si certain d’ailleurs que ces proses-là ne s’adressent qu’à des enfants ? Moi, qui n’en suis plus tout à fait un, je me sens merveilleusement concerné par cette autoroute qui dérange les doux géants herbivores de la forêt (ne pas confondre avec l’ogre d’autres lieux), ce tyran et sa “noire engeance” qui voudraient interdire l’usage des couleurs, ce train qui continue de rouler “au delà du delà”, ce coq qu’il ne fallait pas rater un point c’est tout, ces mots lâcheurs qui quittent le vieil homme à son automne…, ce jeune pêcheur qui dans un lac sans poissons pêche un livre qui raconte l’histoire d’un jeune garçon qui dans un lac… etc. Un régal ! (Poésie sur Seine n° 62, septembre 2007)

 

 

ETAT D’URGENCE, poèmes 1996-2008 de Jean Joubert Editinter éditeur 17 €

  Editinter nous livre ici un recueil important qui reprend – avec des inédits – le meilleur de Jean Joubert sur ces douze dernières années, y compris le recueil Arche de la parole, édité au Cherche Midi en 2001 et aujourd’hui épuisé.

  Il s’ouvre sur le constat tragique d’un monde en perdition : « Printemps noir. / Des couteaux dans chaque fleur, / sous chaque pierre un assassin. // Partout viols, meurtres, rapines, /complicités et grimaces. // Le mensonge en étendard, / l’évangile du saccage... »

Ces grincements de poulie dans les vers de Jean Joubert, ces reflets sanglants qui traversent les nuits de ses poèmes sont les éclairs convulsifs d’un siècle qui s’achève en saccageant le monde. On peut encore s’interroger : « Faut-il tenter quelque parole / pour dénoncer, pour conjurer ? ». On peut se raccrocher à quelque espérance, en « rassembler le grain » dans la grange du poème : « Puisse un soleil nouveau / Une hache brûlante / Fendre la nuit / Délivrer la lumière. Mais l’urgence est là, angoissante : « Et si dans le creux de l’hiver / l’aube n’allait pas se lever.../ si enfin triomphante / la nuit allait serrer la gorge des collines... » se demande le poète.

Car le sommeil de la raison engendre des monstres et il faudra plus que des prières pour retrouver les promesses de l’aube sur une terre apaisée : « Asseyez-vous, peuples de loups, sur les frontières / et négociez la paix des roses, des ruisseaux, / l’aurore partagée. / Que les larmes, les armes / S’égarent dans la rouille et la poussière. / Que la haine crachée soit bue par le soleil...» 

Ces monstres qui actualisent les anciennes terreurs, Jean Joubert en restitue ici le carnaval inquiétant avec la belle et douloureuse conviction que dans la forêt des signes noirs, seul le poète peut encore capter des plages de lumière.  

(Poésie/première n° 43, février 2009)

 

 

MADEMOISELLE  BLANCHE de Jean Joubert, éditions Domens/Poche 7,50 €.

Il s’agit de la version poche d’un roman paru chez Grasset en 1990. Un plaisir de lecture avec lequel les éditions Domens nous permettent de renouer. Ce roman, écrit sous le signe de Flaubert, évoque l’éducation sentimentale d’un jeune homme des années cinquante dont la révolte adolescente s’exprime dans le détachement, l’éloignement, presque la fuite. Non pas la conquête donc, à la façon d’un héros balzacien, mais la peur de perdre une liberté, de se perdre, dans le cadre pesant de la famille, de l’environnement – fût-il celui d’une province au charme un peu désuet – et de l’amour même. Avec le talent de conteur et de poète que nous lui connaissons, Jean Joubert nous propose ici une image double et contrastée de l’éternel féminin à travers les portraits des deux femmes qui auront compté dans la vie de Julien, l’une sensible et cultivée, prisonnière d’une éducation rigoriste et tournée vers le passé, l’autre libre et sensuelle, peu soucieuse d’introspection ou de littérature. Ce beau roman est aussi une façon de montrer que ce qui peut survivre de nous-mêmes est à chercher dans le souvenir des autres. De ce point de vue l’art et la littérature ne sont pas seulement une aide à vivre pour tous, mais aussi ce qui permet, à ceux que la postérité retient, de ne mourir jamais. (Poésie/première n° 43, février 2009)  

 

 

Petite montagne magique, suite de dix poèmes de Jean Joubert dessins et maquette de Raphaël Ségura. 15€ L’ouvrage réalisé avec le soutien de la ville de Frontignan La Peyrade a été tiré à 150 exemplaires numérotés et signés par les auteurs.

Faut-il préciser que le titre est volontairement repris de Thomas Mann ?

Il y a indiscutablement des lieux magiques : la montagne de la Gardiole en est un qui appelle les regards du poète – Jean Joubert – et du peintre – Raphaël Ségura. Ainsi est né ce format à l’italienne où le dialogue s’engage entre le poème, qui construit peu à peu son imaginaire à la pointe des mots, et l’instantané du tableau qui accroche lignes et couleurs à la cimaise de la page.

Une réussite !

La magie, c’est aussi l’élégance de la maquette, également due au talent de Raphaël Ségura, et c’est la voix unique du poète – « Appelle-moi rêveur, sourcier, errant. / Appelle-moi corps perdu, pêcheur d’images, quêteur d’étoiles » – à la fois si simple et si singulière, une voix qui sait si bien célébrer l’énigme et la beauté des choses

On voudra absolument se procurer cet ouvrage superbe qu’on peut commander directement à l’atelier de Raphaël Ségura, 5 place des Martyrs de la Résistance 34000 Montpellier.(Poésie/première n° 54, novembre 2012)

 

 

Petite faune poétique et portative de Jean JOUBERT, poèmes- dessins d'Elsa HUET.  Couleur livres éditions 9€ (Belgique)

Le dernier né de l’excellente collection « Carré d’as », dirigée par Béatrice Libert, rassemble cette fois une suite de délicats haïkus signés Jean Joubert et joliment illustrés par Elsa Huet. Il s’agit d’un bestiaire où le lecteur, jeune ou vieux, rencontrera, sous la forme brève du poème d’inspiration japonaise dont le poète sait saisir l’esprit sans le pesant formalisme, les résonances mystérieuses d’une éternelle jeunesse :

« Dans la forêt d’enfance

toujours rôde en rêve

le fantôme du loup »

Ici, chaque calligraphie s’inscrit à la pointe légère du pinceau, et sur trois vers tout est dit, car tel est le talent de l’auteur. (Poésie/première n°57)

 

 

Du café au Théâtre, Voyage avec les baladins des petites scènes de Charles JOYON, L’Harmattan

Pour moi, ce fut, au lendemain de 68, le Café de la Gare et la bande à Romain Bouteille (dont je connaissais le papa, Fernand - je salue ici sa mémoire), avec des inconnus qui s’appelaient Coluche, Miou-Miou, Dewaere, Depardieu  etc. Ne me demandez pas le nom du spectacle, mais je me souviens que ce n’était pas triste et que la soupe à l’oignon, servie par les comédiens, était bonne, mon général.

Pour Charles Joyon, c’est bien autre chose, car c’est de l’intérieur, en connaisseur, en consommateur, en pratiquant, qu’il nous livre son expérience irremplaçable d’un demi siècle de petites salles parisien-nes de spectacles vivants, du café-théâtre à la cave à chansons.

Une somme (640 pages) passionnante, incontournable, au service de la création éminemment poétique. Il faut absolument y aller voir !  (Poésie sur Seine n°51, déc. 2004) 

 

 

 

LES DÉSENCONTRES, nouvelles de Claire Julier - Editinter

Il ne faut jamais perdre de vue que la nouvelle, qui appartient au côté court de la littérature, doit à sa nature elliptique de faire fond sur l’imagination et l’intuition du lecteur, sur sa capacité à traiter les non-dits. C’est en ce sens, d’ailleurs, qu’elle se rapproche du poème, et plus particulièrement du poème en prose, dont elle peut apparaître comme une sorte d’expansion.

Car rien ne lui interdit – et c’est souvent le jeu de la modernité – de rendre compte, à travers la banalité du quotidien, non pas de ce qui fait la matière du romanesque, mais de cet essentiel si difficile à capter et dont on constate avec le poème qu’il se réfugie souvent dans le silence des marges.

Le recueil de Claire Julier en est une illustration parfaite. Au-delà de la qualité de l’écriture qui est remarquable, de la variété des thèmes retenus (les cités - la vieillesse - la solitude à deux - la maladie - l'ordre - le chômage, etc.), le lecteur sera forcément séduit par ces quinze nouvelles très ramassées, et il admirera la capacité rare de cet auteur à retenir l’attention à travers la mise en scène de ces non-événements qui sont la trame forte de nos vies : l’attente entre deux portes pour un scanner - la paumée qui mendie ses dix balles - le passage d'un maître chien  sous un balcon...  (Poésie sur Seine n°52, mars 2005)

 

 

ENTRE-DEUX, nouvelles de Claire JULIER Editinter.

Dans ces nouvelles parfaitement écrites, toujours énigmatiques, Claire Julier réussit cette gageure de raconter l’inracontable, ce qui se passe entre les êtres – entre deux, souvent – sans relever de l’événementiel. On a des situations (le perchoir d’un péage d’autoroute, un tête à tête au restaurant, un conseil de famille…), des décors (une plage, une maison au bord de la mer…), des portraits (des femmes :l’impériale Madame Blanche, Anna Isabella, la jeunesse incarnée ou la boulimique Ada ; des hommes : le manipulateur, le rêveur, l’indécis…) mais pas d’histoire à proprement parler. Ici, c’est davantage par ce qu’on cache que par ce qu’on dévoile que l’auteur capte l’intérêt du lecteur. Dévoiler, n’est-ce pas prendre le risque de le perdre dans un sens trop précis, de le maintenir à la surface des choses, de l’y engluer ? Donc pas de dévoilement ou alors imparfait, ambigu, incertain. Comme dans la vie !

(Poésie/première n°38, juillet 2007)

 

 

INSOMNIES DU VOYAGE de Colette Klein GRP collection Phréatique

Il n’est pas si aisé de suivre Colette Klein dans ses insomnies poétiques, d’autant qu’elle est une grande voyageuse que les espaces infinis n’effraient nullement. Pourtant elle se veut précise dans ses desseins (ses dessins), car en poésie comme en peinture, elle le proclame avec une certaine véhémence (A mort les Nymphéas !), elle a horreur du flou et de toutes ses manifestations brumeuses où elle ne voit « qu’un monde en décomposition, prêt à se dissoudre ».

      « Toute la planète aime les impressionnistes… sauf moi ! ».

Bref, l’univers qu’elle peint entend garder « la netteté du vitrail » et la solidité de « la roche vive » : « L’apparence dans l’œuvre se définit par des perspectives qui corsètent le paysage par des fils dissimulés sous les diagonales du vent… les diagonales du songe. L’artiste incorpore à ses organes les structures animées de la mémoire qui tiennent debout, face à sa propre mort, et dans la permanence de sa création ».

C’est qu’elle est animée d’une ambition plus haute que de se livrer à ses seules impressions, qui est d’aller au-delà de cette opacité dont se vêtent les apparences. Il s’agit de déchirer le voile, de trouver les opérants mots de passe, de débusquer cet indicible qui se cache dans les armoires, dérive dans les eaux dormantes, dévale les escaliers d’ombre, s’insinue dans les interstices.

Il se pose donc un problème de passage que souligne dans les textes l’importance des halls de gare, des frontières, des seuils, des miroirs et, même, pour rester au niveau du détail insolite et concret, de « ce rétrécissement du monde au bas de l’escalier et [de] cette obscurité sur les marches qui, parfois, entame les murs ».

 Il se pose un problème de mots.

 Le poète sait qu’il travaille sur du déjà dit, que la porte est étroite où se glisse l’aube nouvelle d’une création. Colette Klein accepte ces contraintes, mais du moins elle refuse l’exemple des « …sonneurs épris d’images creuses, de rimes verbeuses. Et qui se traînent dans le sillage des astres en phase d’extinction ». On retiendra que « Les mots toujours joueront à cache-cache avec les baleines ».

Il s’agit enfin de s’interroger sur la nature exacte de ce monde, sur sa solidité (« Et si la nuit venait à fermer les yeux ? »), son aptitude à se survivre (la Mort toujours présente), un monde fantastique, traversé d’incendies, où « les charniers, toujours, se verront en filigrane, et quelle que soit la lumière du soir. », un monde gigogne guetté par la folie, et que l’auteur traduit en coulées de lave incandescentes d’où s’échappent de grosses bulles de pure poésie avec les lueurs fulgurantes d’images qui brûlent l’âme. ( Poésie sur Seine n°46, Septembre 2003)

 

 

 

LE SILENCE DU MONDE de Colette KLEIN, Alain Lucien-Benoit éditeur - 15€.

C’est dans le format inhabituel (10,5x31,5) de la collection « Brèche » que se présente ce Silence du monde, parfaitement illustré par les encres inspirées de Marie Falize. Silence inquiétant, celui d’un monde malade où s’inscrit, lente agonie, le destin tragique des hommes. Ici, aucun pari (stupide ou non) ne permet de s’échapper, le “mot attendu” n’existe pas, et si le poète rêve d’un ailleurs, c’est “de la nuit où il suffoquera, des étoiles au travers de la gorge”. Ce petit livre déploie ses ailes noires avec la froide rigueur d’un couperet. Chaque mot atteint sa cible. Il est comme ce “feu qui s’achève, après décantation, emporte les mots et les souvenirs, tout ce qui, dans les tiroirs, croyait sécréter l’illusion de la joie”. C’est très fort et très beau. (Poésie/première n°30, nov. 2004)

 

 

 

 

LES JARDINS DE L’INVISIBLE de Colette KLEIN collection « Raffia » Alain Lucien Benoit, éditeur

L’éditeur, Alain Lucien Benoit, recycle le papier. Il en  fait de beaux objets – des livres d’une trentaine de pages, le plus souvent illustrés – dont la fermeture s’obtient par deux brins de raphia que l’on noue. « Raffia », tel est d’ailleurs le nom de la collection qui fut inaugurée par le regretté Armand Monjo et toujours consacrée au JARDIN, lieu clos par excellence, paradis dont Priape fut le dieu vénérable.

Le dix-septième ouvrage de cette collection rassemble, sous le titre Les Jardins de l’invisible, des proses délicates de Colette KLEIN.

Les murs franchis, nous entrons avec elle dans un univers qui capte les « miroitements » de la lumière, fait « offrande » de ses parfums, mouille de rosée les songes des passants, berce de ses ombres secrètes « la parole du vent ». Ici, l’âme mûrit comme un fruit et se fond dans les métamorphoses des saisons : elle est « incandescence » de l’été qui saccage, elle est « mutisme » attendu de l’hiver, elle est, au printemps, « rêves d’éternité ».

Le temps y projette ses « convulsions.

Par la grâce du poète, avec « des mots encore tachés de terre et de rosée », ce jardin devient un fabuleux spectacle – l’aurore avance « à pas feutrés », le crépuscule verse sa pluie d’étoiles – où s’inscrit l’évidence du monde et où se répand la semence des dieux.  

 

 

LES OBSCURCIS de Vénus KHOURY-GHATA, Mercure de France 15, 50 euros.

Le recueil s’ouvre sur un long poème dédié à Claude Esteban dans lequel Vénus Khoury-Ghata déroule des versets amples et inventifs pour déplorer, dans un espace de “ lunes ébréchées ” et de “ parapluies retournés par le vent ” la triste condition des âmes qui ont perdu, dans le siècle où nous sommes, consistance et contour, identité certaine : “ Nous maigrissons pour nourrir les cloisons faméliques de notre / chair ”.

Mais les larmes sont sans effets sur le destin des hommes. Dans un monde de soldats et de fusils : “ dans l’école restée sur l’autre pente / les élèves conjuguent le verbe mourir au présent ”, il faudrait pouvoir s’entendre avec les nuages, savoir cueillir les étincelles aux lèvres du foyer et “ cicatriser les genoux écorchés des / pierres ”.

Car l’auteur[e] a les mots qu’il faut pour dire la “ compassion des pierres ”. Ils sont, affirme-t-elle, d’étranges créatures. Porteurs de zizanie, ils se chargent de fureurs et de cris ou s’oublient dans des plages de silence et de poésie. Ils valent pour tous les usages et pour toutes les peurs. On peut les faire sécher entre des pages.

Les “ miroirs transis ” reflètent un monde absurde et surréel, un monde livré aux “ morts acrimonieux ”, où les objets vivants du quotidien1 – coq, bassine, poubelle, cage du canari, figuier de barbarie, fontaines inconsolables – inscrivent leur présence décalée parmi les “ vents hargneux ”.

On sait à qui appartient cette silhouette qui tricote ses rêves et dont les dits portent à ceux du village la sagesse du chèvrefeuille ou confient à l’alphabet le récit de ses nostalgies.

La manière de Vénus Khoury-Ghata est ici souveraine. ( Poésie/première n° 42 oct. 2008)

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1 cf. L’article de JPG, Vénus Khoury-Ghata ou la geste du quotidien, dans Poésie/première n°36.  

 

Vénus KHOURY-GHATA Où vont les arbres ? Mercure de France 2011

     Vénus Khoury-Ghata le sait au plus profond d'elle même, "on remonte sans cesse le cours des blessures comme le poisson remonte le lit de la rivière" (La maison aux orties, roman). Rien de concerté pour autant car, en dépit des intentions affichées, c'est la main – sinon quoi donc ? – qui décide des ombres, décors et protagonistes, que la plume convoque sur la page du poème.

     Ainsi en est-il des maisons et des arbres. Celle-là, maison des larmes et maison des orties. Celui-ci, le grenadier sanglant, le plus important, le plus symbolique, dont même se souvient qui n'a plus de mémoire. Et tous les autres arbres qui s'en sont allés dans le "désarroi de l'air", cyprès complice, peuplier oublieux et chagrin, tilleul aux branches accueillantes, châtaignier où veillent les pigeons, eucalyptus rêveur, saule "qui se retient de rire" ("le saule ne pleure qu'en français et en automne" écrit la main), figuier "aux hanches opulentes", ou platane "loqueteux".

     Ainsi en est-il d'une mère que le poète appelle et interpelle de toutes les façons. une mère reconstituée telle une marionnette remplie "jusqu'aux yeux de plâtre de bienveillance de silence et / de son / Un fil de fer flexible pour les yeux / attendre qu'elle sèche pour inciser la bouche et lui inculquer parole / et douleur". Une mère pour fratrie dérangeante. Une mère qui se multiplie pour en découdre avec la vie. Une mère héroïque et à jamais présente dont Vénus Khoury-Ghata écoute et restitue la voix de courage et d'éclairs dans la langue universelle d'une poésie où passent les orages d'un temps martyrisé :

 

"Mère de rien du tout

qui traverse les années avec son tablier décoloré

une serpillière dans une main

sa dignité dans l'autre

mère célébrant la nuit avec sa lampe à trois mèches

aplatissant la grisaille

la couchant sur le sol mauvais

en terre battue

pour mieux écouter la respiration des morts

les disputes des vents souterrains".

 

(Poésie sur Seine n° 79, hiver/printemps 2012)

 

 

Erevan-Paris IXe d’André R. Labidoire Editinter éditions.

     Ce récit se veut avant tout un témoignage où se lisent, au jour le jour, les découvertes d’un enfant de dix ans et la saga d’un parrain arménien que le génocide turc de 1915 à contraint à l’exil. Le présent et le passé s’y conjuguent pour restituer dans la saveur du quotidien, sa proximité touchante, son merveilleux parfois, la réalité cruelle d’une histoire terrible qui attend son mot fin. Car, en dépit des noms de poésie que la géographie propose – Erevan, Trébizonde – de l’étonnante aventure qui mène Ratch Fetvadjian « en pleine Révolution russe jusqu’à Vladivostok par le fameux Transsibérien, puis au Japon, à San Francisco, New York et enfin à Paris », c’est la première partie du XXe siècle, abominable et sanglante, qui resurgit ici, à travers le regard clair d’un enfant. (Poésie/première n° 44, juin 2009)

 

 

André R. LABIDOIRE La langouste avait trois antennes, Fables et Soties d'aujourd'hui, Editinter 200 pages 20€

      Cette fois, André R. Labidoire abandonne le roman/témoignage (Erevan -Paris IX, Editinter) au profit de textes courts à vocation satirique, de préférence lettres ou discours dont les destinataires comme les auteurs supposés sont les instruments qu'il se donne pour cibler les travers souvent dramatiques mais toujours risibles de notre époque. Pour cette dénonciation, l'humour d'André R. Labidoire ne craint ni l'à-peu-près potache ("Bertrand Dudéclin" - "les amis du Couac 40" - "la portion de congre crue") ni les effets appuyés, mais son ironie se montre ravageuse quand, par exemple, elle affecte de s'intéresser aux méfaits de la crise sur les dépenses somptuaires des députés et des ministres, ou bien d'imaginer le recyclage des déchets graisseux de la chirurgie esthétique dans un nouveau carburant écologique, ou encore de proposer une défense et illustration de la laïcité par un adepte du culte solaire d'Akhenaton. Bref, une manière décapante d'inviter le lecteur précisément là où flotte un délicieux parfum de paradis fiscal et de magouilles en tout genre.

      A sa façon, André R. Labidoire témoigne d'un monde tellement réjouissant qu'on peut se demander s'il ne serait pas plus prudent d'adopter la posture du protagoniste de son texte intitulé la Mise en boîte :

"Un matin très tôt, je décidai de ne pas me réveiller afin de ne plus voir ce monde innommable". (Poésie sur Seine n° 79, hiver/printemps 2012)

 

 

mémoire du Danube de Monique W. LABIDOIRE, poèmes La Bartavelle éditeur, 1999.

 A ceux qui partent, l’exil est toujours déchirure imposée. Mais quand il s’agit de fuir les “hordes casquées de noir”, on peut se demander ce que devient la simple nostalgie. Dans Triptyque (La Bartavelle Editeur, 1997), son précédent recueil, Monique Labidoire nous avait prévenus : “Tout est oubli” et “Tout est mémoire” ; silence et paroles sont les deux registres contradictoires d’un même destin. Ici, dans mémoire du Danube, qu’accompagnent les superbes gravures de Marie Alloy et la préface, sobre et belle, d’Henry Bulawko, président de l’amicale d’Auschwitz, Monique Labidoire a choisi de prendre la parole et d’extraire les mots que la souffrance avait “incarcérés”.

A celle qui a survécu, à sa mère, elle offre la part belle des souvenirs heureux. La mémoire évoque autour du fleuve un paysage d’alluvions, terres de nomadisme et terres d’invasions, – la puszta hongroise – que le vent nourrit de son souffle comme un “chant sinueux”, comme une “plainte de roseau”, et qui se démet peu à peu de cette simplicité première où l’archet magique commande au violon tzigane pour finalement s’habiller d’une musique d’opéra. Pour le poète, désormais, les souvenirs ont la saveur des mots de la langue nouvelle, mais aussi doux que le miel de là-bas et dorés comme un vin de tokay dont se retrouvent les reflets ambrés dans les tresses blondes des filles. Miraculeux mélange des cultures !

A celui qui n’est pas revenu – “Tu nourris d’os calcinés les heures blanchies de chaux...”–  à son père dont “...la main saigne de blessures tatouées au chiffre bleu sur un bras”, elle fait l’offrande d’un pèlerinage sous “un ciel sans histoire car de cette histoire le ciel est absent”, et l’offrande d’un long poème, mémoire de la barbarie, arraché à la tentation du silence et du repliement.

Comment contourner l’indicible tandis que “les mots râlent leur dernier souffle... [et] que les murs s’habillent de lèpre et de sang ?

Mais alors, il faudrait laisser “la nuit et le brouillard” définitivement envahir la conscience des hommes, la barbarie piétiner la mémoire, admettre que chaque jour et “Demain encore nous entendrons la porte du wagon plomber l’espace” !

Monique Labidoire, dans une écriture à la fois précise et inspirée, émouvante, répond qu’il n’est pas temps de jeter l’encre/l’ancre au bout de cette tragédie. Qu’au poète il revient de remuer les cendres et de prononcer le dernier mot par lequel il entend affirmer que la mémoire soutient notre espérance. (Poésie sur Seine n° 32, mars 2000)

 

 

Epeler le monde, Récit-poème à deux voix Monique W. Labidoire & André R. Labidoire - Librairie-Galerie Racine.

Quelle est la fonction du poète ? Raconter le monde ? « L’épeler » pour reprendre le titre de l’excellent recueil que Monique W. et André R. Labidoire nous donnent aujourd’hui avec la complicité de leur éditeur ? Pour Hugo, on s’en souvient, “Le poète en des jours impies / Vient préparer des jours meilleurs. / Il est l’homme des utopies”, sa mission est de “Faire flamboyer l’avenir”. (Les Rayons et les Ombres) et le célèbre alexandrin de Lamartine résonne dans toutes les mémoires : “Honte à qui peut chanter pendant que Rome brûle !” (A Némésis).

Les auteurs de ce « récit-poème » qui ont traversé le terrible dernier demi-siècle, en parallèle d’abord puis en conjuguant leur destin, sont les instruments concertants d’une réponse actuelle à cette question impossible à éluder.

Que fait-on de ses souvenirs quand ils s’enroulent dans les atrocités du monde, que “Le chaos pousse la porte de toutes les maisons”, ici, partout, hier et aujourd’hui, que le monde est fait de mots qui meurtrissent et qui saignent ? Faudra-t-il se boucher les oreilles pour ne pas les entendre ? Se réduire au silence pour ne pas dire la réalité du monde ?

Lui, met crûment le doigt sur la blessure : “De quels textes, avec quels mots naissent les couteaux, les haches, les grenades et les bombes ?” Elle, sait qu’il a raison, qu’“Elle pesait les mots, les allégeait pour quelques formes fardées, les masquait, ne les affrontait pas toujours avec la violence nécessaire”. Elle reconnaît avoir “le vertige de la beauté et de l’harmonie”, admet s’être abritée “derrière l’éventail” en dépit de ce Mémoire du Danube1 arraché à la nuit et au brouillard et bien d’autres poèmes où “elle avait su dire fortement”.

En tout cas, elle et lui portent en commun une conviction forte dont ils inscrivent ici le constat à travers un lyrisme discret et des écritures parfaitement complémentaires : la conviction que le poème, y compris dans ses détours et jusque dans les marges où se réfugie l’indicible, le poème en état de grâce, celui qui marque une étape ou annonce les Possibles Futurs2, est toujours un moment de l’histoire du monde et la plus belle preuve d’amour. (Poésie/première n°30, nov. 2004)

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1 Monique Labidoire (La Bartavelle, éditeur).

2 Guillevic (Editions Gallimard).

 

 

 

LOINTAINES ECRITURES de Monique W. Labidoire Editinter 

Avec ce dernier ouvrage, Monique W. Labidoire nous propose ce qu’il est convenu d’appeler des carnets de voyages, c'est-à-dire des notations à caractère littéraire, des choses vues à travers une pratique du langage qui s’interroge sur elle-même.

Ainsi, le poème voyage-t-il dans l’espace : on le voit sur des chemins de sable et d’oasis, les alizés le mènent aux Amériques et le roulent dans les eaux lagunaires du Pacifique puis, après la fantaisie contrastée d’un hiver à Leipzig, il se fait lapidaire pour dessiner, d’un pinceau léger et méticuleux, les quatre saisons d’un Japon éternel : « Contre le mur/Ce n’est pas la corde du gong/qui frappe/Mais le typhon d’octobre/qui noircit d’ombre/le soleil ».

Mais le poème voyage aussi dans le temps. Sa marche caden-cée – son plain-chant – évoque les échos de mythologies ancien-nes qui mêlent leurs vestiges, dialoguent avec le silence, s’incrustent dans le granit, s’élèvent par degrés sous des ciels d’orage. Partout la pierre a recueilli la sueur et le sang des sacrifices, partout la terre se souvient de la souffrance des hommes. En dépit du sacré qui répand ses brouillards d’encens, en dépit de l’oubli qui tend son cou de sphinx, on entend la violence du monde, celle d’hier et celle d’aujourd’hui : « D’autres barbares éventrent les villages terrassant tous les possibles. Et nous regardons le massacre des terres. Et nous pleurons l’agonie du monde ». Notre poète la reçoit en même temps qu’elle célèbre, dans une langue hautement maîtrisée, les beautés d’une nature que l’homme colonise au risque de l’assassiner. (Poésie/première n° 32 juin 2005)

 

 

 

Soudaines sources de Monique W. Labidoire, Sac à mots édition

Le poète est un étrange voyageur qui a pour bagage les mots alourdis de cette pesanteur indéfinissable du temps qu’on appelle l’existence. C’est à lui seul qu’on doit les espaces habités qui dessinent le monde, les rites qui le sanctifient. Le poète Monique W. Labidoire en fait la démonstration réussie. Sa respiration cadencée marque le tempo de la phrase qui improvise le chant, brûle de son souffle la froideur du papier. Le voici, dans ses « suites » du poème, à la recherche des sources inconnues qui contiennent la promesse immense d’autres rives, d’autres horizons, d’une autre nature « empanaché[e] de fièvres et d’attentes ». Depuis sa naissance, il n’en finit pas d’être « à l’écoute des lieux ». C’est sa raison d’être, sa légitimité.

Confondant mystère ! D’âge en âge, il poursuit sa quête parmi les éléments, tantôt solides, tantôt liquides, générateurs d’images et de tourments : « Le texte questionne l’espace, graffite les murs et n’écorche pas la palabre continue de l’image ». Cet éternel voyageur promène un fabuleux miroir, et rien ne l’empêchera de se retourner, d’inscrire la nostalgie en barrage contre « l’hostilité des ouragans ».

De plonger ses racines dans la « mémoire du monde ».  (Poésie/première N° 38 juillet 2007)

 

 

 

 

S’aventurer avec Guillevic et neuf poètes contemporains Monique W. Labidoire Editinter 

Du propre aveu de l’auteur, il s’agit plus ici d’une célébration que d’une approche critique. L’aventure – où l’inoubliable auteur de Terraqué est la référence absolue – consiste à se risquer à trouver, dans un mot, la formule synthétique qui donnera la clef de chacun des poètes présentés : après Guillevic, Marc Alyn, Marie-Claire Bancquart, Serge Brindeau, Andrée Chedid etc. parmi les plus importants de la poésie contemporaine. L’ensemble est sérieux, documenté, et on saura gré à Monique W. Labidoire d’avoir montré, avec un enthousiasme contagieux, au-delà de toute différence, la fraternité de ceux qui font de leur engagement dans le poème non pas un jeu gratuit, mais le témoignage à la fois si évident et si complexe de leur attachement au monde : « Et l’oiseau, s’interroge Guillevic dans Etier, Est-ce que ce n’était pas/Mon pareil, mon écho, mon autre,/ Peut-être moi tout simplement ? »

Un livre précieux pour tous ceux qui s’intéressent à la poésie d’aujourd’hui.  (Poésie/première n° 37, mars 2007)

 

 

 

 

Requiem pour les mots de Monique W. Labidoire Editinter éditions.

Monique W Labidoire entend parcourir l’espace du poème pour y interroger la légitimité des mots. Elle le fait en poète qui sait, qu’en dépit des horloges, le temps est insaisissable et que rien ne résiste à ses inguérissables blessures, pas même les mots. Ce requiem est d’abord le triste constat de leur dépréciation, et aussi qu’il n’est pas si simple de s’arranger avec la fragilité des êtres et des choses. Ainsi voit-on au poème cet habit d’Arlequin où les bonheurs éphémères du quotidien, ne serait-ce que « l’odeur du café, le plaisir du pain grillé et de la confiture... », se mêlent aux fantômes toujours cruels des souvenirs. Ainsi voit-on les mots se charger de la noirceur des temps et l’histoire y planter ses couteaux. Le poème parfois se fait récit et dit « Je me souviens... Je me souviens ». Le voilà aussi qui témoigne, avec la voix grinçante d’un engagement. La question vitale est alors celle posée par le poète : « Quand le poème crie et crache ses noirceurs est-il encore poème ? » (Poésie/première n° 44, juin 2009)

 

 

Le chemin de L'Océan de Hélène LAFORIE, préface de Serge Brindeau Caractères éditions.

Hélène Laforie se meut dans un espace poétique où les éléments jouent un rôle essentiel : l’eau, et pas seulement celle de l’océan ou de la fontaine, mais celle du « puits secret où gît l’Amour sans fond », le vent, le sable des dunes, la terre où s’élèvent les durs  travaux des hommes (« Je sais depuis toujours la contrainte du travail, la dureté de la machine à faire des sous... ».

Ils sont tout naturellement l’objet d’impressions, de désirs que le poète traduit en touches retenues, pudiques, comme autant de pierres délicates entre lesquelles l’émotion sourd : On sait que la tempête, la maladie, l’exil, la mort...(« Il arrive que la pinasse (1) ne revienne pas »).

On sait que rouge est le soleil sur l’Océan et rouge le drapeau qui revendique la fin des injustices et des oppressions.  (Les Saisons du Poème n°25, mars 1997)

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(1) La pinasse est la grosse barque en bois des pêcheurs.  

 

 

 

De la plus haute tour de André Lagrange. Frontispice de A. Jaume-Boyé. E.C. Editions

Comment recevra-t-on ces textes, ces fragments, rassemblés dans un recueil dont le titre – De la plus haute tour – indique assez la mise à distance d’une expérience, celle-ci longue et riche, qui aura additionné les heures, “ nonchalantes ”, “ agressives ” ou simplement vécues en s’en remettant au “ bon vouloir du quotidien ” ? Il y faudra certainement plus d’une lecture tant la substance de ces “ libres pensées ou autres ” est d’une belle complexité. La démarche consiste à donner une forme choisie à des pensées surgies au hasard des rencontres, des voyages, des lectures, de descendre en soi à la recherche d’une vérité peut-être inaccessible, de s’interroger sur les modalités ambiguës de la parole et de sa traduction écrite, ou encore de témoigner de la présence de l’autre à la fois l’étranger (l’ennemi ?), et le double désiré, l’indispensable compagnon : “ Egaré en ce jour, j’avance sur un chemin établi pour deux ” nous confie André Lagrange. Que peut pour nous le langage ? se demande-t-il. Quarante ans après la mort d’André Breton (1966), il reste habité par l’aventure du Surréalisme (ce “ hasard mental ”) qui aura si fortement contribué à libérer l’activité littéraire ou artistique des contraintes les plus usées et à y affirmer la part du rêve. Et le poète ? “ Franchissant le décor langagier le poète s’avance, ainsi qu’une réponse informulée ”. (Poésie/première n° 36, oct. 2006)

 

 

Heures saisies heures dessaisies d’André Lagrange E. C. Editions 15 euros

Le dernier recueil d’André Lagrange présente une alternance savamment orchestrée de fragments courts et de proses denses en formes de poèmes où l’auteur, fuyant l’anecdote, capture les instants propices de ses méditations. On croit discerner un mélange de souvenirs diffus et de réflexions qui ne font de lui ni un historien ni un philosophe, mais un poète qui sait que le fleuve et le temps se lassent de couler dans le même sens, que l’origine et la fin sont à jamais des inconnus, que l’homme oscille entre savoir et parti pris, que l’avenir pour lui se tient debout au bord d’une falaise.

Dans ces pages graves, nulle révolte contre “ les heures grimaçantes ”, mais la volonté exprimée de poser sur les choses un regard insistant et lucide, de se défendre du fanatisme et de ne pas s’en remettre sans illusion aux paroles et aux mots. Au bout du compte, le sage sait quel nom porte la menace qui survit : “ A celui qui n’a plus d’ennemi, le miroir renvoie sa propre image ”. (Poésie/première n°42 octobre 2008)

 

 

MAL DE MÈRE de Léo Lamarche Prix de l’édition du Val de Seine 2004 Editinter 

A-t-on assez dit qu’on ne choisit pas sa famille ?

Celle d’Agathe est catastrophique, tant elle s’acharne à refuser l’amour dont l’enfant a besoin pour se construire. Même, Ariane, la grande soeur trop aimée, et dont la disparition violente est au carrefour de cet itinéraire tragique, est porteuse d’une blessure secrète : Ariane, ma sœur, de quel amour blessée... qui annonce les dérives ultérieures.

Désormais, Agathe vit l’inconvénient d’être née entre des parents centrés sur eux-mêmes et qui se déchirent avec raffinement : une mère, vieille et laide, murée dans un désespoir suicidaire, pour qui elle n’est pas autre chose qu’une impardonnable erreur – « mon fibrome », dit-elle en la présentant ; un père qui « consolait sa peine inépuisable au fond d’un verre de rouge qui ne se vidait jamais ».

Pour cette enfant « broyée, hachée menu par les éclats de voix de [ses] parents, éclatée par les chevrotines » qui ont tué sa sœur sous ses yeux, il n’y aura d’autre destin qu’une lente agonie par autodestruction – mutilations, anorexie, drogue, prostitution – orchestrée avec un art de la dissimulation et de l’efficacité qui la mène inéluctablement sur les bords d’une folie où elle est en proie à des voix qui « [l’]appellent,[lui] ordonnent, [la] rabrouent ou [l’] insultent » jusqu’au geste inouï qui, définitivement, fait basculer son existence dans l’univers inextricable de la justice et de la psychiatrie. « Art de la fugue » – dit l’auteur[e], Léo Lamarche, qui a au plus haut point le sens des formules qui font mouche.

Car ce roman écrit au scalpel, avec l‘implacable rigueur, la densité d’une nouvelle, est une souffrance de cent pages éblouissantes de talent et de vérité. L’histoire d’une expiation injuste et terrifiante. Un suicide au long cours et une histoire de cœur dans tous les sens du terme.

Vingt-six chapitres ultracourts, d’une rare qualité littéraire, et dont chacun est un coup de poing.  (Poésie/première n° 32, juin-juillet 2005)

 

 

ENFANTICIDES nouvelles noires de Léo Lamarche. Illustrations de Myriam Chauvy. L’embarcadère éditions -  (les droits d’auteur de ce recueil sont reversés à l’association La voix de l’Enfant).

 “ Enfanticides ” et non pas “ infanticide ” comme l’exigerait le dictionnaire préoccupé de prendre ses distances avec l’horreur. Ici pas d’abstraction, et un pluriel logique pour ces six nouvelles noires et autant de cas concrets, terribles, insupportables, évoqués avec un vrai talent par l’auteur[e] de Mal de mère, roman Editinter édition, dont nous avons souligné la force et la qualité dans le n° 32 de Poésie/première. Six cris d’angoisse et autant d’appels à ne pas détourner le regard d’une souffrance trop répandue et le plus souvent ignorée parce qu’elle se veut cachée, pudique, honteuse, voire coupable. Six enfants en proie à la maltraitance de ceux qui devraient les aimer, les protéger, enfants privés de soins, affamés, violés, torturés, martyrisés, dans un “ monde éclaté en jets de douleur âcre, geyser d’un corps émietté que l’on cogne… ”. Six histoires cruelles comme la vie “ un jour d’encre et de brouillard froid ”. A travers l’épure des récits, six témoignages qui visent juste et qui font mal.  

(Poésie/première n° 36 et Traversées n° 44, automne 2006)

 

 

 

ÇA NE CASSE PAS TROIS PATTES À UN CANARD... ET APRÈS ? Jean L’Anselme Rougerie éditions.

Jean L’Anselme est un « vieux clown infréquentable ». Ce n’est pas moi qui le dis, c’est lui. Et il suffit de voir comment marche ce canard-là avec ces trois pattes et sa suite d’« élucubrations, âneries, impertinences, stupidités, inconvenances, ronchonneries, lumières d’intelligence de l’auteur » pour reconnaître le bien fondé de l’assertion. Terrifiant spectacle ! « degré double zéro de l’écriture » ! Bilan consternant !

Voilà près de soixante ans que ce poète-là encombre l’édition française de ses écritures « con » dont le but revendiqué est de nous épargner le complaisant, le convenu et le compassé afin de recueillir un autre langage, celui qui nous tord et qui nous enflamme parce qu’il met l’humour à l’ordre du jour en dénonçant les absurdités de la vie sociale et les incohérences du monde.

     Ce n’est pas qu’il ne sache se montrer doux et caressant. « Le temps, c’est ... l’argent de mes cheveux » dit-il, et encore : « Le ciel se chagrine, les nuages sont au bord des larmes ». Mais il craint trop la pose et le ronron dit poétique pour s’abandonner longtemps à ces chatteries. Certes, il n’entend pas renier sa vocation : « Tout gosse, j’avais déjà des vers dans mes selles ! Déjà poète ! Déjà chiant ! », mais il veut se protéger des effets asphyxiants de la culture dominante, celle des professeurs (« Je leur laisse le signifié et le signifiant ; moi je me réserve l’insignifiant »), celle des curés : « Ma foi me cause de la bile ») », celle des militaires ou de leurs commanditaires [1] (« Boucherie. Bush rit »).

     Bref, Jean L’Anselme n’est pas sortable, mais si j’ai de la tendresse pour lui ce n’est pas parce qu’il est le désespoir de tous les coincés qui veulent réduire la poésie à un épanchement lacrymal, c’est parce qu’il me parle de son ordinaire qui est aussi le mien : « Quand on est pressé, on prend le métro ; mais quand on prend le métro on est pressé » ; et que ses questions toutes naïves se trouvent être également celles qu’il m’arrive de me poser : « Pourquoi les filles sont-elles toujours plus jolies que leurs mères, même quand elles leur ressemblent ? ».

Et puis, j’y pense, n’aurait-il pas pensé à moi, justement à moi, en écrivant cet aphorisme : « L’usage répété de la citation relève davantage de la prothèse et de l’orthopédie que du savoir dire » ?  8/03/2005


[1] Les Mémoires inachevés du général Duconneau étant épuisés chez Rougerie sont sans doute à consulter à la bibliothèque historique de l’Armée.

 

 

Con comme la lune, poésies de Jean L’Anselme - éditions Rougerie

Le nouveau L’Anselme est arrivé, gouleyant pour certains et trop corsé pour d’autres, mais avec toujours en bouche ce parfum  de subversion, ce goût de transgression qui n’appartiennent qu’aux grands crus. Jean L’Anselme est un résistant. C’est comme ça. Il le fut en d’autres temps. Il l’est toujours. Contre « l’ampoulé aux hormones », il affirme, comme on enfonce un clou, la nécessité de « l’Art con », mais un « art con » intelligent et concerté et qui n’a donc rien à voir avec l’état de nature dont la connerie claironne ou prie (« ma foi me cause de la bile » a-t-il écrit quelque part). On est prévenu : c’est par inadvertance qu’il lui arrive parfois d’écrire « une très jolie chose qui ne [lui] ressemble pas du tout : Le ciel se chagrine, les nuages sont au bord des larmes ! ». Et d’ajouter : « C’est beau comme du Rollinat, du Desbordes-Valmore, du Vielé-Griffin, du Laurent-Taillade, mais ce n’est pas “con” comme du L’Anselme ! ». Un regret ? (Poésie/première n° 41, juin 2008)

 

 

 

LA CHALEUR MAMMIFERE de Patricia Laranco - D’Ici et D’Ailleurs éd. 6 €

Cette mince plaquette rassemble une dizaines de poèmes, plutôt longs, qui s’étalent ou se rétractent sur la page pour signifier la difficulté de vivre dans un univers inquiétant, oblique, qui ne laisse appréhender qu’une réalité ambiguë, vouée à la solitude des âmes, repliée sur ses apparences “ féroces ” ou “ cauteleuses ”. Quel sens accorder à une érotisation du monde dont l’auteur[e] constate les effets : soleil “ langue de feu tombant/directement du ciel nu/ surprise qui vient pénétrer/mon être évidé par le froid ”, feuillages “ soudain en alerte, haut dressés,/ hérissés voudraient bien éperonner la lune/dont le ventre glissant dans le ciel dilué/est par trop roux, trop circulaire et trop tentant ” ? Patricia Laranco semble inéluctablement vouée aux lieux de transit, aux attentes insomniaques sous “ l’aile immense ” de la nuit et à l’intuition exaltante d’un dieu dont les desseins sont insondables. (Poésie/première n° 37. juin 2007)

 

 

 

AUBIAT de Michel-François Lavaur. Edition bilingue : occitan-français. Cahiers de poésie verte.

Aubiat, c’est aussi un village aux confins du Limousin et du Périgord, dans un pays de châtaignes et de combes noires. Les braises de l’occitan s’y consument sous la cendre des souvenirs. Michel-François Lavaur nous y invite à écouter des paroles devenues étrangères, langue des troubadours qu’il accompagne, en lignes parallèles, pour les gens aux accents pointus qui demandent le privilège d’être de ses amis, de pénétrer avec lui dans ce « jardin de simples » où les journées se font et se défont au chant du coq, où « tout un passé d’enfant au retour de l’école, te taillade le cœur... ».

Un pays de nostalgie donc où passent des ombres chères aux regards droits, où se souvenir est tâche douloureuse quand passé lointain et passé récent se rejoignent pour noircir les pierres et meurtrir les corps : « Fils, mon fils, s’ils veulent te faire la peau militaire, garde-toi d’oublier le dix juin à Oradour ».

Un beau recueil et un bel hommage à une petite patrie aujourd’hui « sans école, boutique ni fabrique » et le cœur se serre à la pensée que nul ne pourra répondre à la question du poète : « Ce pays perdu, au fond de moi dissimulé, qui nous l’a mis en terre ? »  (Poésie/première n°34, mars 2006)

 

 

LE LAVAURATOIRE MFL 54-04 de Michel-François LAVAUR Traces édition.

Avec ce Lavauratoire, Michel François LAVAUR, instituteur (directeur d’école pour finir) adepte de Freinet, maître en art postal (lui, il dit facteur), peintre (Beaux-Arts de Bordeaux) et poète, artisan éditeur, et j’en passe, nous invite à suivre ses traces à travers un foisonnement de textes, les siens et ceux des auteurs qui l’ont accompagné dans son itinéraire, textes imprimés ou reproduits en fac-similé, et plusieurs dizaines de photos, de des-sins, rassemblés sur le schéma des « Oreillettes » du regretté Chinonis pour illustrer et faire revivre un demi siècle voué à la poésie.

Donc il se raconte, MFL – car c’est la règle du genre – évoque sa famille, son territoire, ses amis et bien sûr son œuvre à com-mencer par sa revue Traces1 qui s’honore d’avoir publié Jean Bouhier, Louis Guillaume, Louis Emié, Angèle Vannier, Luc Béri-mont, Guillevic... pour ne citer que quelques-uns de ceux qui nous ont quittés, et le dernier d’entre eux – c’était hier, nous te saluons, poète et citoyen ! – Jean Rousselot.

Se prêter à un tel exercice ne va pas sans s’exposer à quelque soupçon de narcissisme. MFL le sait comme je sais qu’il en conçoit une certaine gêne. Il a tort. Qu’il songe plutôt au plaisir de ceux, si nombreux, qu’il a associés à sa belle aventure et qui se retrouveront dans ces pages, comme à la chance de ses nouveaux lecteurs qui, dans cette profusion dont il est aujourd’hui le centre, vont pouvoir éprouver les “ondes fraternelles” de cinquante ans de ferveur au service des poètes et de la poésie.  (Poésie/première n°30, nov. 2005)

 

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1 MFL fonde la revue Traces en 1954.

 

 

 

Enseignement de l'aube de Daniel LEDUC, préface de Jean Rousselot. Dessins originaux de R. V. Miloux. Editinter,éd

Il convient toujours d’interroger les commencements. Ils portent en germe un itinéraire et une fin. Ils sont donc riches d’enseignement.

Avec Daniel Leduc, on comprend que l’univers obéit à un ordre binaire et qu’il tire sa prodigieuse vitalité de la réduction des contraires. En d’autres termes, la nature ne présente jamais un de ses éléments sans son double opposé : nuit et lumière, silence et cri, mémoire et oubli, homme et femme...

Cette dichotomie n’est pas seulement dans les choses. Elle est dans le langage qui a pour dessein de les désigner. Le poète le sait si bien qu’il note tout naturellement, par exemple, que « Dans son foyer dansaient les pensées de ses ombres, / chaloupait l’ombre de ses pensées » et qu’il multiplie les expressions paradoxales du type « opaque lucidité », « fragile solidité », « mémoire de l’oubli », « cri du silence »..., vérités premières que le poète exprime dans des séquences magistrales par lesquelles il suffit au lecteur de se laisser porter : « Le matin parle encore des empreintes du soir »...

A travers ce cheminement des contraires, le poète nous convainc que tout devient possible quand s’allument les premières lueurs de l’aube. On voit alors monter des « îles », des « archipels de mots », à moins que le jour ne se lève sur un quotidien qui hésite entre la sérénité et le désespoir. L’étrange passe la frontière. S’anime un peuple de questions (Celle-ci par exemple : « Pourquoi me suis-je écarté des heures / suspendues / à la trop haute branche ? »).

Car tout est signe -« Un oiseau / pond le jour / dans mon oreille » - et dans les replis mouvants de l’aube s’inscrit le message du poète qui incite à renoncer aux chemins (re)battus (« suivre les pas qui ne suivent pas »), à retrouver en nous l’enfant (« savoir qu’un enfant pleure en nous / alors que l’âge creuse »), à s’abandonner et se perdre pour se retrouver, soi-même et cet Autre qui n’est peut-être que « rosée qui s’évapore / dans le petit matin ».

Avec cet Enseignement de l’aube, Daniel Leduc nous offre un très beau recueil. A lire absolument.  (Les Saisons du Poème n°27/28, décembre 1997)

 

 

LE PAIN DE MA LAMPE Suzanne Le Magnen, préface de Jean Joubert Editions du Soleil natal

Suzanne Le Magnen est un vrai poète et, comme tous les vrais poètes, jamais tout à fait sortie de l’enfance. Ce recueil est le reflet d’un itinéraire dont les poèmes rassemblés – certains anciens, d’autres récents, nous dit son excellent préfacier – sont autant de cailloux blancs semés pour se retrouver (“J’écris… / pour faire le jour en moi”). Cela ne va pas sans lucidité, et Suzanne Le Magnen se regarde grandir avec étonnement : “quelle est la femme qui écrit / quelle est cette autre qui regarde / tomber les graines de ma lampe” ? Mais c’est toujours Alice qu’elle retrouve dans le miroir avec les objets et les personnages de sa “soute à merveilles”, et l’amour même est encore une façon de prolonger les rêves, de rester dans l’univers des contes de fée (le prince charmant ?) : “Je fais escale dans tes yeux” dit Suzanne dont un poème entier – Ce matin-là – fonctionne sur le mode symptomatique du conditionnel cher aux enfants : “Nous dormirions côte à côte …”.

Hélas, il ne suffit pas de rêver sa vie pour la réussir (“Le songe saigne sur les murs” observe notre poète -“quel écueil avons-nous heurté ?” se demande-t-il), de laisser sa porte ouverte pour éviter la solitude. Les contes nous en préviennent qui sont aussi cruels que la vie. Au bout de la route enchantée, il y a le mal de vivre et, peut-être même, la tentation du “suicide délectable !”.

Quel baume passer sur les blessures ?

Il reste les “mots au cœur noueux ” dont Suzanne Le Magnen fait un usage talentueux et sensible.

Allez “picorer dans [ses] mains / le cœur émietté de [sa] lampe.

(Poésie/première n°31, mars 2005)

 

 

 

 

Il doit y avoir un chemin suivi de Pour un bonheur en Ré et de Sous l'olivier la demeure de Maurice LESTIEUX « Jalons », Les Presses littéraires.

Avec le premier et le plus important de ces trois recueils notamment, Maurice Lestieux semble poser pour principe – et on ne peut que lui donner raison – que le poème doit être court, ici sept vers très exactement, de l’ampleur de décasyllabes qui ne se soucieraient pas de la rime et annoncés par un titre le plus souvent réduit à un seul mot.

Pourquoi insister sur cette belle simplicité ?

Parce qu’en retour, le lecteur est saisi par la force de ces paroles de poète qui va à l’essentiel et par lesquelles il part à la découverte d’un chemin pour l’amitié et pour l’espérance. Car il convient d’interroger le monde, de le nommer, de s’insinuer dans ses silences, sachant que, si tout est signes, tout est leçon, « L’once de vérité réside  en nous ».

Un très beau livre.  (Les Saisons du Poème n°27/28, décembre 1997)

 

 

 

Le poète c’est vous de Maurice Lestieux Editions Gerbert

Qui est le poète ? C’est vous, répond l’auteur au lecteur en le regardant dans les yeux. Ruse paradoxale pour amadouer, circonvenir cet éventuel chaland ? Vieille ruse alors, tant les poètes, au moins depuis le romantisme, se sont ingéniés à le convaincre de cette évidence. Hugo, préface des Contemplations : « Ah ! insensé, qui crois que je ne suis pas toi ! » ; Baudelaire, Les Fleurs du mal : « Hypocrite lecteur, – mon semblable, – mon frère ! » ; et il faudrait encore citer Rimbaud, Eluard etc. auxquels Maurice Lestieux ajoute quelques autres dont Adonis déclarant dans un entretien : « En chaque être humain réside un poète et c’est bien à nous de l’aider à découvrir ce poète qu’il porte en lui’ ».

Maurice Lestieux va au-delà de cette maïeutique. Certes, au poète il accorde qu’il lui revient d’installer une machinerie qui ouvre les horizons, fait s’échapper les rêves ou met à nu les échardes de l’âme, mais il pense que la lecture du poème est, dans le meilleur des cas, une véritable création où s’écoute le « chant du monde » et où s’affirme une liberté – celle du lecteur qui s’approprie l’œuvre – dont la richesse enlumine celui qui a pris l’initiative de la partition. « Eveilleur de dons / souffle sur l’or de nos braises / le vent du poème. » sachant que c’est au lecteur qu’il appartiendra de choisir « le sens au contour du cadran... ». (Poésie/première n°35, juillet 2006)

 

Recherche sur un fil de la connivence de Alain LEVERRIER éditions En Forêt / Verlag Im Wald

Pour Alain Leverrier, le bonheur est fait de connivence, autant dire d’instants fugitifs, de clins d’oeil dont l’éclair est à saisir au vol.

C’est un exercice acrobatique qui ne va pas sans risque pour les autres - le vie est une “Traversée à gué / sur des têtes” -, mais où la complicité, miraculeusement obtenue, peut avoir la belle simplicité d’un jeu de mots : “Elle m’a dit : “ Tu es doux ! J’ai répondu : ... de la Mayenne.” / On a ri” ; d’un jeu de gestes : “Par temps clair / quand je me glisse / dans ton sexe / je me vois / dans tes yeux.”             Et si vous n’oubliez pas la complicité des choses - les flocons “s’en vont obliquement / comme à regret / tirés par quelque pressante / et fondante / obligation” -, vous comprendrez qu’il y ait des jours où l’on n’a “plus envie de mourir” !

Mais on n’épuise pas en quelques lignes la richesse du beau recueil bilingue d’Alain Leverrier (Version allemande de Rüdiger Fischer, qui est également l’éditeur de l’ouvrage). (Les Saisons du Poème n°22, septembre 1996 )

 

 

 

 

ÊTRE AU MONDE Béatrice Libert. Clepsydre, éditions de La Différence.

La naissance, c’est une aube nouvelle avec sa promesse d’innocence retrouvée et l’espoir que Nous serons, dans l’obscurité, la menace ou la folie, des semeurs de matins…” ; c’est, posé “contre la nuit” et “la mort arrogante”, un poème qui s’aventure et dont le poète suit l’éclosion en s’interrogeant sur sa nature et sa destination. Une parole qui surgit du silence et donne vie à l’instant. Là, et là seulement, se prend vraiment “le pouls du passé” avec ses peurs enfantines et son cortège de cicatrices.

La poésie de Béatrice Libert emprunte à la prose mélodieuse et au vers ample et bien rythmé comme au poème court au tranchant de silex. La nature y est un réservoir d’images souvent fort belles et un miroir – “Je contemple dit l’arbre / et je deviens regard” – qui lui renvoie son lyrisme et sa sensualité : elle est poète de la soif et de la faim et elle s’inscrit dans le triangle clos du “Je, tu, nous” sans craindre l’ostentation de l’amour maternel – si beau, unique, irremplaçable – en dépit de ce quelque chose d’un peu monstrueux (“Je suis la guerrière de l’amour…”) dont il faut bien se défendre : “Depuis que tu tiens debout, tu ne tiens plus en place ! / – Je veux voir le monde, songes-tu”.

Tout poète vit sous le coup d’une sombre menace : “Ah ! Jeter ses craintes au feu / et danser sur les braises... Béatrice Libert n’échappe pas à cette fatalité qui la fait avancer en aveugle dans la nuit. Sa force est de toujours se retrouver – “Mes pas me portent vers moi-même” – parce que “Le fil qui [la] relie au réel / est d’une soie infaillible”.

Rien de surprenant donc si, de toutes les citations dont Béatrice Libert aime à accompagner ses textes, il en est une, ultime balise à la fin de ce beau recueil, qui me semble essentielle pour définir les racines profondes de sa poésie : “C’est la vie intérieure, sa force, sa joie, qui détermine la forme en art.” (Mondrian). (Poésie/première n°31, février 2005)

 

 

PASSAGE ET PERMANENCE de Béatrice LIBERT, quatre linogravures d’Annie Gaukema - Editions Tétras Lyre 15 euros

Action ! Et trente fois le clap inscrit sur son ardoise l’enseigne d’une séquence que commande sèchement la forme nominale d’un verbe : aimer... écrire... se souvenir... ou simplement zoomer. Les modalités sont de la responsabilité de l’auteur[e] : “ J’apprends par cœur le verbe aimer... -  Ne pas inventer ! Entendre battre et trembler les vies possibles...”. Béatrice Libert assume ce beau programme avec brio à travers des proses légères, originales, où l’énigme du poème porte les échos du quotidien.

Ces proses – légèrement prose [s] a précisé l’auteur[e] – sont suivies de trente poèmes ou plutôt de trente portraits de femmes parfois simplement esquissés, mais avec toujours l’empreinte d’un regard incisif et tendre. Béatrice Libert est pour toutes ces femmes rencontrées la main talentueuse de celle qui “ trace des mots /sans ombre qui tiennent /par la racine de l’angoisse ”. (Poésie/première n° 42, oct. 2008)

 

 

 

Les mots donnent sur le jour (Arthur Praillet/ Annie Gaukema) - Le Bestiaire en folie (Béatrice Libert - Xavier Laroche) Couleur Livres éditions 9€.

Les Editions Couleur Livres (4, rue Lebeau 6000 Charleroi) et leur Directrice de Collection, Béatrice Libert, inaugurent une collection nouvelle, intitulée "Carré d'as", avec deux albums de format carré où les poèmes, joliment associés aux images, sont prolongés par un carnet d'activités conçu pour susciter le désir d'écrire et de créer chez le jeune lecteur auquel ces ouvrages sont principalement destinés. Le premier, Les mots donnent sur le jour, porte les signatures d'Arthur Praillet pour les textes et d'Annie Gaukema pour les images. Le poème s'inscrit sur la page avec la légèreté de l'eau vive et la profondeur d'un coeur qui bat tandis que le dessin se fait compagnon des rêveries à la pointe du pinceau. Le second a pour titre Le bestiaire en folie. Il est signé Béatrice Libert pour les poèmes et Xavier Laroche pour les illustrations complices. Dans cette fabuleuse ménagerie, les animaux conjuguent humour et poésie : "J'alouette / Tu corneilles / Elle pigeonne..." On y rencontre aussi bien "L'abeille / dyslexique" que "Le ver poétique". Ils sont, à travers mille échos, autant d'occasions de vérifier que les mots sont bien la matière première du poème, sa source inépuisable. (Poésie/première n° 52, mars 2012)

 

 

 

Jean Joubert parcours poétique essai de Béatrice Libert, L’Arbre à parole éditeur

Il s’agit d’une seconde édition revue et augmentée. Ce livre polyphonique – la parole est donnée au poète et à différents intervenants, lycéens ou professeurs – s’adresse en priorité aux enseignants qui y trouveront la matière d’une riche et utile réflexion pédagogique. Riche, car cet essai multiplie les approches du fait poétique à travers l’œuvre exemplaire de Jean Joubert ; utile, car les pistes proposées et expérimentées par Béatrice Libert aideront les professeurs à organiser, à l’abri des critiques rebattues – ils en font, paraît-il, toujours trop ou pas assez –, la rencontre de leurs élèves avec la meilleure poésie contemporaine. Il propose une excellente introduction à la lecture d’un écrivain notoire – il se veut avant tout poète, mais on se souviendra que son roman, L’homme de sable (Grasset), a obtenu le prix Renaudot en 1975 – qui confie son goût pour la poésie concrète et narrative des anglo-saxons – témoigne en faveur d’une poésie qui “ ne s’enlise pas dans l’abstraction, la sécheresse conceptuelle ou les jargons impénétrables ” et offre à ses lecteurs le bien précieux “ d’un réel approfondi, sublimé, transcendé où tendent à s’effacer les contradictions et le désordre apparent du monde ”.

(On ne manquera pas de compléter la lecture de cet essai par l’article qu’Emmanuel Hiriart a consacré à “ Une approche de Jean Joubert ” dans le n° 23 de Poésie/première et celui de JPG, “ Jean Joubert ou Les deux versants du poète ”, dans le n° 29/30 de la revue Le Jardin d’Essai).  (Poésie/première n° 36 oct. 2006)

 

 

PAROLES DU SOIR de Béatrice Libert. Encres d’Anne Slacik Collection Brèche Alain-Lucien Benoit.

Faire parler la bouche d’ombre au constat de l’absence est vraie entreprise de poète. Ici, l’écriture enferme le passé, l’image du vivant, dans une « chambre noire » qu’elle tente « vainement d’éclairer ». On entend le verdict : « Nous mourons tous défenestrés », et nous suivons cette « chute sans fin ... dans les bras du silence ». Les mots de Béatrice Libert allongent sur le papier les traces ombreuses et sensibles d’un adieu. (Poésie/première n° 43, février 2009)

 

 

 

L’instant oblique de Béatrice LIBERT Editions L’Oreille du Loup 10 euros.

S’interroger sur l’écriture, la trace que le mot laisse dans une vie, c’est pour Béatrice Libert comme pour tout poète chercher à savoir ce que devient l’enfant qui la hante « depuis la première aube ». Elle se voit parcourir tous les âges du poème : le temps des fables et celui des sortilèges jusqu’à l’instant oblique où, renonçant à conjurer les interdits, à recoudre les blessures, elle consent à s’abandonner sans masque et sans bâillon à la vérité unique du poème. Et en effet, le voici tout brûlant qui fait le constat cruel de ce qui n’est plus ou simplement de ce qui manque, et on lui sait gré, au bout du compte (du conte ?), d’être la meilleure façon de s’accaparer le monde : « Tu marches / et c’est le pays traversé qui /met des ailes à ton identité ». Il dit qu’on est ce qu’on devient. Il faut marcher (à chacun sa transhumance). Tant pis si la mort « fleurit » sur le chemin. Béatrice Libert nous en avertit  : « A la fin du poème / c’est comme si je mourais / un papillon sur l’épaule ».(Poésie/première n° 45, oct. 2009)

 

 

Passage du laitier, évocations poétiques de Béatrice LIBERT Les éditions de l'Orme.

Cette évocation concerne plus spécialement un quartier dont on nous dit qu'il s'agit d'un "village dans la ville, niché sur les hauteurs arborées de Liège". Nous suivons volontiers le guide dont la rêverie poétique passe de rue en rue, soucieuse de recueillir quelques échos anciens, quelques fantômes de parfums, un instant de s'abriter à la fraîcheur sacrée de quelques vieilles pierres, d'écouter "les voix de ceux qui ont pris le maquis du Silence". Accompagnant sa flânerie, on s'attarde avec elle dans le parc dédié aux enfants et aux amoureux, où "les cerisiers japonais dansent en fleurs tout autour de l'étang" avant de descendre vers tel quartier plus tout à fait urbain dont les rues ont des noms de fleurs et d'oiseaux. Ici, "les saisons mangent dans notre main" et les pas du poète résonnent sur  des dalles froides portant "silence de laine" dans lequel l'auteur se "taille un manteau / Pour traverser l'hiver."  (Poésie/première n° 51 novembre 2011)

 

Saison des extravagances, poèmes de Béatrice Libert dessins de Willy Welter éditions Gros Textes 8€

Ce recueil, délicatement illustré par l'artiste plasticien Willy Welter, offre un bouquet d'images et de sensations simples et vraies qui enchanteront tous les lecteurs, pas seulement les plus jeunes auxquels il semble s'adresser en priorité. Il est invitation à s'approprier les mots du quotidien pour en faire, au-delà de la rêverie, au-delà du plaisir que procure rythmes et sonorités, incitation à s'emparer de la plume ou du pinceau. C'est dans la perspective de cette (re)création, que Béatrice Libert parle ici la langue des bois (elle sait que "Le livre... Abrite aussi les arbres / Où ils sont nés / Et les mille feuilles / et les mille oiseaux...."), celle des jardins, et conjugue fleurs, fruits, "refrains vagabonds" à toutes les personnes ("Je campanule  Tu pervenches..." ). Une réussite à tout point de vue. (Poésie/première n° 51 novembre 2011)  

 

 

AU PAYS DE JEAN JOUBERT  de Béatrice LIBERT,  Editions Couleur livres (Belgique) 14€

Cet ouvrage, le troisième de la collection « L’horizon délivré » que Béatrice Libert poète, romancière et professeur de Français, dirige aux éditions Couleur livres, est un instrument pédagogique destiné en priorité aux élèves de collège, en France comme en Belgique.

Certes, il reviendra aux professeurs de choisir parmi les matériaux proposés ce qui est particulièrement adapté au niveau de leurs classes. Mais l’ambition affirmée est toujours de soutenir la démarche des élèves pour entrer dans l’univers romanesque et poétique d’un écrivain de première importance, lauréat de nombreux prix dont le Renaudot en 1975 pour L’homme de sable.

L’auteur a choisi d’orienter leur parcours à partir d’un roman autobiographique, Les sabots rouges, et de trois récits publiés par L’Ecole des Loisirs et donc plus spécialement destinés à la jeunesse : A la recherche du rat trompette, La jeune femme à la rose, Le pays hors du monde. Ils se frotteront ainsi aux sources d’une inspiration, pourront utilement s’exercer à dégager des thèmes et des structures avant d’aborder la totalité de l’œuvre et notamment sa riche dimension poétique bien présente à travers les nombreux poèmes ici rassemblés dans de petites anthologies accompagnant chacune des quatre grandes sections de l’ouvrage.

On notera enfin que le mérite de cette stratégie didactique est de placer les élèves dans une démarche d’ouverture qui sait les sortir des perspectives strictement littéraires et qui les invite à rencontrer d’autres poètes contemporains dont les thèmes font écho à ceux de Jean Joubert ou bien qui les prolongent. (Poésie/première n°54 novembre 2012)

 

 

Béatrice LIBERT, Sonate en majeur, roman éditions Le bruit des autres 15€

Il n’y a pas de vie sans conflit, sans histoire. Le temps d’un été à Cabourg, celle de Marc, le narrateur, est bouleversée par une passion sensuelle, musicale et  assez inattendue chez cet adepte du bonheur tranquille, pour une pianiste virtuose rencontrée dans un train et dont il devient aussitôt le « secrétaire très particulier ». Un temps seulement, car très vite Marianne, la pianiste en question, met un terme à cette passion fulgurante. L’impresario de l’artiste, son ancien amant, est l’instrument de cette rupture. Qui s’étonnera que ce rival puisse porter un prénom de prince russe et de personnage d’Opéra ? On verra en lui l’incarnation de la Musique qui se refuse à tout partage et exige tous les sacrifices, même celui de renoncer à un amour bien partagé. Le roman, à l’écriture très soignée, un peu intemporel aussi, s’achève sur une lettre de Marianne qui confirme sans ambiguïté ce que le titre suggérait au lecteur avec son « là » majeur : « L’existence m’a mise en demeure de choisir ou l’amour ou la musique. Et j’ai choisi l’amour de la musique ». On lira avec beaucoup d’intérêt ce court récit qui ajoute une dimension romanesque à l’œuvre poétique déjà si importante de Béatrice Libert. (Poésie sur Seine n° 81/82)

 

 

Charentes... j'écris ton nom, anthologie d'Andrée MARIK, préface de Claude Roy - Le Croît éditeur

Andrée Marik, qui chante si bien la Charente, la "douce", la "cajoleuse", la "rivière aux longs cheveux défaits", était tout indiquée pour établir cette anthologie de poèmes et de textes poétiques inspirés par ce pays des Charentes où elle est née.

Une centaine de textes se trouvent ainsi rassemblés autour de quelques thèmes essentiels : l'eau, la mer, les îles ... et le cognac "Fait avec des rayons de l'aube distillés" (François-Marc Marchadier). S'y illustrent des poètes de tous les temps, connus ou méconnus, de Ronsard qui s'emploie à séduire Hélène la "revêche" avec quelques deux cents sonnets, à Pierre Boujut et ses poètes de la Tour de Feu, vous savez bien, Boujut, l'anarchiste, l'optimiste, l'humoriste qui, rappelle Robert Sabatier, sur lui-même écrivit : "Pierre Boujut croit au pouvoir magique et salvateur de la poésie, mais il n'en bénéficie pas personnellement".

Vous y rencontrerez encore, Marguerite d'Angoulême, soeur de François 1er, dont on ne sait qui elle préféra de Dieu ou de son illustre frère, Agrippa d'Aubigné qui nous rappelle "les saccagements / Escarmouches, combats, meurtres, embrazements..." des Guerres de Religion, Fromentin, Vigny, et même Paul Déroulède qui a laissé ici son clairon pour une petite flûte, un ancien président de la République natif de Jarnac, et Paul Fort, Desnos, Claude Roy déjà nommé, Jacques Réda, Jacques Simonomis, Jean-François Roger, et beaucoup d'autres que vous découvrirez vous- mêmes.  (Les Saisons du Poème n°23/24, décembre 1996)

 

 

 

LE TEMPS ET L’ESPACE, poèmes  suivi de Les néandertaliens, étude de José MILLAS-MARTIN, préface de Philippe Biget Illustration de Danilo Romero - Edition “ Le Sémaphore ”

José Millas-Martin, peut-être le savez-vous, n’a pas cessé de voyager à travers l’espace et les mots – exode du Nord au Sud avec bombardiers d’accompagnement - épopée au quotidien - tour du cosmos en quatre-vingts “balais ” - depuis le temps où le hasard et la nécessité l’ont fait naître (en 1921) quelque part en Argentine. Il a gardé de ces origines lointaines (dans tous les sens du terme) l’écorce d’un conquistador à rebours qui, désormais, regarde par-dessus son épaule en cherchant à “ s’apercevoir ” tout en demeurant le poète dont la respiration syncopée nous est familière et l’enfant qui a appris l’alternance des jours heureux et malheureux au même guichet n° 5 de chez “ Ma tante ”.

Si vous ne me croyez pas, ouvrez le dernier recueil de J M-M. et dites-moi qui est ce voyageur haletant, arrêté “ Face à la gare ”, dans un décor obligé, avec ce petit hôtel et la ville autour. Ainsi, vous vérifierez que cet homme “devenu spectateur” est toujours un amoureux des mots, des femmes, de l’humour – autre forme de “l’éternité qui ricane doucement” – et qu’il a de la tendresse autant que de la curiosité pour cette énigme singulière qui intéresse, je le cite encore, “l’autre partie du singe qui se croit un homme”. (Poésie/première n° 25, mars 2003)

 

 

DE FOND EN COMBLE Poèmes et textes de José MILLAS-MARTIN Le Sémaphore éditeur.

A quatre-vingts balais, on a fait ses preuves. On est comme la tomate de Marmande dont les connaisseurs savent qu’elle est « grosse à chair juteuse » et pas avare en rendement. Voilà qui ne se discute pas. On connaît tout des gens et de leur façon de vivre. Le bon, le moins bon, l’horrible (Ah, la délation ! La lettre anonyme !). Combien de fois a-t-on monté la rue de Ménilmontant, utilisé la plume Sergent-major ? On a vu le béton recouvrir partout l’argile verte de Paris et, quand on est dans la salle du haut au François Coppée pour le Mercredi du Poète, on sait que Les Enfants malades sont à deux pas et on se souvient de la pèlerine bleue de l’infirmière. Souvenir aussi, le style syncopé de celui à qui l’air manque, la marque d’un poète qui, depuis toujours, croque le quotidien dont il s’attache à restituer les aspects dérisoires ou émouvants. Un poète qui parle des amis partis ailleurs ou nulle part – les Toulouse, les Follain, les Guillevic, auxquels il rend hommage – et qui achève son recueil par une réflexion sur la langue de la poésie et son déchiffrage par des lecteurs problématiques. Autant que son humour, je retiendrai sa tendresse pour les petites gens, ces « Hommes de rien/ Femmes de peine » qui nous ont précédés dans la « traversée des réalités éphémères » qu’on appelle la vie. (Poésie/première n°34, mars 2006)

 

 

Avis de passage de José MILLAS-MARTIN.  Avant-Lire de Gérard Cléry. Illustration de Danilo Romero. Editions La Bruyère 12€

Il y a plus de quatre-vingts ans, José Millas-Martin a quitté les plaines de la pampa pour celles de la Beauce et les falaises en béton alvéolées du grand Paris. Ça ne nous rajeunit pas ! Par cet « Avis de passage » accroché à la boîte aux lettres des poètes, ses frères, il invite à gérer notre « clepsydre personnelle » en vieux sage ou en vieux con, – c'est-à-dire sans perdre de vue la seconde date importante de notre itinéraire programmé, celle qui nous projettera tout droit dans l’oublieuse postérité. José Millas-Martin nous le dit : il est dur d’accepter la mise en bière quand on préfère le cidre :

 

Ô    poètes

Quand vous serez bien vieux

Près d’une chandelle électrique

Vous comprendrez

Ce que ce vieux con

Que je suis devenu

A voulu écrire

 

Il y a heureusement un bon remède aux intempéries du temps qui passe : la poésie. A condition toutefois d’en respecter le mode d’emploi : « Un poème n’est pas un produit comme les autres. Il vous concerne personnellement. Le Poème est un produit actif... Il ne s’agit pas pour vous de lire beaucoup de poèmes il s’agit pour vous de lire les poèmes dont vous avez besoin ». Le lecteur judicieux s’intéressera avec profit à la pharmacopée de José Millas-Martin. (Poésie/première n° 45, oct. 2009)  

 

 

A mots rompus de José MILLAS-MARTIN, anthologie. Préface de Philippe Biget,. Editions Fondencre 15€

     José Millas-Martin est le seul authentique gaucho de la poésie française puisque, venu de sa pampa natale (il est né en 1921 en Argentine), pendant plus d'un demi-siècle il aura investi de ses séquences d'images juxtaposées, de ses notations méticuleuses et vraies qui tiennent l'émotion à distance, les prairies aux herbes folles et les rues cahotantes de la poésie hexagonale.

     C'est cet itinéraire que les éditions Fondencre ont aujourd'hui l'excellente idée de nous inviter à parcourir à travers une anthologie soigneusement établie (136 pages grand format) qui va du premier recueil de 1961 (Recto verso) jusqu'aux inédits de l'année 2010. Le choix est éclairant.

     Même s'il a bien conscience que "le poème n'est pas un produit comme les autres", José Millas-Martin se soucie peu d'écrire "jolie poésie". Lui, ce qui l'intéresse, c'est de restituer, à travers le halètement de locomotive de son écriture syncopée, les rythmes variés de l'existence. Il y réussit pleinement en donnant à voir un kaléidoscope de "salauds" et de "gens de rien", une collection d'anonymes qui souffrent en faisant l'histoire avec leur peau et avec leur sueur, un bric-à-brac d'objets et d'apparences, de faits divers aussi. Bref tout ce qui compose une vie réelle, pas une vie rêvée, et dont il ne resterait rien sans ces drôles d'individus qui se disent poètes.

      Il y a de la dérision et beaucoup de tendresse dans cette poésie qui se donne des allures de procès verbaux et qui ne craint pas de montrer son cul à la postérité. (Traversées, Belgique  printemps 2011).

 

 

 

CAPONE, une histoire de brigands, roman historique d'André Mathieu L’Harmattan

 « Alphonse lavait les verres avec précision et minutie... » Cet homme que l’auteur nous montre au premier chapitre, en train de faire la plonge dans un restaurant italien de New York, cet homme au physique anodin, « plutôt fort et enveloppé...la nuque courte et le cheveu brun » avec, cependant cette cicatrice inquiétante sur sa joue gauche (d’où Scarface = Le Balafré), c’est Al Capone. Il est sur le point de partir pour Chicago où il deviendra en peu de temps « l’empereur de la pègre ». Tous les moyens seront bons pour y arriver. C’est cette ascension « jalonnée de cadavres », ponctuée par le froid massacre de la Saint-Valentin (février 1929), qu’André Mathieu a choisi de faire revivre ici, dans ce roman vrai où la reconstitution vivante, efficace, s’appuie sur une documentation sans défaut. Cent cinquante pages jusqu’à la chute – quelque peu dérisoire – d’un assassin patenté condamné pour... fraude fiscale. On est en 1931. Libéré en 1939 pour bonne conduite, Capone va jouir d’une retraite luxueuse et paisible à Miami Beach où l’auteur nous dit (on est alors en 1947) qu’il meurt d’une congestion cérébrale, « muni des sacrements de l’Eglise catholique, apostolique et romaine, comme le véritable croyant qu’il avait toujours été ». L’humour, on l’aura compris, participe à la réussite de cet excellent petit livre.  (Poésie/première n° 40, mars 2008)

 

 

 

La dernière pluie de Pierre MAUBE prix de l'éditions Poésie sur Seine

Réduire le monde à l’univers des mots, avec eux vivre par procuration, se contenter de la « mélodie de l’inutile », telles sont les tentations fortes du poète qui constate que l’espace mange le temps, que, dans le décor muet du monde, les jours passent comme un écroulement de dominos.

Or, il ne s’agit pas seulement de vivre. Il conviendrait aussi, surtout, d’être heureux. Quelle issue ? L’amour s’offre, et voilà que s’organise la solitude à deux, ce que l’auteur appelle « notre indifférence à tout ce qui n’est pas nous ». L’aube prend alors une couleur nouvelle. Ensemble, Elle et Lui, vont vivre les « harmonies » et les « douceurs » du monde...

Mais déjà il pleut sur ce bonheur : « Je ne sais plus si je t’aimais.../ Je ne sais plus que ton absence ». Le voilà rejeté vers « l’immensité froide de l’univers des autres », vers l’oubli.

Car « les souvenirs se plient comme des parapluies. (Les Saisons du Poème n°25, mars 1997)

 

 

Dans l'insomnie de la mémoire de Bernard Mazo. Editions Voix d'Encre 19€

 Le dernier recueil de Bernard Mazo, qu'accompagnent de belle façon les sombres lavis de Hamid Tibouchi, s'ouvre sur un constat : "Qui écrit / m'écrit". Mieux qu'une posture de lecteur, on y verra, par effet singulier de miroir, le manifeste d'une poésie qui, en dépit de ses ambiguïtés foncières, de sa parole hésitante ou paradoxale, se veut avant tout le vecteur d'une communication privilégiée. Le poète justifie cette vocation, même si le poème se complaît au silence, se tient au plus près du mutisme, et cela même quand il retient sa respiration pour atteindre les profondeurs. C'est qu'il est à la fois, nous dit le poète, "la distance infinie qui nous sépare de la parole" et le témoignage douloureux de l'impossibilité de se tenir "loin très loin / de la vie meurtrière", l'impossibilité d'échapper à la "mortelle convoitise" d'une mort si bien programmée que "Toute écriture / retourne / un jour / au silence".

Qu'ils s'étalent sur la page ou qu'ils y inscrivent un profil émacié, les poèmes de Bernard Mazo disent avec sobriété et talent une solitude, un désespoir qui s'accroche au "versant le plus obscur" des choses, et cette voix blessée est également là pour proclamer que "la seule cicatrice / qui vaille / c'est la poésie qui l'inscrit". (Poésie/première n° 52 mars 2012)

 

 

 

 

Une virgule dans un sac de pierres, poèmes de Aurélie-Ondine Menninger avec des encres de l'auteure. Editinter 14€.

     Quel est cet autre qu'on interroge, auquel on dit "tu" ? Un double de soi-même qui connaît la vie : "tu sais bien comment c'est ...". Un double insaisissable, rêvé, qui peut hanter plus qu'une solitude, une vacuité douloureuse qui appellerait irrésistiblement le sommeil s'il n'était l'exécuteur des basses oeuvres du temps. Qui est là, entre rêve et réalité, mémoire et oubli, eau et ciel ? se demande alors cette ondine qui danse sur le lac aussi bien qu'il lui arrive de nager dans sa tristesse, une ondine qu'enveloppent les embruns de pluies et de pleurs et qu'accompagne jusqu'au bout du recueil la fluidité singulière des encres. Oui, un double qui pourrait être quelque chose qui n'a pas de nom et dont la présence est insidieuse ("ça Existe // c'est dedans") ou encore un personnage de fiction (comment ne pas penser à l'Ondine de Giraudoux ?), et sortir d'un livre sans avoir à traîner ce poids de vie qui interdit l'envol, mouille les yeux du reflet inévitable des blessures, ouvre la tentation des abîmes, raconte – en attendant – la mort des autres : "ma main vivante sur la pierre / en attendant". Mais un double qui renaît dans le regard de l'autre pour s'accorder avec un monde qui s'éveille et se reconstruit dans la caresse d'une étreinte.

     Voici un premier recueil dont les "les doigts bleus de l'eau" devraient pouvoir prolonger les promesses. (Poésie/première n° 51 novembre 2011)  

 

 

Aurélie-Ondine MENNINGER, Lettres à Bleue Editinter 8€

     Aurélie-Ondine Menninger s'inscrit à nouveau comme poète de la duplicité (cf. Son précédent recueil, Une virgule dans un sac de pierres.). Cette fois, le poème se fait lettre, une façon d'affirmer sa volonté de communiquer et de vaincre la solitude quand "l'encre crée son chemin dans la neige de la feuille". Il importe peu que le destinataire soit un être dépourvu de chair. Ce double fantasmé est une présence aux multiples visages ("Toi, Bleue, tu étais l'eau des feuilles, la foudre, la chose qui tombe, le monde en train de se relever, la danse de tout ça..."). II est la "part triste" du poète, une "âme hypothétique" mais également bien réelle parce qu'habitée par tous les souvenirs partagés, "vivante" et mystérieuse comme un air de vieux tango, la fuite des jours et la folie du monde. Suffira-t-il que l'amour s'invite pour que Bleue prenne les reflets nostalgiques d'une enfance qu'on a du mal à quitter ? On verra que pour le poète, l'écriture peut être un singulier et douloureux vertige. (Poésie/première n° 56, juin 2013)

 

 

 

Dans la peau du monde d'Armand MONJO éditions Rougerie.

Le monde n’est pas une illusion. Il est « Visible. / Exubérant. / Donné ». Un monde dur, menaçant et beau comme une chair offerte, désirable (Déjà « Voir, rien que voir » !). Un monde à posséder, mais d’abord à conquérir.

Ainsi nous parcourons un univers de sensations que l’œil, la main et le corps tout entier appréhendent et que le génie du poète nous traduit en mots ajustés au millimètre ou en images somptueuses. Avec lui je sens « le craquement mouillé / de l’oignon sous la dent, / la langue sucrée des tomates ». Si j’approche les lèvres de la coupe, c’est pour « tâter le vin d’une langue de chat / et bavarder à petits baisers avec lui ». Le « radar de mes narines » me livre toutes les odeurs. J’éprouve la solidité obstinée du rocher et la courbe sensuelle du fleuve...

Le poète est un mage - je veux dire un voyant : il s’emploie donc à restituer les pures sensations, le « paysage d’idéogrammes », les « calligraphies » que lui renvoie l’écran du monde et, si possible, à déchiffrer cette abondance de messages.

Car « la vie est là, / la vie déborde » comme un fleuve. A commencer par le fleuve de sang qui coule depuis les origines du monde. De ce monde que l’homme révèle à lui-même pour le meilleur (« Avant l’homme l’arbre ne savait pas / qu’une carène de bateau / qu’une poutre habitait son torse... ») et qu’il risque de détruire avec lui, pour le pire.

Est-il tellement difficile de vivre en homme ? « Ni brebis ni loup » ?

Aimer. Ecrire. Vouloir que l’éternité soit ce qui ne suffit pas à épuiser le désir de vivre. Telle est la réponse d’Armand Monjo dans ce très beau livre dont le lecteur sortira ému, changé. Les (Saisons du Poème n°27/28, décembre 1997)

 

 

 

Martine MORILLON-CARREAU, Poésie l’éclair d’éternité Sac à mots éditions15€

Quel chemin suivre, à travers les images juxtaposées, pour arriver jusqu’au poème ? Il ne suffit pas d’écouter les « eaux bavardes des fontaines », d’accrocher le regard à la lumière volage, de laisser les mots se bousculer en rythmant les vibrations du temps, d’obéir à «leurs chatoiements / d’arc-en-ciel ». Il ne suffit pas de traquer le silence jusqu’au vide où une éternité s’inscrit, un vide dont le poète donne une représentation sensible à travers l’éclatement du poème sur la page. Martine Morillon-Carreau sait parfaitement cela et, au plus loin de ses souvenirs, là où l’enfance resurgit avec ses odeurs de craie, d’encre et de « préaux hurleurs », il lui revient que le monde ne cesse de se déchirer affreusement, d’allumer des incendies, de programmer des massacres. Martine Morillon-Carreau est un poète à l’écoute des mots, mais qui a aussi choisi d’entendre le « hurlement sans fin de l’Histoire », d’en recueillir l’écho, et d’en faire jaillir « l’éclair scandaleux / du poème ». (Poésie sur Seine n° 81/82, mars 2013)

 

 

 

Esopiennes (fables en prose)  de Roland NADAUS La Bartavelle Editions.

Traditionnellement, le poème en prose entretient avec l’apologue d’excellents rapports. Il se présente alors sous la forme d’un récit singulier et nécessairement court, en quelque sorte une extension de l’aphorisme ou du proverbe.

L’auteur nous prévient que la référence à Esope et à La Fontaine - ses illustres devanciers - ne doit pas nous en imposer : le bonheur des mots l’emporte sur le sacre des idées, le plaisir du récit sur toute prétention morale ou politique.

C’est entendu. D’ailleurs, n’est-ce pas que  « la poâsie n’a pas de sens » ? Quelle signification pourrait donc avoir le spectacle d’un illusionniste qui, malgré un savoir-faire exceptionnel, doit finalement se tirer une balle dans la tête pour enfin sortir de sa torpeur un public blasé ? Et celui d’un orateur politique dont le slogan, jusque-là inédit, émerveille par sa franchise inhabituelle : « Je n’ai rien à dire / Venez m’entendre » ? Un dernier exemple : Ne faudrait-il pas que la Mort fasse grève pour qu’on puisse enfin croire à la vie éternelle ?

On ne m’empêchera pas de déclarer ici que ces poèmes en prose de brillante facture sont une dénonciation des horreurs et des hypocrisies du monde, une belle leçon de rire et d’indignation. Des fables, quoi ! (Les Saisons du Poème n°25, mars 1997)

 

 

 

 

Derrière le miroir de Brigitte NEULAS Les Cahiers de l'Arme de l'Ecriture, dessin de Mokthar Mouaket

« Il venait d’avoir seize ans... ». Il s’appelait Alain.

Que se cache-t-il derrière les yeux noisette d’un adolescent, quel lourd secret qu’on ne saurait confier à ses proches, à sa propre mère ?

Rien ne justifiait que, pour lui, la vie fût un mauvais rêve et pourtant, pour lui, il ne faisait jamais beau, la neige ou le sable étaient sans attrait : l’adolescent restait planté dans sa mélancolie comme un parasol sur la plage où il s’ennuyait.

Malgré tout notre amour, comme il est difficile de vous comprendre, adolescents qui un jour choisissez de partir !

« Voilà le miroir cassé / où mon visage pleure / dans les débris... ». pour cette pietà, la vie de son enfant n’est plus qu’un trait mince entre deux dates. Il ne lui reste plus que la révolte ou la prière et le chant douloureux du poème.

On voudrait que ce livre émouvant apporte quelque apaisement à son auteur. (Les Saisons du Poème n°27/28, décembre 1997)

 

 

 

LA POÉSIE FRANÇAISE CONTEMPORAINE anthologie de Jean ORIZET Le Cherche Midi éditeur

C’est entendu : il n’est de bonne anthologie que personnelle, car il revient à chacun de décider pour lui-même de ce qui l’aide à vivre (cf. P. Eluard). Poèmes et chansons. Bernard Mazo (Aujour-d’hui poème, mars 2004) n’a pas tort non plus d’y voir trop souvent affleurer l’esprit d’exclusive quand il ne s’agit pas, tout bonnement, de la mise en forme d’une poésie officielle.

C’est entendu. Mais quels que soient les reproches qu’on peut leur adresser, les anthologies sont toujours des terrains d’aven-ture, l’occasion donnée – la chance ! – d’une rencontre qui modi-fiera notre vie. Guillevic en témoigne dans Vivre en poésie : “Une lecture... a été déterminante pour moi, comme pour beaucoup d’autres de mon âge : c’est la lecture de l’Anthologie de la nouvelle poésie, un gros livre rouge paru chez Kra... Je décou-vrais, en effet, une nouvelle poésie et surtout le vers libre...“( Entretien de Guillevic avec Lucie Albertini-Guillevic et Alain Vir-condelet).

Pour ceux de ma génération (15 ans au début des années cin-quante), c’est dans le Panorama critique de Georges-Emmanuel Clancier, De Rimbaud au Surréalisme, et le Panorama critique des nouveaux poètes français de Jean Rousselot qu’ils ont découvert et appris à apprécier cette poésie moderne qui n’apparaissait guère dans les programmes de lycée. J’en profite pour exprimer, à tous deux, ma reconnaissance.

L’anthologie que Jean Orizet vient de publier aura, à coup sûr, cet effet bénéfique parce qu’elle est largement éclectique et qu’au-delà du coup de chapeau donné aux aînés “considérables”, elle rassemble des poètes moins connus et ceux, nés après 1950, qui font partie de la garde montante de la poésie contemporaine, le printemps des poètes en quelque sorte, avec en ouverture – Jean Orizet en a décidé ainsi – la voix singulière de Jean-Pierre Siméon : “...mais hausse tes larmes / elles sont la sève des souvenirs / et renoue avec la course de L’enfant...”.  (Poésie/première n° 30, nov. 2004)

 

 

 

Le réel, j’imagine Poésie, environs. Michel Passelergue. - L’Harmattan

Les textes ici rassemblés dans des versions revisitées ont d’abord été publiés en revue et notamment à Phréatique à laquelle l’auteur a colla-boré pendant vingt ans. Ils ont une vocation commune : interroger la création poétique à travers les poètes contemporains, demander ce que devient le réel confronté à l’imaginaire, appréhender dans le poème les jeux du hasard et de la nécessité ou, si on préfère, ce que le poète fait de sa lucidité. Tentative ambitieuse, peut-être impossible, à laquelle Michel Passelergue se prête avec une rare élégance et en témoignant d’une remarquable culture poétique.

Au bout du compte un essai passionnant et, une fois de plus, cette évidence que, parmi tant d’objets placés devant nos yeux, en voilà un appelé « poème » dont l’existence nous importe au plus haut point, mais dont il nous sera sans doute toujours problématique de dire pourquoi il est là, à quoi il sert vraiment et, même, de quel bois il nous chauffe.  (Traversées n° 41, hiver 2005/2006)  

 

 

 

LA MAISON MORCELÉE de Lydia Padellec. Le bruit des autres, éditions 11€

Les souvenirs sont un kaléidoscope qui se visite comme une maison d'enfance, de la cave à l'envolée du toit. Une maison fragmentée par les trous de la mémoire, mais toujours vivante et toujours habitée par les bonheurs et les peurs d'autrefois, avec ses vestiges fatigués et dérisoires encore fixés aux murs, abandonnés sur les étagères, mal protégés par les planches de la vieille armoire disloquée. Une maison où se rencontrent pour un face à face émouvant la jeune poupée d'autrefois, "habillée de poussières", et la presque vieille fillette d'aujourd'hui dont les proses discrètes et légères, rieuses par instant, toujours talentueuses, disent l'absence, les heures vides qui tissent leur toile, et cet arrachement que constitue pour l'adolescente l'entrée dans le monde brouillé des adultes : "Sur le carrelage de la salle de bains, une goutte de sang. Minuscule coccinelle. Elle a glissé le long de la jambe et ne s'est pas envolée". (Poésie/première n° 50, juillet 2011)

 

LA MÉSANGE SANS TÊTE de Lydia Padellec , éditions Eclats d'encre 12€

Dans son dernier ouvrage, Lydia Padellec propose une suite de quatrains, minces notations où elle se met en scène en évoquant un environnement de sensations fugitives et parfois brouillées, presque imperceptibles : nuages, arbres sous la pluie, le sang qui bat dans l'oreille, la rumeur des vents. Elle choisit l'instant crépusculaire, marche à la rencontre de l'océan, revient vers le jardin d'une enfance toujours habitée d'où le poème prend son envol. Nulle tristesse pourtant me semble-t-il, ou légère, comme en filigrane, mais davantage un constat qui s'émeut quand "l'aiguille du coeur s'affole". Une succession d'images simples et bien venues où présent et passé se répondent et scintillent, par lesquelles le poète enferme dans ses mots la saveur parfumée des jours. (Poésie/première n° 54, novembre 2012)

 

 

Danser avec la sittelle de Jacqueline Persini-Panorias, gravures de Guillaume Landemaine "Ficelle blanche" n° 96  Théâtre  Rougier éditions (30 pages - 7 €)

Puisqu'il s'agit de théâtre, il y faut un décor, ce peut être l'avant-scène, et au moins un accessoire, une bicyclette. En fait, s'agit-il vraiment de théâtre ? Qu'importe puisque rien n'est convenu, et qu' "Il suffit de prendre l'enfant [celui qu'on est resté] par la main / Pour danser avec la sittelle". Reconnaissons-le, la bicyclette y est pour beaucoup, mais d'autres objets participent au spectacle  – siphon,  saxophone etc. – et pas seulement les voyelles et les consonnes requises pour proposer rythme syncopé et mélodieuses allitérations. J'allais oublier : la sittelle est bien là, mais elle n'est pas seule à s'investir dans le projet joliment surréaliste de l'auteur. On y trouve aussi un serpent insidieux, un scorpion compatissant et...  les vignettes fraîches et colorées de Guillaume Lendemaine. (Poésie sur Seine n° 74/75 automne hiver 2010/11)

 

 

TARD JE T'AI RECONNUE  de Jacqueline Persini-Panorias Editions Aspect 16€

Que se cache-t-il derrière la pierre froide d'une tombe qu'on vient de refermer ? Pas seulement la mort dérobée aux regards, la mort "de celle / qui un temps très court / t'a prêté son ventre", mais une saga mystérieuse et cruelle dont l'enfant a nécessairement recueilli les rumeurs et dont l'adulte porte le prégnant héritage. On se souvient du "Familles, je vous hais" de Gide dans les Nourritures Terrestres. En réalité, et Jacqueline Persini-Panorias en témoigne à son tour devant la tombe fraîche de sa mère, c'est d'amour toujours qu'il s'agit. D'un amour paradoxal, conflictuel, tortueux, un amour qui ne s'avoue pas à lui-même ou trop tard, beaucoup trop tard, alors qu'il doit soudain s'habiller du voile noir de l'absence. Aveugles sont les yeux et les mots silencieux quand il s'agit de voir en soi-même et de dire ce qu'on ne sait pas dire. On verra que l'auteur[e] parvient à franchir cette double barrière avec les mots de l'écriture poétique, ici mots haletants ou séquences apaisées d'un recueil âpre et singulier qui ne laissera aucun lecteur indifférent. (Poésie sur Seine n° 77/78 été/automne 2011)  

 

 

 

Jacqueline PERSINI-PANORIAS Ce moineau impudique Editions de l'Atlantique 15€

Les poèmes de cet excellent recueil, qui se décline en deux parties dont les titres renvoient à Boris Vian et à JD Salinger, sont imprimés en italique comme pour revendiquer une féminité qui se raconte et se reconstruit. "Où est-il ?" est la question posée d'entrée, et les blessures de l'absence font circuler dans ses vers un vent de "douleur / qu'aucun mot ne défait", mais dont on mesurera l'intensité à la violence du vocabulaire (notamment l'image récurrente des "mains sans doigts"). Cette écriture penchée vers l'avenir veut se refuser à la nostalgie, en extirper les sortilèges. Le vent peut désormais attiser le feu du désir, occuper tout l'espace des songes, être "Cet oiseau impudique / [qui] Chahute l'horizon / De nos paroles".  (Poésie sur Seine n° 81/82, mars 2013)

 

 

 

FRAGILE HORIZON Œuvres poétiques 1995-2001 de Ludmilla Podkosova, préface de Marcel Migozzi. Editinter édition.

L’écriture est-il un état second de la douleur au point de la rendre « insupportable ». L’auteur le dit. Mais quoi, que sait-on de sa souffrance et de celle du monde tant qu’elles n’ont pas été dûment signifiées par des mots ? On peut regarder par-dessus son épaule, s’accrocher aux lumineux prestiges d’un autrefois – hier encore ! – d’avant l’exil, on ne peut faire que le présent ne s’insinue. La banlieue. Le métier. La maladie. L’absence. Les recueils ici rassemblés en constituent une sorte de chronique où vers et proses alternent savamment à la recherche d’une liberté – celle de l’âme, celle du corps – qui prend les accents sauvages du quotidien. On y apprend combien la vie est un conte cruel « empli d’images féroces, arrogantes et hargneuses » où le désir lui-même a ses pesanteurs : « Un peu de salive / Sur le corps des mots. ». L’autre y est cependant la figure romanesque d’un bonheur possible, même si on le voit s’échapper dans le silence ou la mort (ne pas donner signe de vie), même si, au plus près, on le voit gisant dans le sommeil et toujours silencieux. Au bout du compte Ludmilla Podkosova est une solitude qui use d’une « parole voyageuse » pour revivre son passé ou tendre son regard vers une lumière lointaine, un fragile horizon, « le nom bleu d’un imaginable ». L’écriture est sa rédemption.  (Poésie sur Seine n°56, avril 2006)

 

 

La pluie de Marrakech de Ludmilla Podkosova – Illustration de Linda Moufadil Editions Encres Vives .

Pourquoi les choses sont-elles ce qu’elles sont ? Il n’y a pas d’explication au fait qu’il pleut sur Marrakech et que s’inscrit au creux de la page blanche le souvenir douloureux d’un amour ancien, le filigrane d’un passé qui s’interroge. Il pleut aux portes du désert et on entend une « voix perdue » qui dit le doute et l’absence cruelle. La poésie de Ludmilla, sobre et méticuleuse, s’écoule goutte à goutte, résonne sur les dalles de la ville rose et, dans une attente d’un lyrisme retenu, épanouit ses « paroles mouillées ». (Poésie sur Seine n° 63, déc. 2003)

 

 

Légendes pour un pas, Poèmes & dessins de Ludmilla Podkosova et Linda Moufadil éditions Marsam 

Cet itinéraire marocain est aussi l’histoire d’une princesse. L’amour y étend son aile caressante entre paysages mystérieux et légendes allusives comme les encres inspirées de l’artiste-peintre. La langue des poètes, celle qui fait patte de velours ou bien qui roule dans la gorge comme torrent caillouteux, laisse la trace des corps dans le sable, donne au vent couleur d’éternité. Le malheur existe-t-il sous le soleil ? Il est à portée d’autoroute, partout où s’éprouve l’absence d’eau pour guérir le désert. Il faut chercher son chemin parmi les étoiles. Ce bel album nous y invite. (Poésie sur Seine n°64, printemps 2008)

 

 

 

 

MATIÈRE DE NUIT suivi de Éloge de l’éphémère, poèmes de Lionel Ray – Grand format Gallimard.

  Ah j’ai toujours aimé ce théâtre/ en nous même obscur et vide et profond/ Envahi de brumes et de regards...” convient d’emblée le poète. Et en effet, la nuit est un thème récurrent dans l’œuvre de Lionel Ray. Sur les praticables de ses poèmes, nous l’avons souvent rencontré réglant les éclairages de son “théâtre intérieur”, et nombreuses sont les pages d‘ombre qui s’inscrivent au fronton de ce théâtre-là.

Cette fois, la nuit – matière première du recueil auquel elle impose son titre – dicte son crépuscule, plante des marguerites noires dans l’étrange machinerie des émotions et des pensées, s’étend partout jusqu’à envelopper le poète d’une seconde peau sous laquelle il se débat, poème après poème : “couloir obscur”, “maison éteinte”, “averse d’ombre”, “vitres noires”, sont les éléments d’un décor ou s’organise la “grammaire du temps”, où s’entend ”l’horlogerie du monde”, où soudain émerge “le souffle imprévisible” du poème. Depuis cette “imprenable jeunesse”, l’avenir est un écran noir qu’on creuse et qu’on interroge à la recherche d’une identité improbable ou fragile. Quel est donc ce double qui te regarde dans les yeux éteints du miroir ?

Mais il y a aussi le “côté pur de l’ombre“. La nuit a ses éblouissements. Elle est le lieu où le poète se fuit et surtout se retrouve. Elle est cette “Rose noire rose heureuse” qui a nom Shumona, une douce ”lampe brune” qui éclaire comme une aube qui reconstruit. Il y a dans l’encre noire du poème cette alchimie “qui transforme le mal de vivre en intensité désirable”.

Non, on n’en aura jamais fini avec le prétendu bric-à-brac du romantisme : “Il fallait encore, grisé de cendres, / S’enfouir dans l’hivernale/ Nuit, ramasser des ombres à pleines  brassées,/Interroger la mort qui est une idée pâle...?” Que reste-t-il au poète ? “...la perspective somptueuse / De regarder enfin au-dedans de Rien”. On n’en finira jamais avec le lyrisme – naturellement contenu, maîtrisé – parce que, sur le théâtre de l’existence, nul ne peut s’inviter en se privant de la conscience nostalgique ou douloureuse de ce qui fut : “Plumiers préaux grammaires compas” - jardin d’enfance avec grille, petit mur, ses roses et ses framboisiers – années heureuses et “Dans la nuit hérissée d’épi-nes. Ces clous rouillés/Qui nous traversent les mains et les yeux !” Parce qu’il ne saurait être question pour le poète de s’interdire le partage que les mots autorisent “en dépit des méprises et des incertitudes”, de lui refuser d’aller au devant de l’émotion du lecteur en exerçant son “métier d’oiseau ”qui est de “construire” et de “chanter”.

 De ce métier, Lionel Ray joue à la perfection, que le poème s’étale sur la page avec ses emboîtements par lesquels se prolonge l’écho des mots, qu’il évacue leur ombre portée en se trouant de blancs, ou qu’il s’amenuise à n’être plus que le filet du sablier où le poète laisse couler le fulgurant mica de ses syllabes de sable1. (Poésie/première n°31, mars 2005)

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1– La collection Poésie/Gallimard vient de rassembler en un volume (octobre 2004), accompagné d’une préface éclairante d’Olivier Barbarant et d’une importante note bio-bibliographique, les deux recueils de Lionel Ray, Comme un château défait (1993), prix Goncourt de poésie 1995, et Syllabes de sable (1996).

 

LE PROCÈS DE LA VIEILLE DAME, Éloge de la poésie de Lionel Ray éditions de la Différence

Ni procès ni éloge véritables. Pas davantage une simple galerie de portraits. Certes, au gré des circonstances qui les ont vues naître et en fonction des orientations choisies, les études ici rassemblées proposent les profils d’une vingtaine de poètes, de Louise Labé à Hélène Dorion, auxquels Lionel Ray applique la pertinence de ses analyses. Cela pouvait amplement suffire à l’intérêt du recueil. Si cet intérêt va bien au-delà, c’est qu’au fil des pages on se trouve confronté à la réflexion d’un poète pour lequel ce qui demeure aujourd’hui du pouvoir poétique d’un texte ne va pas de soi. Dans un temps où chaque poète invente son propre parcours et donc sa différence, la poésie est à la recherche perpétuelle de son identité. Sera-t-elle célébration, comme chez Hélène Dorion : « Emerveillée, je regarde / par la serrure du monde... » ? Refus, comme chez Jude Stéfan qui lui répond à sa façon : « J’ai écrit pour violer l’informe des cieux et des saisons... pour répondre à l’abus de ma naissance, pour dire non, non et non... ». Concision et fulgurance, comme chez René Char où le lecteur, selon l’excellente formule de Lionel Ray, se trouve « dans l’attente d’un sens qui se dérobe » ? Va-t-elle se réfugier dans le silence des marges ? Rendre au poème l’énigme singulière de l’évidence ? Se centrer sur le langage ? Censurer les sentiments ? Lionel Ray apporte ses réponses. Au lecteur de se forger les siennes.  (Poésie/première n°41, juin 2008) 

 

 

 

Territoire de la sensation d' Alain ROGER, prix de l’Edition de la Compagnie des Ecrivains méditerranéens. Souffles Editions, 1999.

La page blanche et la toile de lin posent le même problème esthétique : avec quoi remplir cet espace vertigineux qui excite mon envie ? Avec ce que je sais ? Avec ce que je suis ? Ou bien encore avec un peu de ces “feuillages jaunissants sur les gazons épars” dont la réalité s’impose à moi aujourd’hui exactement comme, en son temps, elle s’imposait au poète des Méditations (j’allais dire au peintre !)

C’est que s’il est simple de dire que la marquise a de beaux yeux ou de dessiner une pomme, autre chose est d’écrire un poème, de peindre un tableau qui ne soient pas du déjà dit ou du déjà fait ! Alain Roger, le peintre, le sait et il l’affirme avec les mots flamboyants de sa poésie, lui qui, de toute façon, n’est pas homme des demi-teintes, car il aime les terres chaudes : l’Afrique de Palabre (La Bartavelle, Editeur), la Grèce de Sous vive escorte des lézards (Poésie Amitié Provence) et cette fois une Arcadie idéale, lieu symbolique d’un bonheur à conquérir et peut-être d’une innocence à retrouver : “Peindre / c’est recouvrir l’encombrant héritage des images / noyer les rejetons du déjà vu”.

Mais que devient le tableau dans cette perspective ? Il n’est plus une copie de la réalité, ni même un projet (“Que dessine Braque ? Ses desseins” écrivait F. Ponge joliment). Alors quoi ?

Le Territoire de la sensation, répond Alain Roger en citant la Woman dite Sag Harbor de willem de Kooning, dont il fait surgir de façon saisissante le “grand corps debout pétri pétrifié de glaise garance et de lymphe glaireuse aux couleurs purpurines”. La référence est claire : de même que le poème est la demeure du poète (cf. René Guy Cadou), la toile est celle du peintre : il y loge “[sa] chair en taches et [sa] lymphe en coulures”, loin de la tyrannie de l’œil qui voudrait encore imposer sa leçon. L’artiste peint selon sa nature, avec tout son corps, “comme on défriche ou comme on dessouche” et le motif, quand il apparaît – figure ou abstraction – n’est pas une origine, mais un aboutissement. De cette épreuve physique, de cette gestuelle, de cette confrontation avec la  toile où les possibles se superposent, naît le tableau, “une arcade qui n’est qu’à moi” dit le poète, un monde vrai et donc ambigu. Le lieu d’un hasard et d’une liberté.

Et, pour le peintre-poète, l’occasion de nous offrir ce recueil accompli par lequel il nous entraîne dans une aventure où sont également concernées la peinture et la poésie. (Poésie sur Seine n° 32, mars 2000)

 

 

 

A DÉGAGER VOIE DOUZE d’Alain Roger – En couverture : Villeneuve, dessin de l’auteur. Editinter/policier 

Alain Roger, qui enseigne désormais les Arts plastiques en région parisienne, revient à la littérature, non pas avec un recueil de poèmes, tels ceux dont il a été rendu compte dans cette revue, mais avec un roman policier.

Est-on pourtant si éloigné de la poésie ?

Ce n’est pas certain, dans la mesure où du cadre, des situations, des personnages, se dégage quelque chose qui lui ressemble beaucoup avec ses ambiguïtés et ses noirceurs. Et puis l’écriture a beau avoir quelque peu changé ses visées, sa qualité demeure, ainsi que le regard singulier du peintre et du poète.

On ne dévoile pas le scénario d’une histoire policière : on dira seulement qu’à partir de la disparition d’un maire, du meurtre d’un bistrotier arabe, de celui d’un retraité que les avions obsèdent d’étrange façon, l’intrigue imaginée par Alain Roger, rigoureuse, implacable, fait efficacement resurgir un passé socialement et humainement lourd dans une ville en état d’érosion – Villeneuve-Saint-Georges – dont la vocation bourgeoise, face à la Seine, a été ruinée par l’industrialisation de l’est parisien et son système de communications (la gare de triage, une nationale à quatre voies, les nuisances insuppor-tables d’Orly). Une ville malade mais attachante, que l’auteur connaît bien et pour laquelle il ne se défend pas d’avoir de la tendresse au point d’en faire le vrai sujet de son roman.

A dégager voie douze  est une réussite

(Poésie sur Seine n° 53 –juin 2005)

 

 

 

RICHARD ROGNET - Elégie pour le temps de vivre. Editions Gallimard 13,90€

Pour Richard Rognet la poésie, loin d’être une « langue morte », est un laboratoire à questions vives qu’il adresse à lui-même et aux autres pour se retrouver et les rejoindre : « les autres en moi rassemblés ». La démarche est nostalgique puisqu'il s’agit d'atteindre ce qui se dérobe sous les strates du passé, de désapprendre ce que l'on est devenu au profit de l'enfant "qui ne dit rien pour ne rien obscurcir ». Elle est douloureuse, car chaque souvenir est une ombre, un visage oublié, un amour englouti, un abandon, un regret. Elle est – et c'est la singularité du poète, sa marque – séquence suspendue au bout des lignes comme s’il fallait à chaque instant sauter le pas pour dire aussi bien « les cris de la terre » que « les rêves inaccomplis ». De ce côté-ci de la mémoire, alors que l’usure du temps se pose sur ses paupières, le poète voit se refermer sur lui le « labyrinthe » d’une « vie embrouillée ». Là pourtant est sa maison où lui-même et ses souvenirs sont locataires, là où « la vie ne / distingue plus ce que tu vois dehors de ce qui / vibre en toi... ». Et tandis que défilent les saisons, sous l’étoffe soyeuse des mots les plus simples, Richard Rognet offre au lecteur conquis la chance inappréciable d'entendre dans ses vers "le chuchotement des ombres invisibles " (Poésie sur Seine n° 79, hiver/printemps 2012)

 

 

 

BRIBES d’Hélène RIOS, poèmes – Poésie sur Seine, Prix de l’édition poétique 2007

Hélène Rios nous offre un long poème douloureux en même temps qu’un témoignage/kaléidoscope aux multiples visages. Il n’est pas sûr que nous sachions bien décrypter un texte de cette nature et les « mille et une douleurs » que ces fragments consignent, télescopent. Mais est-il si important de tout comprendre ? L’univers n’est-il pas, pour chacun de nous, une collection d’énigmes ? Au départ, ici, on pourrait penser que le corps seul est en cause dans son combat incertain contre le temps et la maladie : ses exigences, ses rejets. « Tout se graisse » constate d’entrée l’auteur[e] de ces « bribes ». Mais il s’agit surtout de parler de ce qui souffre en nous d’insaisissable, de révolté, jusqu’au deuil de soi-même, et sous les regards doux ou acérés de ceux, nombreux, parfois difficiles à identifier, qui accompagnent une vie dont les poèmes de ce recueil reconstituent le puzzle.

On se laissera porter par les mots dont l’auteur[e] fait une utilisation magistrale, cris ou mots apaisés, mots apprivoisés encore brûlants. : « ...j’écris, je me relis, je me relie... ». Une écriture au scalpel pour tourner la page, narguer la vie, lui donner un sens, briser les barreaux qu’on porte en soi, pour sentir cogner contre ses os la caresse d’une  seconde naissance.  

(Poésie sur Seine n° 63, décembre 2007)

 

 

CHOSES D’HIER JE VOUS ATTENDS Choix de poèmes (1961-2003) de Jean Rivet, Le Bretteur éditeur.

Des vers libres et plus encore des proses qui n’ont pas l’ambition d’être « poétiques » – Jean Rivet n’est pas un adepte d’une quelconque bimbeloterie et sa lucidité comme sa modestie accompagnent le texte de ses doutes – mais vers ou proses qui sont poèmes en vertu de la simplicité et la sincérité d’un trait où l’émotion se contient et respire. Sans que les horreurs du siècle soient absentes de son œuvre, Jean Rivet se veut d’abord le poète des instants perdus, de ces cailloux blancs qui jamais ne referont surface, de ces petits riens qui tissent la trame de nos existences, des miettes sur la table. Pour lui, la vie est un reflet dans une vitre de la rue, un moment d’intensité que le souvenir s’efforce de retenir avec des mots. La neige sur le marronnier de la place. La rue du Moulin d’Enfer qui plonge vers la Marne. C’est là qu’il se construit, qu’il s’appartient, et son recueil sera l’occasion d’une belle rencontre avec un poète qui tient la chronique de ses obsessions à travers quatre thèmes inépuisables – la vie, l’enfance, l’amour et la mort – qui reviennent comme les saisons.   

(Poésie sur Seine n°55, décembre 2005)  

 

 

 

PROSES, de Jean Rousselot, collection “Fondamente”, éditions Multiples.

Jean Rousselot a raison : la prose, c’est ce qu’il y a de mieux pour “regarder dans [sa] mémoire”, pour ça et pour bien d’autres choses, car elle est fille arrangeante et toujours disponible pour permettre les bonnes questions (celles qui font rire, celles qui font mal), prête à tout dire, “les galoches cloutées, le zeppelin dont l’équipage nous faisait bonjour, les cerises cœur-de-pigeon du grand père, les nèfles toujours en retard, les vérités premières accumulées dans les profondeurs inoubliables du temps”, et à faire remonter du passé, y compris le plus lointain, les lieux, les gens, les choses telles que cette enseigne d’un “café-bistrot, bois et charbon” qui proposait à la clientèle ce gentil rébus : “I – Scie – on Bois du 20 sans 0”.

D’ailleurs, ce n’est pas pour rien que ces proses-là sont dites “biographie éclatée”. Et je vous entends aussitôt vous interroger : Comment ça “éclatées” ? Comme les fusées d’un feu d’artifice ? Justement ! C’est à ça que je pense irrésistiblement tant je suis enchanté, plus encore, ébloui, par la vivacité de la langue, l’intelligence et la saveur du propos, l’humour qui accompagne ces fragments de mémoires réunis dans un étincelant kaléidoscope. Car là est l’essentiel, et non de savoir si nous avons, avec ce dernier ouvrage d’un grand poète, un brillant recueil de “choses vues” entièrement inventées ou bien du vécu brillamment “embaumé” comme dirait Jean Rousselot lui-même qui sait ce que le mot littérature veut dire.

  De toute façon, moi, je crois dur comme fer – le fer qui, à l’occasion  semble manquer à l’analyse sanguine du poète – à cette apparition de la Vierge dont Jean Rousselot rapporte ici les circonstances. A cette occasion, évidemment, on ne peut s’empêcher de penser à Max Jacob, son ami, qui ne fut pas du tout surpris de croiser sur le trottoir à Montmartre, parmi les prostituées, la Vierge en personne qui lui dé-clara gentiment : “Ce que tu es moche, mon pauvre Max ! “, à quoi il comprit que c’était bien Elle et que c’était bien lui. On remarquera d’ailleurs la propension de la Sainte à fréquenter les endroits mal famés puisque l’événement, cette fois, s’est produit au cours d’une rixe opposant dans un bouge infect des voyous de la pire espèce. Cette Vierge-là, nous dit Jean Rousselot (la sienne donc, ne mélangez pas tout !) était d’une taille “à tel point démesurée que sa tête creva le plafond”, et Elle était “nantie d’une poche ventrale de laquelle émergeait l’enfant Jésus”, détails qui ne s’inventent pas et qui em-portent la conviction. Il fallait d’ailleurs ça pour impressionner les voyous en question comme le montre la suite de l’histoire : “Elle n’eut qu’une phrase à dire : « ne comptez ni sur moi, ni sur mon fiston pour prier pour vous, maintenant et à l’heure de votre mort » et ils se ruèrent en dehors en fracassant la devanture”.

  Mais je rassure les sceptiques ou les incroyants : Jean Rousselot ne parle pas seulement de la Vierge Marie. Il parle aussi (je cite en vrac), de l’Atlantide dont il faudra bien finir par “admettre [qu’elle] ne sait toujours pas où se poser sur nos océans”, des merles (“De branches en branches de plus en plus basses, est-ce moi qui sautille ?”), de ce menteur de Marco Polo, de la chienne Daisy qui avait une âme, du “doux dedans des dames” (Ah, j’adore !), de son ami Marembert, “surréaliste de la seconde vague”, du désespoir, de la varappe, de Dino Buzzati et du dôme de Milan, de la mort, et même des habitués des trains de banlieue qui “disent ne rien comprendre à la poésie alors qu’elle parle d’eux dans une langue secrète que le meilleur d’eux-mêmes entend parfaitement…”.

  Alors, faudra-t-il, lecteurs, vous prendre par la main ?

 (Poésie sur Seine n°45, juin 2003)

 

 

L’Histoire pérégrine de Paul-Bernard Sabourin Librairie Galerie Racine

Il n’est pas fréquent de rencontrer un recueil où le poème se propose une méditation “ pérégrine ” sur l’Histoire ancienne ou récente. Est-ce bien là sa vocation ? Paul-Bernard Sabourin – pétri de culture classique – tente en tout cas cette gageure en partant du triste tableau d’un monde noir, seulement heureux dans la transgression, et où triomphe un individualisme forcené. Dans un tel cadre, le poète, debout devant “ la terreur du miroir fracassé ”, devient le seul recours. Une question cependant le taraude : savoir “ ce qu’avec ton frère tu partages de barbarie ”. (Poésie/première n° 42 oct. 2008)

 

 

Le Rondeau de la vie de Paul-Bernard Sabourin éditions librairie-Galerie Racine 18 euros.

Ronde ou comptine, le poème s'inscrit dans un rituel de l'existence où le poète s'emploie à maîtriser le temps au gré de ses méandres  paresseux et de ses brusques accélérations. Il s'agit toujours d' "illustrer des miettes de mémoire", d'osciller entre contemplation et épopée, de voir le monde à l'imparfait à travers le prisme de l'Histoire ou celui des mythes fondateurs. S'engluer dans la culture ! La vraie vie est étrangère au monde des adultes. Elle est un leurre dont ils prévoient pourtant qu'il sera douloureux de s'arracher. Paul-Bernard Sabourin le sait, il le dit, lui qui aime à cultiver, loin de la solitude et du silence l'art roboratif d'être grand-père: "Haut les mains, peau de lapin, la maîtresse en maillot de bain".  (Poésie/première n°46, mars 2010)  

 

 

NOHAD SALAMEH D’autres annonciations, poèmes 1980-2012, Le Castor Astral 202 pages 15€

Voici une anthologie qui rassemble trente années de poésie – de chasse aux mots dit Nohad Salameh – à travers un choix où l’auteur se définit à juste titre « comme poète de l’exil » et où « émergent en sourdine l’élégie des épreuves et la quête d’identité ». Une dizaine de recueils sont concernés, tous offrant à parcourir au lecteur un territoire d’images belles et mystérieuses, comme écrites « à la craie sorcière de l’aube » et où se lisent « les plaintes de l’énigme ». Egalement « un territoire de brûlure » traversé par une guerre civile de quinze ans  – on n’oubliera pas que Nohad Salameh est fille du Levant –  qui met « une botte sur le cœur », un espace arrosé par une pluie de « suie et de sang » et qu’il faut fuir en s’exposant à être ensuite cette « Revenante » avec ce « goût déchiré de l’enfance » que l’exil met sur les lèvres.

Nohad Salameh, lucide voyageuse, sait qu’à chaque porte qu’il faut franchir attendent les orages, la mort peut-être, ou une lumière d’allégresse qui s’entrevoit dans l’embrasure et qu’il faut savoir saisir dans l’instant. Ainsi est-elle la femme « de partout et de nulle part », toujours à la rencontre des autres et de soi-même, celle-là même qu’elle fait danser « à l’intérieur du poème » en dépit des épreuves, des morts programmées et, trop souvent, de « l’indifférence des hommes ».

Car Nohad ne peut éviter que la mort s’invite dans ses vers, qu’on y rencontre quelque prince « vêtu de bétadine et de sérum ». Définitivement elle sait qu’il ne suffit pas de « parler la langue du mirage » pour empêcher qu’ici et là, partout hélas ! « un fusil bleu au fond de chaque prunelle vise au cœur l’avenir »  (Poésie/première n°54, novembre 2012)

 

 

Un mulet aux sabots de cuir de Jeanine Salesse - Tarabuste éditeur.

Ce recueil est une épopée du “ bonheur souffrant ” et pourtant nul héroïsme revendiqué, hormis celui de la fatigue : “ Après le pont de bois/comme un clou    le refuge/calé/par tous les pas/recueille le dernier de chacun/ébloui de fatigue ”. Jeanine Salesse est ce “ mulet au sabot de cuir/ ahanant dans les montées ” et le poète évoque joliment les “ abois silencieux des jointures ” : la dérision est là par contraste au paysage grandiose mais également, le sentiment vivifiant, poétique, d’être “ sur la photo ”. Epopée oui, dont le héros est un sac chargé jusqu’à la gueule – elle se définit comme “ un corps / chevauché par un sac ” – qui fait à la randonneuse ce dos de tortue qui lui mange les épaules. Mais si le sac est lourd, c’est qu’il pèse autant que les pensées : “ Dans le même barda /l’ordinaire des soucis   les amours/croix blanches en déroute/et la barre dans les reins ”. Que va chercher le poète sur ces hauteurs ? Solitude ? Discrète complicité (“ Nos deux sacs s’appuient/l’un contre l’autre ”) ? Ce que Jeanine Salesse appelle joliment sa “ cagneuse liberté ” ? Tout simplement peut-être l’occasion rêvée de mesurer le temps au métronome de ses pas et d’éprouver la plénitude et le poids du monde : “ Dans la caillasse nous agrippons le poitrail/solide du monde //Et comme il nous étreint ! ”  ( Poésie/première n°37, mars 2007)

 

 

La rose de carême de Jeanine Salesse. Editions La Part commune 13 €.

Comme le père photographe auquel elle dédie ce recueil, Jeanine Salesse sait saisir, dans l’instant, le spectacle qui s’offre. Poète, elle confie aux mots le soin de dialoguer avec les choses et les êtres, « regard dans le regard ». Simplicité. Complexité. Le paysage devient un tableau animé, avec ses réserves de blanc et ses mots aux couleurs choisies qui se teintent de souvenirs anciens (« inguérissable mémoire »). L’hiver est sa saison. La neige. Le feu. « Le silence, prêt à nous tenir les mains », dit-elle joliment. Le poème ouvre alors ses fenêtres : elle n’oublie pas que « là-bas, des hommes qui se croyaient frères partagent les coups pas le pain ». (Poésie sur Seine n° 67, Hiver 2009)  

 

 

Une petite fille d'Alexandrie de Jeanine SALESSE Tarabuste éditeur  12 euros.

Cette petite fille est née quelque part à Alexandrie vers 200 ans avant notre ère. Telle que nous la découvrons, sous son apparence d'argile cuite, elle présente des restes de polychromie et elle dort, la tête dans ses genoux, sans se soucier des autres Tanagra qui l'accompagnent dans la vitrine, ni de ces visiteurs indiscrets qui l'envisagent. Jeanine Salesse la fait revivre sous nos yeux par touches  précises et délicates. Elle est le rêve du poète et son enfance, ses souvenirs ensoleillés, ses peines endormies. Son enfance et la nôtre aussi, avec son miel et ses épines, "des bruits de bottes/et des chants guerriers". Ici, l'air s'emplit du bourdonnement des abeilles. Le chien court à ses côtés dans le chemin. Voici l'aire où se bat le blé. Là-bas guette sans fin l'Anubis du désert.

"Petite en robe de lin / sous les palmiers/ comment t'appelles-tu ...? La petite fille a tous les visages de l'enfance, on entend son rire au bout de ces poèmes et il y a des tableaux et des photos d'hier et d'aujourd'hui pour multiplier la saisie de son reflet

. On voudra lire ce recueil sensible qui sait lui donner vie. (Poésie/première n°46, mars 2010)  

 

 

Patricio SANCHEZ, Le parapluie rouge, poèmes. Préface de Jean Joubert. Editions Domens 12€

La préface de Jean Joubert nous renseigne ; « Patricio Sanchez est né en 1959 au Chili... Exilé politique à dix-sept ans, sous la sinistre dictature  de Pinochet, il séjourne à Paris, en Espagne aux Etats-Unis. Enfin naturalisé français en 1993, il s’établit avec son épouse et ses trois filles dans un village de la garrigue languedocienne... Il enseigne la littérature hispano-américaine à l’Université de Nîmes... »  

Nul ne contestera que la valise à laquelle il a consacré un poème – dans ce cas précis une valise « en cuir / De Patagonie » contenant, entre autres choses, un parapluie rouge – a largement démontré son aptitude à parcourir avec lui tous les chemins. Cela étant, le parapluie rouge a suffisamment d’extravagance pour donner son titre à tout un recueil, traverser le ciel de Prague d’une envolée soudaine, déployer ses ailes d’étrange papillon dans une rue de Paris, fleurir et se multiplier sur les trottoirs mouillés d’Avignon. A Londres, au même moment, l’exil a une autre saveur : les criminels s’y promènent librement, – Jack l’éventreur ou Pinochet, c’est pareil – sans pour autant altérer le sourire qui s’épanouit sur « le dentier de la reine d’Angleterre..., une merveille de /L’orthodontie ».

Ainsi l’exil se raconte dans les poèmes de Patricio Sanchez, et donc ses révoltes et ses nostalgies. Elles y prennent les couleurs de l’humour et s’inscrivent en images surréalistes que traversent des étoiles « semblables à l’obus qui blessa un jour Apollinaire » avec, parfois, la certitude que l’Enfer commence derrière les vitraux de Notre-Dame.

« Une poésie solide, salubre, couleur de fraternité et de liberté » dit en conclusion l’éclairante préface de Jean Joubert. Nous partageons avec lui le plaisir de découvrir ce souffle jeune venu d’ailleurs. (Poésie/première n° 54, novembre 2012)

 

 

 

VOYAGE A L’ENVERS DES JOURS de Christian Sapin L’idée bleue éditions.

Être là, ensemble, avec le sentiment d’habiter toute la terre : telle est l’image du bonheur. Le poème accueille un paysage, se réfléchit en lui, boit sa lumière, son énergie, et pose sur la page quelque chose « qui vous projette  en avant de vous-même ». Mais chaque mot suscite son silence et l’évidence de quelque chose qui guette et qui ressemble à une fin. Un piège se tend : « J’entre à reculons dans la nuit ». Une imposture est embusquée : telle est l’absurdité du monde.

« Tu m’as conduit jusqu’à ce jour/Où irai-je sans toi ? » se demande douloureusement le poète. Nulle révolte cependant, mais la souffrance crue et la crainte de trahir, de lâcher prise, de se perdre, la tentation de « répondre au silence par le silence ». Comment tenir debout, aborder le vide, avancer dans le noir ? Il y a les enfants, les amis, une voix qui dit « d’être /en dépit de la mort », l’écriture encore, mais retenue, déchirée, et ce « voyage à l’envers des jours » sur les traces d’un bonheur qui vous a lâché la main.

Christian Sapin est un authentique poète. Lisez son livre émouvant, simple et beau : pour tous, une leçon de vie. (Poésie/première n°35, juillet 2006)

 

 

 

 

Jacques Simonomis (1940-2005) de Gilles Simonnet, essai Editions Les Dossiers d’Aquitaine

Le livre d’un ami ? Oui, bien sûr. Mais pas seulement. Cet essai de soixante pages, dont le but proclamé est de démontrer l’Universalité de la poétique d’un singulier calfat de l’amour, de la paix, du verbe et des étoiles, emporte la conviction autant par la pertinence de l’analyse que par l’enthousiasme et l’empathie de l’auteur pour son sujet. Parler de ce qu’on connaît bien, dire les choses telles qu’on les pense, s’engager, proclamer sa vérité, notre poète palindrome, poète et encore critique, conférencier, revuiste (40 numéros du Cri d’Os en 10 ans) aurait aimé ça. Jacques avait la répartie toute prête dans ses papiers : « C’est un chic enterrement / je suis mort comme il faut / j’avais bâti mon échafaud / certains disent il est mort trop tôt / la critique est toujours facile ». C’est pourtant à Gilles Simonnet qu’on laissera le dernier mot puisqu’il a su si bien rassembler dans son essai « tout ce qui fait que l’œuvre de Simonomis est unique, rare, précieuse, hors des sentiers battus, des chapelles, des écoles et des formats à la mode ou des codifications sorties des greniers ». (Poésie/première n° 40, mars 2008).

 

 

 

UN SINGULIER GRAND ORDINAIRE de Jacques SIMONOMIS Editinter.

Il est des critiques assez paresseux pour prétendre que la poésie ne s’explique surtout pas. L’idéal serait de saluer et de se taire. Rien de plus faux ! Les quatre-vingt-quatorze textes que nous offre Jacques Simonomis dans son dernier recueil suffiraient à le démontrer tant ils donnent une envie joyeuse de les commenter.

Une réussite donc !

Et une réussite qui ne relève pas du hasard, mais où tout est judicieusement concerté, à commencer par ce nombre qui refuse d’aller jusqu’à cent, sans doute pour ne pas donner l’impression de se soumettre à la tyrannie des chiffres ronds (cf. La Guerre de Cent ans).

Car pour surprendre et divertir, émouvoir aussi, on comprend parfaitement ici, par la grâce de maître Simonomis, qu’il faut savoir provoquer ce léger trouble de la causalité qui change tout : “J’ai longtemps vécu dans un tiroir. Couché sur un matelas de lettres d’amour....” - “En tant qu’araignée du matin, j’ai beaucoup de chagrin”. Et voici que tel fait divers sordide se transforme en excellente nouvelle (Dimanche après midi, par exemple), tel aveu imprévu (“Mon grand-père était ver de terre de laitue”,) en happy end incroyable (“La guerre est finie”).

Mais il y faut encore quelque chose de plus : un coup de patte de l’auteur – une autre signature en quelque sorte – qui agit comme un révélateur discret en intervenant dans le texte sous forme de notules ou de simples questions. Donnons des exemples : “Bientôt arrive un pendu. Sans cagoule, c’est un suicidé”. - “Ma fille s’appelle Immortelle. Pourvu que ça dure !” - “Mais quand il devint roi, il ne l’épousa pas, hop-là !” ou bien, pour finir : “J’écris cela accroché au cou d’un albatros. Combien de temps pourrons-nous tenir ?”.

Telles sont les observations du critique.

Il reste à chacun d’aller vérifier pour son propre compte comment s’installe dans ces textes une subversion de notre quotidien – un ordinaire bien singulier – au profit d’un surréalisme tranquille et d’un humour irrésistible que n’aurait pas désavoués le meilleur de Max Jacob.

(Poésie sur Seine n° 47, décembre 2003)

 

 

 

CLAUDICATION DU MONDE de Jacques Simonomis Le nouvel Athanor.

  La force de Jacques Simonomis, c’est qu’on ne le fera jamais renoncer à la poésie. A la vraie, celle qui parcourt le monde tel qu’il boite : “Prends la route / Engrosse-la”. Pas une poésie de salon de thé à cinq heures et de petit doigt en l’air, non, une poésie qui “lance [son] poème / dans la poudrière / contre la meute astiquée”, une poésie qui “lance [son] poème sur la nuit des trottoirs / où crèvent les mômes / voleurs  prostitués  tueurs / tués”.

Une parole dans la tempête (L’image lui appartient).

Alors je lui dis : Vas-y mon Jacquou, rentre-leur dans le chou ! Dis-leur qu’on ne peut pas toujours regarder ailleurs, se hâter de zapper. Et tant mieux si ça dérange. Et tant pis si “la bave coule comme à Saint-Pierre en 1902” ! Est-ce que ça t’empêche de voter écolo pour les yeux verts de celle que tu sais et de chanter des berceuses pleines d’étoiles de mer et d’edelweiss, de te promener dans tes poèmes avec ton brin de muguet à la main ? D’accord, il faut compter avec le syn-dicat des soldats inconnus et la messe en latin. N’empêche, je suis avec toi pour regarder le monde en face et “botter le cul du silence ignare”.

De la poésie olympique. Médaille d’or !  (Poésie sur Seine n°50, septembre 2004)

 

 

 

FORT DE CAFÉ Jacques Simonomis Editinter éditions.

L’Histoire est présente dans ces petites histoires insolites et drôles (une centaine), chacune largement aussi instructives et incroyables que l’autre qui fait la fière avec ses dates plein les poches, ses causes à effets de feu d’artifice et sa grande hache dont Simonomis se sert également, mais avec le brio du poète-bûcheron, pour fendre – pourfendre, si vous préférez – les évidences, les certitudes, les idées reçues, la belle logique de boutiquier et, mine de rien, remettre quelques pendules à l’heure.

Celle que je préfère, c’est celle de la page 8. “Collabo 1431”, elle s’appelle. Allez-y faire votre marché, au mois de mai si possible, vous comprendrez. Moi non plus, je n’aime pas les profiteurs !

Tous les contes sont cruels. On a beau se démener, cultiver les vraies valeurs, épouser la comtesse (à moins que ce soit la marquise), de bénéfice, point. Le cachet de la poste en fait foi. C’est un peu fort de café, mais il y a toujours une balle perdue pour les honnêtes sangliers, les singuliers poètes. (Poésie/première n° 31, mars 2005)

 

 

 

SIMPLES COMME... de Jacques Simonomis Editions Alba

Ce recueil posthume, dédié à Jean Rousselot, est un des meilleurs de Jacques Simonomis tant, en dépit des souffrances d’une maladie omniprésente et aussi à cause d’elle – « Tu peines à monter la rue des martyrs » – le poète se montre fraternel – « ...tous unis / contre la varlope / de la mort qui chante » et reste à l’écoute du monde, de ce monde « claudicant » dont il a toujours dénoncé les injustices et l’absurdité. Il le fait ici à travers de courts poèmes dont le vers s’amenuise pour saisir au plus près le quotidien, pas seulement celui des gens mais aussi celui des animaux, des objets, ceux d’hier et ceux d’aujourd’hui, car le poète exprime l’éternelle tension de l’ancien et du moderne et ne refuse pas tout à fait d’allumer « la télé des souvenirs » même s’il sait que, dès le premier jour, la pente est savonneuse et qu’il n’y a pas de barrage contre le malheur d’être né. Si, quand même : « le grain de folie » de la poésie et « le mot de vie / [qu’est] un prénom de femme ». (Poésie/première n°34, mars 2006)

 

 

 

La Maison du monde, poème de Jacques SIMONOMIS / Claude ANTONINI 15€ (ouvrage à commander Cie d’Ariane 21 rue Defriches 45000 Orléans).

On aimera ce beau recueil où un poème de notre ami trop tôt disparu, Jacques Simonomis, est reproduit en vingt et une langues (classées par ordre alphabétique : allemand, anglais, arabe, arménien, bengali, etc.), une façon de redire sans se lasser qu’

 

Il faut lutter pour la beauté du monde

 

Pour toi   ton voisin   le mien

le sien

pour les enfants qui naîtront demain...

 

[...]

blancs   noirs   jaunes   rouges

dans la maison qui bouge

autour du soleil commun.

 

Vingt et une langues et autant de traducteurs, chaque traduction étant joliment illustrée par Claude Antonini qui est la maîtresse d’œuvre de cet ouvrage à rendre obligatoire dans les écoles, la version française, qui donne le la étant illustrée par Danielle Le Bricquir. (Poésie sur Seine n° 68, printemps 2009)

 

 

Claudication du Monde, Claude ANTONINI chante Jacques SIMONOMIS et ses amis CD de 65' produit par la compagnie d'Ariane à Orléans, 21. rue Desfriches 4500O Orléans 20€ (port compris).

     C'est le dernier message de notre ami Simonomis, un dernier cadeau : soixante-cinq minutes de bonheur enregistré, porté par les mélodies et la voix prenantes de Claude Antonini, par les textes de Jacques, les plus nombreux bien sûr, mais aussi ceux de Gaston Couté, Pierre Mac Orlan, Jean Chatard, Bernard Dimey, Léo Ferré, Oliven Sten, tous engagés, talentueux ô combien! et chargés jusqu'à la gueule de cette poésie qui sait à la fois dénoncer un monde qui cruellement boite et crier l'espoir d'autre chose, l'amour des hommes quand ils ont enfin le courage d'être des hommes. Il faut associer les musiciens à cette réussite : la compositrice Claude Antonini, guitare et voix - Bruno Girard, violon et arrangements - Vincent Viala, piano - Jacques Turpin, bandonéon - Martin Groff qui signe la mélodie qui ouvre l'album, piano et percussions.

     Il faut absolument se procurer et découvrir ce bel album. (Poésie sur Seine n° 79, hiver/printemps 2012)

 

 

 

Assommons les pauvres ! de Shumona SINHA  -  éditions de l'Olivier

 Shumona Sinha, dont on se souvient qu'elle a assuré, en collaboration avec le poète Lionel Ray, la traduction et l'adaptation d'une intéressante anthologie des poètes du Bengale (anthologie publiée aux éditions Le Temps des Cerises en 2007), reprend ici un titre des petits poèmes en prose de Baudelaire. La leçon est claire : "Celui-là seul est l'égal d'un autre, qui le prouve, et celui-là seul est digne de la liberté, qui sait la conquérir". Le consentement fait la victime. La narratrice d'Assommons les pauvres ! inscrit son roman dans cette perspective. En tout cas, elle-même immigrée comme le proclament sa "peau d'argile" et ses compétences linguistiques, elle vient de frapper à la tête avec une bouteille un homme qui l'insultait, précisément un de ces immigrés dont elle avait à traduire les paroles dans un immeuble lointain de la périphérie sordide, là où on reçoit (organisme officiel dont le nom n'apparaît jamais), en longues files d'attente, les demandeurs d'asile. La voici soudain devenue pour les autres, pour l'enquêteur qui cherche à établir les circonstances de l'agression , "une femme en exil, si loin d'elle-même qu'elle ne reconnaît pas les siens". En réalité, on comprend, au terme d'une interrogation douloureuse, qu'au delà d'un geste réflexe d'autodéfense dont elle ne revendique pas la légitimité, la narratrice a fait éclater le miroir qui lui renvoyait sa propre image. Mais une image dégradée, avilie, humiliée, enlisée dans un jeu de rôles, une dramaturgie hypocrite où il est convenu avant tout de taire la réalité de la misère et des intérêts économiques inconciliables au profit d'un monde d'apparences où se répètent à satiété les histoires fabriquées que les demandeurs ont achetées avec le passeport et le trajet. Dans ces conditions, et c'est toute la problématique de ce court roman dont on remarquera l'écriture poétique, que vaut la neutralité supposée de l'interprète – par ailleurs une femme, une intellectuelle, qui a choisi et non pas subi son exil – entre la langue compassée de l'administration et celle des requérants qui "hurlent et pleurent et revendiquent et réclament et finissent par insulter celle qui leur ressemble mais qui les trahit"? (Poésie/première n° 52, mars 2012)

 

 

 

LA MAIN A LA PLUME... Anthologie du surréalisme sous l’Occupation établie par Anne Vernay et Richard Walter. Préface de Gérard Durozoi. Editions Syllepse 350 pages .

La Main à la plume (La MAP) est un groupe de jeunes poètes qui ont choisi de maintenir le surréalisme en zone occupée. L’anthologie – poèmes, nouvelles et textes théoriques – ici présentée est un précieux document qu’éclairent le témoignage de Nadine Lefebure (survivante du groupe, elle avait 20 ans en 1940) et le dossier pertinent établi par Anne Vernay (La MAP et la peinture) et par Richard Walter (La MAP, entre Parti ouvrier internationaliste et Parti communiste français). En plus des textes signés Noël Arnaud, Jean-François Chabrun, Christian Dotremont, Léo Malet, André Stil, etc. on y trouvera un ensemble de notes et de notices qui retracent itinéraire et postérité de ses membres. On retiendra notamment que c’est à La MAP qu’on doit la première publication de la plaquette de Paul Eluard Poésie et Vérité 42 avec son célèbre poème Liberté. Certes, le groupe s’emploie surtout, parfois à travers un langage polémique un peu irritant, à réaffirmer les thèses habituelles du surréalisme : importance de l’image qui doit prendre « une valeur brute, insécable, inexplicable, et devient alors son propre instrument de découverte » (Jean-François Chabrun) ; refus de tout réalisme, méfiance à l’égard de la beauté, de la raison, orientation vers une poésie collective (L’usine à poèmes), Mais on n’oubliera pas qu’engagés parallèlement dans l’action résistante plusieurs de ces jeunes poètes ont été fusillés ou ont disparu en déportation. Un document de première importance. (Poésie sur Seine n° 67, Hiver 2009)

 

 

 

 

Il existe aussi des histoires d’amour de Jean-Claude Tardif, nouvelles Editinter

Huit nouvelles traversées par de remarquables figures de femme et portées par de nombreuses références à l’Italie, huit nouvelles certes, mais aussi et peut-être surtout une écriture de poète pour un hymne à l’amour chanté mezza-voce, l’amour où les corps et les souffles se mélangent, l’amour qu’on fait, l’amour qu’on donne, l’amour contrarié, l’amour finissant, beau et déchirant comme un air de blues et, là-bas, de l’autre côté de l’océan, la voix obsédante de Bessy Smith. Le poète le sait, l’éprouve : il est des lieux doués pour les souvenirs réels ou même inventés (Angelo les collectionne, barbier et unijambiste de père en fils). C’est à ces lieux privilégiés qu’on doit le beau recueil de Jean-Claude Tardif.

(Poésie/première n° 39, novembre 2008)

 

 

 

 

LE CHÂTEAU DE NULLE PART Jacques Taurand, récit L’Harmattan.

Au départ, un récit où la campagne, telle qu’elle était dans les années cinquante, sert de cadre à un jeune citadin pour une éducation pas seulement sentimentale – à l’amitié s’ajoutent la découverte du corps féminin, celle de l’amour, de la mort – mais aussi sociale puisque s’y côtoient le rude langage des gens simples et celui, policé jusqu’à l’arrogance, des classes supé-rieures de la société.

Le grand Meaulnes – il le revendique – guide les pas du narrateur qui se plaît à retrouver avec Le château de nulle part un lieu romanesque par excellence. Seulement ici, ce sont les aléas d’une vie bien réelle qui se jouent des aspirations d’un adolescent romantique quand les masques et les déguisements de la fête ont retrouvé les coffres poussiéreux de la remise.

Le récit alors s’accélère vers une issue tragique qui est la marque d’une fatalité à laquelle le narrateur ne tente jamais d’échapper. Le pourrait-il alors qu’il est requis par ses études, puis, en Algérie, une guerre qui refuse de dire son nom ? Seules, les figures féminines si attachantes de cette histoire, Claudine, « la jeune rousse et ronde serveuse » de l’auberge, et Elisabeth, la châtelaine au charme indéfinissable, la tête « haute sous les boucles claires de ses cheveux », ont, chacune à leur façon, assez de force pour décider de leur destin.

Jacques Taurand met une écriture limpide au service de ce roman à découvrir. (Poésie/première n° 32 juin 2005)

 

 

Le partage inventé, poèmes de Jacques Taurand, huiles et lavis de Jean-Marie Girard – Soleil Natal  (Collection Nouvelle Tour de feu) 

“ De quelle flamme/est ce pinceau/qui embrase une toile ? ” s’interroge le poète. Il a devant les yeux quatre huiles aux couleurs chaudes et fondues qui font surgir le motif sans se soucier du trait et deux lavis mystérieux où un paysage de Loire se recompose dans les reflets de l’eau. Le poète est attentif à ce qu’il a devant les yeux – “ l’aplat paisible d’un bleu ”, “ la ronde des fruits/ dans la coupe du jour ”, et ce qui bouge en lui se traduit sur le papier par la ligne si mélodieuse et si vraie du poème. Ici, “ Gris et noirs/se frôlent/ se cherchent/ à pas de nuages ” ; là, “ Ce n’est qu’une table/son abondance de couleurs/la chaude présence d’une femme/ et l’appétit de vivre ”. Création partagée ! Le peintre et le poète, tous les deux remarquables, mêlent leurs regards pour traduire “ le lent et silencieux/dialogue/ des couleurs ”, la réalité exaltante d’une vie rêvée. (Poésie/première n°36 oct.  2006)

 

 

 

LES ALLÉES DU TEMPS de Jacques Taurand Editions de Saint Mont.

Dans ces allées-là, on marche : où va le chemin, camarade ? Et on se souvient : « blessure ou plaisir ? » Le poète médite et s’interroge, laissant refluer en lui toutes les rumeurs d’un monde malade, chargé de solitude, traversé de terribles massacres. Monde complice cependant où le désir heureux et simple a les « jambes écartées / des berges... la cambrure des ponts », où rues traversées, jardins, fleuves gardent le parfum  nostalgique de l’enfance, où la vie rêvée supplée les carences de la « vie sans fard » : « D’être seul / au plus nu de l’hiver / l’arbre s’invente / une caresse / l’écorce d’une main. ». Jacques Taurand est cet arbre dont « le cœur boite » mais qui maintient, grâce aux vertus d’une authentique poésie, la « blanche tentation de vivre ».  (Poésie /première n° 35)

 

 

 

Une voix plus lointaine de Jacques Taurand préface de Jean Chatard Editions des Silves.

A l’épreuve des jours, le poème rencontre son épure, accroche ses guirlandes aux branches de l’essentiel. Certes, les souvenirs sont là pour dire que « la vie est belle... sur la planète bleue » avec les gens et les lieux qu’on a aimés, les femmes, les amis, les poètes toujours présents, et telle île lointaine « où serpente la paresse des heures / à mi-chemin du vivre et du languir ». Et puis voilà qu’il pleut des cendres, que l’horizon n’est plus qu’ « espace où l’on se noie », que surgit la certitude d’une mort annoncée « sous la parure du printemps » : le temps présente « ses yeux vides », le beau voyage est une image qui se fige. L’espoir survit alors dans la « fraternité de l’épreuve », une invitation à s’appuyer « sur les mots / comme on s’appuie sur l’épaule d’un frère» ; il s’incarne dans celle qui est là et à laquelle le voyageur dédie son plus beau poème :

 

« Alors dans le silence où s’écoulent les choses

nous respirons à deux ce vivre qui s’enfuit

ce parfum d’autrefois qui épouse l’instant »

                                                                                              (Poésie/première n°41, juin 2008)

 

Au pays de l’inconsolé, Lettres à Gérard de Nerval de Jacques Taurand, L’Harmattan.

Jacques Taurand nous propose, à travers la fiction de ces lettres adressées à l’auteur d’Aurélia, un vagabondage dans l’œuvre de Gérard de Nerval qui doit à ses goûts de lecteur pertinent, à ses souvenirs propres, plus qu’à la logique d’une analyse dont l’ambition serait de rivaliser avec ce qu’il appelle, peut-être un peu injustement, le « galimatias des universitaires ». On comprend qu’il s’agit surtout d’une invitation à lire qui pourrait se suffire d’une citation bien choisie  – « La connais-tu Daphné, cette ancienne romance... » – pour faire éprouver le charme et le mystère de cette poésie, mais qui sait s’agrémenter de remarques judicieuses, témoins d’une admiration et d’une culture où se rencontrent les acquis d’une vie : paysages et vieilles rues, tableaux et lectures innombrables. On lui sait gré de parcourir avec légèreté et empathie la « géographie intérieure » d’un grand poète dont on s’étonnera de l’extrême modestie : « La dernière folie qui me restera probablement, ce sera de me croire poète : c’est à la critique de m’en guérir ». (Poésie sur Seine n° 64, printemps 2008)

 

 

 

Adulte par politesse de Guy VALENSOL, La Bartavelle   éditeur.

On ne se demandera pas - nous ne voulons pas faire la moindre peine à l’auteur qui déclare : « J’en ai assez des poèmes en prose, aux petits rectangles successifs. » - de quelle nature participent les poèmes que Guy Valensol rassemble dans son beau recueil. D’ailleurs, il va très souvent à la ligne et on sait qu’un train de mots peut en cacher un autre ( « On voit fleurir le chiffre du premier janvier, sur la première page des calendriers », n’est-ce pas le « Vieil Alexandre » qui passe la tête à la portière ?).

L’adulte tient la plume - et avec quel talent ! - mais c’est l’enfant qui fait l’inventaire de ses impressions, de ses peurs, de ses obsessions, de ses traumatismes qui le poursuivent jusqu’à l’âge mûr où ils font voir l’irrésistible dégradation du monde, son « entropie ».

Il est cet enfant et il se souvient.

Que saisit cette nostalgie ?

La mémoire n’est peut-être que la boutique du maréchal-ferrant dont on a fait « un musée plein de vent ». (Les Saisons du Poème n°25, mars 1997)

 

 

 

Capture de l’invisible de Katty VERNY-DUGELAY préface de Sylvestre Clancier Le Semainier Editions du Petit Pavé 10€

Pour capter l’invisible, l’auteur[e] de cet excellent recueil se tient sur les bords périlleux du vide, face à ces « brins de rien » où s’entend battre le cœur des choses. Elle est à proprement parler « l’instrument vibrant/ qui s’accorde », si bien que l’avidité du poème ajoute aux bruits du monde « la note infime » qui change tout en faisant, de cet espace, le lieu choisi d’une « connivence à l’autre ». Ainsi, Katty Verny-Dugelay offre partition et partage. Ce sont les deux pôles d’une poésie délicate dont les vibrations sont arrachées au «  frisson des choses », où la « fleur innommée » attend sous l’humus des mots et s’en nourrit. Une poésie qui propose une « parole à vivre/dans le rythme et sous les pas ». (Poésie/première n° 45, octobre 2009)

 

 

 

Présence de la poésie : Serge Wellens par François Huglo Editions des Vanneaux

Cette nouvelle collection – on lui souhaite bonne chance – fonctionne sur le principe que les éditions Seghers ont rendu familier avec les “poètes d’aujourd’hui”. Ici, la présentation de François Huglo s’enrichit, sous forme d’extraits, de « lectures » plus ou moins anciennes comme celle que Jean Rousselot, éclairante, amicale et souriante, consacra au poète dans une lettre publiée par Chinonis dans le n° 7 de l’Oreillette. On ne manquera pas de feuilletter le mini-album de photos sur lesquels apparaissent avec l’entourage immédiat du poète, quelques-uns de ses amis poètes. Au total, on verra qu’il n’est pas banal d’avoir un père illusionniste, homme aquarium, grand avaleur et cracheur d’eau et de poissons, et une mère trapéziste sans filets, d’avoir fait d’Aulnay-sous-bois, puis de Belleville, à chaque fois quelque chose comme un centre de la poésie contemporaine où se côtoyaient Rousselot Bouhier Bérimont, Chaulot, Manoll, Béalu, Marissel, José Millas-Martin, Jean L’Anselme, Jean Breton et j’en oublie, de se convertir au catholicisme après avoir été un libertaire adepte du « ni Dieu ni maître », de s’arranger avec tout ça pour demeurer le compagnon de la bonne humeur et le poète qui, dès 1952, écrit pour donner de ses nouvelles. Un poète majeur qu’on retrouvera avec plaisir dans le choix proposé, un poète pour qui « Les mots sont des chiens d’aveugle ».  

(Poésie/première n°41, juin 2008)

 

 

Que soient ici remerciées les revues qui ont accueilli ces recensions au fil des années : après Les Saisons du Poète aujourd'hui disparue, les excellentes revues Brèves (anthologie permanente de la nouvelle), Nard, Traversées (Belgique), Poésie sur Seine  et Poésie/première.

                                                                                

 

 

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       30/03/2011